Zaihan venait à peine de rentrer chez lui... Revenu du laboratoire où il dirigeait une grosse équipe de généticiens, il sortait à présent de chez un ami qui lui avait offert quelques... "Services" d'une jeune personne qu'il connaissait.
Il s'assit brutalement dans l'un de ses fauteuils, ramassant bruyamment les deux pieds sur sa table basse et tenant sa tête, coude enfoncé dans l'accoudoir.
Il riait discrètement, un rire étouffé qu'il tentait de contrôler... Un rire étouffé glauque, malsain, infâme...
*Les humains... Qu'ils sont fascinants des fois...*
Ah ça, l'esprit humain il le connaissait bien... Tout comme le corps d'ailleurs. Et c'était bien cette double compétence qui faisait de lui un homme dangereux...
Il pouvait guérir l'un comme l'autre, mais tout autant les faire souffrir, les torturer...

Il était si plaisant de prendre des risques dans cette société abrutie, où la "norme" se faisait légion et où suivre des lois était presque une maladie. Cette peur de la punition il aimait la voir, tout autant que la peur de la mort.
Le médecin ne pouvait pas dire qu'il ne ressentait pas de frissons à l'idée de se faire pincer, ou de trépasser, mais c'était au contraire une satisfaction...
Quelque chose qui le faisait se sentir... vivant

L'âge l'avait fatigué, sa maladie chronique également... Les problèmes cardio-vasculaires étaient presque "normaux" à cette âge compte tenu de ce qui fut son train de vie, et ils l'épuisaient. Batterie de tests qu'il faisait souvent, sorte d'hypocondrie qu'il déclenchait à peine avait-il une contracture... Et pourtant une hygiène de vie somme toute douteuse...
Il vivait pour l'instant, c'était tout ce qui comptait.
Il fallait en profiter, tout, tout de suite, maintenant.

Soudainement la porte de l'entrée claqua. Il sauta sur ses pieds, prêt à estourbir le responsable de l'intrusion et avança, menaçant.
"Zaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaazouuuuuuuuuuuuuu"
Il resta muet un instant, fronçant ses épais sourcils gris...
Puis tourna les talons et balança au passage : "Ferme la porte, j'espère que t'as pas défoncé la serrure sinon je vais te la greffer dans un endroit fort peu convenable"
Cela faisait longtemps... Très longtemps qu'il n'avait pas vu cet être décharné au regard effrayant... Il avait grandi, il avait changé, mais au fond il était tellement semblable à ce qu'il était il y a quelques années.
Le psychiatre ne se souvenait pas de cette fascination pour l'un de ces gamins. Il avait été le seul qu'il n'avait pas brutalisé... Il était unique... Sa création. Et il provoquait toujours en lui cette frayeur démesurée, celle qui, lorsque l'on est face à lui, donne l'impression de regarder un être qui n'a plus rien d'humain...
CKZ142 ne réagirait pas si aucun stimuli désagréable et agressif ne venait le perturber. Ainsi il lui parla comme il lui avait toujours parlé...
Il savait qui il était, comment il était...
C'était lui, qui l'avait façonné.

Il avait marché quatre jours dans RangeHarbor…ne sachant pas vraiment où il se trouvait…. Sachant simplement qui il cherchait.
Quête.
Il ne se rappelait plus exactement combien de personnes il avait abattu sur son passage…de toute façon ça ne changeait pas grand-chose un cadavre de plus ou de moins dans cette poubelle géante….
Ville.
Tout était coloré et vivant autour de lui. Ce devait être le quartier commerçant. Etres humains obsolètes grouillant autour de lui.
Bruit.
Et enfin il l’avait entendu. Cette voix, cette personne. Il savait où le trouver… la Citadelle.
L’homme.



Le magicien se déplaça rapidement et se pendit au cou du médecin qui se raidit instantanément à son contact. L’homme lui semblait beaucoup plus vieux que dans son souvenir et le regardait étrangement. Ses yeux noirs s’arrêtèrent un instant sur les taches écarlates qui maculaient les vêtements de son ancien cobaye, puis il saisit ses maigres poignets pour le détacher de lui.

« CK… »
« Arrête avec ce numéro…Tu sais que les gens ne m’appelaient que comme ça là-bas…Ci44 ou 12Ba260…haha…je sais plus en fait j’en ai beaucoup »
Il se tut un instant, laissant son poids aller en arrière, retenu par les bras puissants du vieil homme. Puis se redressa en tentant derechef de s’accrocher au cyberpolitain qui le bloqua.
« Alecsei, ne me touche pas. Tes mains… » Le docteur regarda les paumes noircies et ensanglantées avec dégoût « …absolument répugnantes. »
« Ouais je me suis pas trop lavé là depuis euh… »
« Longtemps en effet. »
Zaihan le lâcha et il se laissa tomber assis au milieu du couloir, ses avant-bras crasseux d’une maigreur somme toute assez épouvantable en appui sur ses genoux. Il leva ses yeux verts sur le grand homme.
" Va te laver" ordonna-t-il d'un ton sec avant d’ajouter : "Je vais faire des steaks et des frites..."
"Viande rouge???"
"Ben oui... tu crois que je mange du poisson et du riz ? J'ai beau être médecin, les fruits et légumes j'en ai rien à foutre... Même si ça aurait pas mal arrangé mon état..."
Médecin, parfaitement au courant des risques, hypocondriaque, et avec une hygiène de vie plutôt lamentable au niveau alimentaire...
Psychiatre aussi... Mais ô combien conscient de ses plus profondes tares...
Il vit, et c'est ce qui lui importe.

Il entendait maintenant l'eau couler. Il se demanda si Alec savait encore prendre une douche correctement, il lui faudrait sans doute appeler la femme de ménage en urgence après son passage vu son état... Il n'essayait même pas de penser à combien de temps le jeune garçon voulait squatter chez lui par peur de ne pas pouvoir faire venir qui que ce soit d'autre et devoir nettoyer lui même...
Zaihan connaissait Alec, toute personne était susceptible de se faire assassiner ou psychologiquement détruire... Toute personne…
Sauf lui.

Alec sortit de la salle de bain, accompagné d’un nuage de vapeur qui sentait une sorte de mélange abscons de tous les produits qui se trouvaient dans la salle d’eau. Le médecin grogna, ne jetant même pas un œil au carnage qui avait du être occasionné.
Le jeune homme s’arrêta sur le pas de la porte du salon et regarda ses mains osseuses dont il n’avait pas vu la teinte de carnation de base depuis qu’il avait « quitté » l’asile. Le vieux géant lui balança une chemise et un pantalon.
« La civilisation nous a offert la chance extraordinaire de porter des vêtements…profite ! »
Le blondinet passa à la va-vite les affaires, qui étaient 10 fois trop grandes pour lui, et vint s’asseoir sur un fauteuil.
« wuuuw… c’est beau ! Toi t’es pété de thune en fait. »
« Tu ne parle que le Triev je présume ? »
« Je commence à comprendre la langue d’ici…mais les gens à qui j’ai gentiment demandé n’étaient pas très neurologiquement résistants » Un large sourire effrayant s’étala sur son visage.
« C’est une sacré performance quand même, comment t’as fait pour sortir de Sverograd ? »

Le psychopathe s’immobilisa un instant, comme s’il était victime d’un improbable bug. Il se souvenait des voix dans sa tête qui lui disaient ce qu’il devait faire. Il se souvenait de cette fille habillée en rouge. Il se souvenait de cet homme qu’il avait égorgé le matin même et des souvenirs de ce docteur…Tania ?...à qui il avait volé les informations qui lui avait permis d’échapper à l’hôpital, détruisant au passage son esprit. Il se souvenait de Zaihan qui lui tournait le dos. Il ne voyait plus le salon cyberpolitain. Il faisait sombre autour de lui…

* * *



L’ours en peluche lui parla, de sa voix grave et posée, une traînée de sang frais dégoulinant de ses babines :
« Sacha*… Tu l’as enfin retrouvé…détruis-le ! »
« Néron lâche moi… »
« C’est de sa faute tout ce qu’il nous est arrivé… »
« Zazou est la seule personne qui pense comme nous. »
« Il pense surtout que nous lui seront bien utiles ! »
Merlin, un jeune homme aux airs de tafiole, dont les cheveux rose bonbon juraient affreusement avec la tenue vert pomme, sortit de derrière l'Ours et s'adressa à son tour au fou de sa voix nasillarde :
« Brûlons les tous *o* ! »
« Laissez moi tranquille bordel… »

* * *

La vision se dissipa lentement. Ses oreilles bourdonnaient. Il cligna des paupières comme s’il sortait d’un mauvais rêve et riva ses yeux verts sur le psychiatre qui le regardait avec intérêt.

« Sverograd…. Je sais pas… »


* diminutif affectif d'Alexandre et Alecsei

Le psychiatre se leva bruyamment et posa les assiettes tellement brutalement qu'on aurait dit qu'il les avait jetées sur le verre de la table basse.
Soda, limonades pour Alec, eau pour lui mais steack frites bien gras au menu avec beaucoup de mayonnaise et de sauce béarnaise pour Zaihan.
*Quitte à crever, autant le faire en ayant vécu*

Il attrapa la télécommande mais avant de pouvoir appuyer sur le bouton Alec la saisit à son tour et la balança avec force s'écraser au sol, puis se mit à rire de nouveau.
"Bon ok..."

Sibiriakov commença à avaler le contenu de l'énorme assiette qu'il s'était servi. En plus d'être grand et d'avoir un besoin conséquent de nourriture vu sa morphologie, il était friand de viande rouge cuite au beurre, de patates frites, de sauces grasses... Un homme en bref.
Il regardait le blond au regard vert vipérin et l'apostropha :
"Toi, mange... On dirait que tu vas perdre un bout d'os, ça donne envie de les briser..."
Puis il reporta son attention sur son entrecôte.

Cependant quelque chose taraudait le médecin… Comment s’était-il échappé ? Surtout, comment était-il arrivé
jusqu’ici ? Et enfin, comment avait-il pu monter jusqu’à la citadelle…
Décidemment ce sujet d’études était une aubaine, sa fuite était une aubaine, tout était une aubaine pour le savant fou…
-"Alec… tu vas bien me raconter tout en détail… Comment tu as réussi à venir, etc."
-"Beuh… j’m’en souviens pas…"
-"Fais un effort… Sinon je te fais manger des légumes…"
-"Awé…. Ben… et y’avait une fille en rouge et après elle était morte et puis le bateau et des gens et pouf ça a explosé eeeet… et après le clodo dans le tram et… en fait ils sont tous morts… : D"
-"Hum je vois…"

Décidemment, parfaitement détaché de ses actes, et surtout de leurs conséquences, un beau cas de psychopathie… Et même au-delà de ça, il passait si aisément à l’acte sans aucun ressentiment de culpabilité. C’était ça qui rendait le panel de cette pathologie intéressant : le passage à l’acte et le ressenti.
"Ah c’est beau la science."

Quelques jours plus tard...

Alec commençait à s’ennuyer vraiment dans l’appartement immense… et surtout immensément vide, du psychiatre. Cela faisait quelques jours qu’il était arrivé dans la Citadelle et, en dehors de la femme de ménage qu’il avait égorgé il y avait deux jours, il ne se passait rien d’amusant.

Le blondinet soupira en s’étalant sur le canapé du salon, allumant et éteignant compulsivement la lumière à l’aide de la télécommande du séjour. Zaihan lui avait bien précisé de ne pas faire ça, il éprouvait donc un relatif réconfort à enfreindre cette mise en garde insignifiante. Il se remémora vaguement la réplique d’un vieux film de Mathétopia qu’il avait vu à la télévision l’autre soir :
« Jour, nuit, jour…. C’est grave chiant en fait. »
Il balança l’appareil et resta allongé quelques instants dans le noir. Il fallait qu’il sorte. Il se leva d’un bond et enfila les vêtements que le médecin lui avait rapportés, un Tshirt simple et un jean de couleur sombre encore un peu larges pour lui, même s’il avait commencé à se remplumer.

Il fouilla avec application dans les tiroirs de l’entrée, ne trouvant pas la clef d’ouverture de la grande porte. Il grogna, attrapa un bout de papier et griffonna d’une écriture aiguë et agressive un mot à l’intention de son hébergeur :

« Je me balade dans le coin, je te prend le fric qui traîne dans ta commode. Comme j’ai pas la clef je vais sortir par la fenêtre de ta chambre. Si jamais t’as un truc urgent à me dire, suis les cadavres. <3
A plus tard Zazou o/»


* * *
La Citadelle était fatigante. Il y avait des policiers à tous les coins de rue et les habitants semblaient constamment sur leurs gardes. Le septemtrionin se dirigea vers l’arrêt d’ae-tram le plus proche. Il balança un billet au contrôleur qui roula des yeux effarés.
« Euh c’est beaucoup trop…tenez votre monnaie… »
« Tu savoir où tu peux le coller tovarich ? »
« Je… »
Sans prêter plus d’attention au fonctionnaire, que les paroles incongrues du jeune homme servies par un fort accent du Triev avaient figé sur place, Alec monta dans la rame qui venait à peine de se présenter et regarda les noms qui défilaient sur le panneau d’information.
« Hum…Consortium. »

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