Zack, c’est mon frère. Mon jumeau.

Aujourd’hui, j’ai fait une bêtise. J’ai cassé le vase de père. Il m’a grondée, il a crié. J’ai pleuré. Il disait : « Petite idiote ! Tu ne fais donc attention à rien ?! C’était un vase de la période Sinong ! Sais-tu ce que ça signifie ?! …Bien sûr que non ! » Entre deux sanglots, j’ai dit que j’étais désolée. « On va voir si t’es vraiment désolée ! »
J’ai reculé d’un pas. Il avait commencé à dégainer sa ceinture…je savais ce que ça signifiait. Il faisait souvent ça à Zack. Pour moi, ce serait la première fois. Mais je savais que ça faisait mal. Zack m’avait dit…
Je ne respirais presque plus, l’estomac serré par la peur, la gorge nouée. Je ne pouvais même pas crier. J’ai baissé la tête et j’ai fermé les yeux. Plus rien autour de moi. Le noir le plus total. Je me coupai du monde. Silence. Je ne veux pas entendre ses insultes. Je ne veux pas voir son visage déformé par la haine. Seulement le noir et le silence. Et j’attends le premier coup…
…qui ne vient pas.
J’ouvre les yeux. Zack est là. Comme moi, il a à peine huit ans. Mais, lui, il est courageux. Il crie sur père, les larmes aux yeux, mais le regard déterminé. Il lui crie d’arrêter…alors père se tourne vers lui. Père sourit. Mais pas un sourire gentil, pas comme le sourire de maman. C’est un sourire mauvais. Je ne savais pas que ça pouvait exister…un sourire mauvais.
Et il frappe Zack. À ma place. Il frappe Zack. Encore. Et encore.
Je n’ai pas le courage de prendre sa défense. Je me laisse tomber par terre. Je me roule en boule. Je ferme les yeux. Je me bouche les oreilles. Je ne veux pas entendre les cris. Je ne veux pas voir la douleur.

Zack c’est mon frère. C’est ma chair qui se déchire sous les coups. Ma propre chair qui souffre. Pendant que je tremble, impuissante.

Zack c’est mon frère. Mon jumeau. Pour toujours. À jamais.

*

Et maintenant je suis dans mon lit, dans notre chambre. On a des lits superposés. Zack est allongé dans celui du dessus.
Il ne dit rien. Il n’a rien dit depuis tout à l’heure. Depuis que père l’a frappé.
Je n’ai rien dit non plus. Peut-être qu’il n’y a rien à dire. Parfois le silence parle pour nous. Et pourtant je me sens tellement coupable…Je veux dire quelque chose. Ma gorge est encore nouée. Je déglutis :
« Zack… Je…je suis désolée.
Silence. Il ne répond pas. Peut-être qu’il dort.
- Zack… ?
Un silence. Puis, finalement, sa voix de petit garçon émerge de l’obscurité.
- …dis pas que tu es désolée. C’est pas ta faute. Le problème, c’est lui. Seulement lui. Compris ?
- Oui…d’accord.
- Maintenant il vaut mieux qu’on dorme, murmure-t-il. Bonne nuit Calypso.
- Bonne nuit Zack. »

Mais je ne m’endors pas. Et je sais qu’il ne dort pas non plus. Il a trop mal pour trouver le sommeil. Ses nouvelles cicatrices ravivent les anciennes.
Alors il ne dort pas, et moi non plus. Il le sait, je le sais.

Parce que Zack est mon frère, mon jumeau. Parce que Zack, c’est moi.


Ce jour-là, j’avais empêché père de frapper Calypso. J’avais mal. Mais je savais qu’elle souffrait avec moi. Et ce soir-là nous n’avons pas dormi. Ce soir-là nous sommes restés silencieux pendant des heures. Ce silence remplaçait nos mots. Chaque parole aurait été superflue. Chacun savait ce que l’autre pensait, ressentait, espérait. Nous savions.

Parce que Calypso est ma sœur, ma jumelle. Parce que Calypso, c’est moi.


Parce que c’est nous.