Début

Debout près de Drake, Sasarei repensait aux membres hétéroclites de l’équipage qui venaient de lui être présentés. Ils étaient tous très différent de ce à quoi elle était habituée et si cela l’avait surprise au premier abord, elle était désormais certaine que leur étrangeté n’avait aucune incidence sur leurs capacités. Pour preuve les diverses tâches qu’ils accomplissaient sous ses yeux pour sortir le navire du port en douceur avec une maîtrise qui en disait long sur leur expérience.

Sans pouvoir dire pourquoi, elle se sentait mieux depuis qu’elle était montée à bord.

Elle se détourna des marins pour observer le port qu’ils laissaient derrière eux. Le Leborean dépassa lentement les navires encore arrimés au quai et dès qu’ils furent sortis de la zone d’ancrage, un léger vent s’engouffra dans ses cheveux, gonflant les voiles. Ils prirent de la vitesse et lorsque le port et Range Harbor ne furent plus qu’un souvenir derrière eux, Sasarei contempla l’océan autour d’elle et se mit à rire. Etonné, Drake se tourna vers elle.

-Qui a-t-il de si amusant ?

-Rien, rien d’autre que le vent, la vitesse, l’océan salé et le goût de la liberté. Répondit-elle avec un sourire.

Drake n’était pas certain de comprendre.

-Pourtant nous allons vers Oxley et pour retrouver votre père de surcroît, je ne pensais pas que cette lugubre destination vous réjouirait à ce point…

Le sourire de Sasarei s’élargit encore, laissant apparaître les jolies fossettes de ses joues.

-La destination me préoccupe peu Calahaan, je suis dans mon élément. Je me sens à ma place, une place que je n’aurais jamais du quitter et je me sens libérée d’un poids énorme.

En effet, Sasarei ne s’était jamais sentie aussi bien depuis que le Flaming Heart avait sombré. Les semaines qui avaient suivi le naufrage elle s’était enfoncée dans la culpabilité et son exil à Range Harbor n’avait pas soulagé sa conscience. Elle n’y était restée qu’un seul jour et n’avait pas dormi de la nuit mais à cet instant, sous le soleil matinal levé depuis une poignée d’heures, elle avait l’impression de renaître.

Près d’elle, elle entendit Calahaan annoncer leur destination à son équipage qui attendait impatiemment.

- Cap sur Oxley Circle !

Des clameurs s’élevèrent du pont, pas vraiment enthousiastes…

Suite de ICI

Lorsque les premiers rayons du soleil vinrent frapper son visage à travers le plancher disjoint du bateau, Charles émergea de son profond sommeil et, sentant le roulis sous son dos, su qu’ils étaient partis.

Il avait la veille au soir longtemps déambulé sur les quais, à la recherche d’un moyen de quitter la ville, d’un bateau en partance où il pourrait se glisser clandestinement. Mais les capitaines ne placardaient pas à leur coque l’heure et la date du départ, il lui fallait plutôt trouver quelqu’un qui puisse le renseigner : à minuit passé, il n’y avait que les tavernes du front de mer pour offrir ce genre d’informations. Il s’était donc dirigé vers la plus proche enseigne, mais un heureux hasard lui avait permis de ne même pas pousser jusque-là : tandis qu’il approchait de la porte, une fille aux cheveux d’un roux exubérant traînant derrière elle un marin quelconque lui fourni les quelques mots qui lui manquaient. « Autant partir tout de suite », en entendant cela, Charles ne pu s’empêcher de suivre le couple jusqu’à un imposant vaisseau dont le nom était masqué par l’obscurité. Il ne lui restait plus qu’à embarquer en clandestin, mais en y repensant, ç’avait sans doute été la partie la plus hasardeuse et compliquée de son plan : il n’avait pu se blottir dans un coin de la cale masqué par les caisses de vivres qu’après une heure au moins de nage, d’escalade, de cache-cache et de chutes en tout genres. Et tout n’était pas réglé, il lui restait encore à déterminer comment il allait pouvoir rester dans ce bateau jusqu’à la prochaine escale. Devait-il se faire connaître et proposer ses services en échange de la traversée ou plutôt se cacher dans la cale en piquant de la nourriture ?

Au-dessus de sa tête, le bruit sourd des pieds des marins battants sur le pont indiquait que l’équipage s’activait, pour une raison inconnue. Pour étirer son dos brisé par une nuit sur des planches dures comme du bois, Charles se redressa, et, après un long bâillement, jeta un coup d’œil sur le reste de la cale. Il eut aussitôt la surprise de découvrir, à environ trente centimètres de son visage, la tête rouquine d’un gosse manifestement venu chaparder de la nourriture. A moins que ce ne soit pour échapper à la corvée qui les tenait tous occupés au dessus. L’enfant lui fit signe de se taire et se cacha à l’endroit même où il avait passé la nuit, puis il lui tira sur la chemise en chuchotant :

« Mais planque toi ! Tu vas me faire repérer ! »

Sans chercher à comprendre, Charles s’accroupit et jeta un regard interrogateur au rouquin, qui, à nouveau, lui fit signe de se taire. Et effectivement, à peine quelques minutes plus tard, ils entendirent la porte s’ouvrir puis claquer. A ce moment l’enfant cessa même de respirer, quoique le bruit des vagues couvrît largement celui de leur respiration, et Charles fit de même. Mais malgré ce redoublement de prudence, le bruit des pas se dirigea presque immédiatement vers la cachette, et une tête apparue bientôt par dessus les caisses.

« Ha ha ! Tu baisses léon, je savais que je te trouverai… »

Sa voix se coupa quand il vit Charles.

Drake observait, en tout bon capitaine de bateau, son équipage en train de manœuvrer. Il était heureux de ressentir à nouveau le roulis régulier des vagues sous ses pieds, la fragrance si particulière du sel marin qui emplissait peu à peu l’air et dont il s’imprégnait avec bonheur. Cependant, il ne se doutait pas de ce qui se passait exactement sous ses pieds, et pour cet unique instant, il ne valait mieux pas qu’il le sache. Car derrière cette façade de calme et de sérénité se cachait une angoisse latente. L’angoisse de fouler bientôt le territoire sordide d’Oxley, ce lieu de débauche et de cupidité qui le répugnait par-dessus tout, autant que l’administration implacable et les trésoriers avares.


− Ha ha ! Tu baisses léon, je savais que je te trouverai…
Léon était fait !
Il se sentait pris au piège comme ces petits poissons argentés qui se retrouvaient coincés dans les filets des pêcheurs. Pourtant il adorait ça, les poissons argentés… bien grillés et baignant dans un jus de citron. Miam.
Il leva lentement la tête vers celui qui l’avait retrouvé et déglutit. Il se croyait coupable de quelque chose alors que c’était le garçon juste à ses côtés qui était dans le « guano de mouette jusqu’au cou ». Il déglutit une seconde fois et se colla à son partenaire d’infortune.



Frey demeura muet à la vue de l’étranger près de Léon. Ces petits jeux de cache-cache lui permettaient de se ne pas trop s’ennuyer sur le bateau quand il n’avait rien à faire (il avait bien essayé de disséquer quelques créatures marines, mais ses besoins de découvertes scientifiques avaient été sabordés par le Kapitan). Il aurait mieux fait de se reconvertir en cuisinier… Tiens, ce n’était pas bête comme idée. Malgré ces pensées, son attention se focalisa de nouveau sur le jeune inconnu. Ses habits n’avaient rien de ceux d’un alchimiste de base et ses longs cheveux le faisaient ressembler à une fille (si le Kapitan apprenait ce qu’il pensait de sa coupe de cheveux, il était bon pour la trempette). Que faire dans une telle situation ? Dénoncer le drôle en criant à tous qu’un énorme rat s’était introduit en secret dans la cale ? Ou bien jouer encore le jeu juste parce que ça le sortait un peu de sa routine ? Être méchant ? Être menteur ?
Le choix était dur…
La voix pas encore très virile de Léon s’éleva soudain.
− Ne dis rien au Capitaine ! le supplia-t-il avec des yeux de chiot.
Frey, pensif, mâchouilla un instant sa cigarette noire.
− Et pourquoi pas ? dit-il enfin avec un sourire chafouin.
Autant être sadique…
− Parce que… ! Parce que c’est moi qu’lai trouvé en premier et que… Et que j’ai tous les droits sur lui !
Il serra un peu plus Charles contre lui, qui ne disait rien car la situation était on peut plus délicate pour ses fesses.
− Tiens, ton cerveau commence enfin à se développer, railla le médecin, ses mains sur les hanches. Mais ce n’est pas suffisant. Si le Kapitan finit par découvrir que tu caches un passager clandestin, il ne va pas vraiment apprécier. Et je pourrais m’amuser avec ton corps.
Une lueur vicieuse s’alluma alors dans les yeux de Frey et il commença à ricaner tout bas comme un démon. Mais son air machiavélique ne prit pas sur Léon qui arborait toujours une expression étrangement sérieuse.
− Arrête un peu… Tout ce que tu pourras faire c’est m’attacher la tête en bas sur le mât de misaine !
− Hum, c’est déjà bien.
− Ah ah…
Frey s’agenouilla face à eux et souffla une épaisse fumée sur le visage du jeune inconnu.
− Ok, mon gars, je ne crois pas que ce soit à moi de te poser la question qui s’impose…
− Pfiou ! soupira Léon.
− Mais… Ich bin betrübt, mein junge*.
Il se releva et attrapa brusquement le jeune homme par le col de sa chemise, pour le traîner ensuite jusqu’à l’escalier qui montait vers le pont principal. Nerveux, Léon tenta d’arrêter sa progression en s’agrippant aux pieds du passager non voulu, toutefois quand Frey était décidé à accomplir quelque chose, il était quasiment incontrôlable. Léon et son camarade se retrouvèrent ainsi à plat ventre aux pieds de Drake, sous le soleil harassant de midi.
Non, vraiment, il ne s’attendait pas à ça…

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* Je suis désolé, mon garçon

[À vous de voir qui donnera son impression ensuite... Sinon je suis désolée, j'ai raté quelque peu Charles mais il faut dire que ce n'est qu'un dessin d'agrément...]

Au cours du dialogue entre Léon et son poursuivant, qui lui avait semblé affreusement long, Charles n’avait pas même envisagé de prendre la parole, tant la situation le laissait perplexe. Ni son éducation bourgeoise ni sa vie de cyber-rocker ne lui avait appris les convenances en matière de voyage clandestin, et encore moins le moyen de se débarrasser d’énergumènes pareils se disputant sa possession. Il était cependant clair que le vieux avait gagné la partie, puisque c’était lui qui le traînait maintenant sur le pont, après l’avoir violemment sorti de la cale en manquant de déchirer sa veste contre les échardes qui saillait des planches.

Levant la tête, il aperçut le soleil du coin de l’œil et se dit qu’il était bien plus tard qu’il ne le pensait, puis il vit la mer, et Range Harbor scintillant comme une étoile à l’horizon, enfin son regard tomba sur une délicate chemise de lin parfumée au citron, qui s’enfuit brusquement de son champ de vision lorsque la main le lâcha et qu’il s’effondra au sol. Le souffle coupé, il voulu se redresser sur ses avant-bras, mais une poussée du pied dans les côtes le fit basculer sur le dos. Quand il rouvrit les yeux, le citronné s’était accroupi pour le regarder de plus près, et Charles reconnu le marin malmené de la veille.

« Monsieur, je suis le capitaine de ce navire, puis-je savoir ce qui vous y faites sans autorisation ? »

Charles fut un instant tenté d’affirmer qu’il avait été envoyé secrètement par le Consulat alchimiste, mais se rappelant que ses habits le trahissaient de toute façon, il préféra répondre simplement :

« Un besoin pressant de quitter Range-Harbor, qui nécessitait la plus grande discrétion. Je ne pouvais pas attendre, ni embarquer sur une ligne régulière, et c’est pourquoi je me suis introduit sur votre bateau en clandestin, mais je suis prêt à faire de mon mieux pour mériter ma traversée ! »

A ce moment, une superbe rousse apparu en travers du soleil et demanda sur un ton vif teinté de mépris :

« C’est quoi ça ? »

HRP
[Notez les transitions grosses comme des bouts d'amarrage ]

Sasarei intriguée par l’étrange manège de Léon, Frey et Calahaan venait d’entrer dans le cercle et observait d’un œil mi-sceptique mi-contrarié ce qui semblait être un cyberpolitain d’après ses vêtements tape-à-l’œil. Drake se tourna vers elle pour lui répondre.

- Eh bien ma chère, je crois que nous avons hérité d’un passager clandestin qui nous propose de l’argent ou quelques menus services pour payer la traversée.

- Payer la traversée pour Oxley Circle ?! Calahaan, ou ce type est complètement cinglé ce qui n’est pas exclu vu les vêtements qu’il porte, ou il essaye de vous escroquer. Dans les deux cas nous n’avons vraiment pas de temps à perdre avec lui. Balancez-le par-dessus bord.

- Hey ! On se calme, je savais pas que vous alliez à Oxley. Il y a pas d’arnaque, je veux me tirer de RH et c’est tout. Que vous soyez pirates ou pas j’en ai rien à taper, je veux juste un moyen de transport !

Sasarei eut un énorme soupir de lassitude.

- Pourquoi faut toujours que ça tombe sur moi fit-elle à mi-voix.

-Hého, je vous signale que suis là et que je vous entends parfaitement. Ecoutez, reprit-il, je sais que ma présence inopinée vous contrarie et je suis sincèrement désolé de vous causer des soucis supplémentaires mais je vous promets que je me ferai tout petit. Vous ne me verrez même pas.

-Vous voulez dire que débarquer sur Oxley Circle vous importe peu du moment que vous êtes loin de Range Harbor? On voit que vous n'avez jamais visité cette île. Elle ne ressemble pas vraiment à ce qu'on attend d'un club de vacances... De plus nous ne comptons pas vraiment accoster sur cette île par mesure de sécurité, n'est ce pas Calahaan?

-En effet, en tant que corsaires, mon équipage et moi-même sommes des cibles à abattre pour tous les forbans qui vivent sur cette île, ajouta Drake. Aussi nous avons décidé de mouiller au large et d’emprunter une voie d’accès plus discrète en chaloupe pour d’atteindre l’île.

-Evidemment, poursuivit Sasarei d’un ton agacé, je suppose que nous pourrons toujours vous déposer sur Oxley en vous emmenant avec nous. Ça ne m’enchante pas particulièrement, mais si vous êtes vraiment sûr de vouloir rester sur cette île, au milieu des pirates de la pire espèce, ce qui raccourcira indéniablement votre espérance de vie. Eh bien, je ne vous en dissuaderai pas.

Il y eu un petit silence, puis Charles reprit la parole.

-Eh bien je n’ai jamais visité Oxley c’est vrai, mais j’aviserai sur place si je décide d’y rester ou non. Je suis content que vous m’acceptiez finalement à bord, dit-il en se relevant avec un sourire. Au fait je m’appelle Charles Postera.

-Drake Calahaan, répondit le capitaine en lui serrant chaleureusement la main, et voici Sasarei Holkaìn.

Sasarei lui grommela un vague salut accompagné d’une moue boudeuse, puis tourna les talons pour retourner à ses occupations.

Un passager clandestin, voilà quelque chose que Drake Calahaan n’avait pas prévue dans son programme. De plus, il s’agissait d’un jeune cyberpolitain qui ne se rendait nullement compte des dangers qu’ils allaient devoir affronter lors de ce périple. Malgré son bon accueil et son sourire bienveillant, Drake désapprouvait la prise en charge d’un inconnu. Heureusement qu’il ne s’agissait que d’une seule personne car les rations n’étaient guère prévues pour cinq de plus. Le départ de Sasarei en disait long sur sa propre pensée de la situation. Il ne voulait pas se montrer trop rude envers le garçon pour la simple raison qu’il n'aimait donner une mauvaise impression de sa personne. À chaque instant, même face à l’ennemi le plus vil, le plus félon qui soit, Drake gardait son sourire et ses bonnes manières. Mais cette fois-ci, peut-être devait-il montrer qu’il était avant tout un capitaine de bateau, ferme et résolu dans ses choix.
− Charles, n’est-ce pas ? reprit-il au bout de cette longue minute de réflexion, je ne désire en rien vous imposer ma volonté, mais chacun ici a un rôle bien défini, une tâche à accomplir, et ce afin que la traversée se fasse en toute quiétude. Je vous saurais donc gré si vous acceptiez d’effectuer quelque service pour l’équipage.
Le jeune homme parut l’espace d’une seconde presque choqué par cette demande, toutefois, ne voulant pas finir en nourriture pour poissons, il capitula.
− D’accord. Qu’est-ce que je peux faire ?
Ravi, Drake l’entoura d’un bras protecteur et ils marchèrent jusqu’à l’arrière du Leborean.
− Aidez donc Monsieur Finighan aux cuisines. Il n’y a jamais assez de mains pour préparer les repas, notamment parce que notre cook en a perdu une lors d’une partie de dé qui a mal tourné.
Ignorant la grimace du garçon, il le poussa gentiment à l’intérieur et referma la porte derrière lui. Quant à Drake, il retourna vers sa cabine où devait sûrement l’attendre Sasarei. Ils avaient une mission à préparer et heureusement tout le temps nécessaire à cette seule entreprise.

Quelques heures plus tard.
Le voile obscur de la nuit commençait à recouvrir le ciel à et à se fondre dans les vagues tranquilles de la mer. Le soleil couchant était magnifique, cette nuit serait paisible. Des marins allumèrent des torches et les disposèrent un peu partout afin que personne ne se prenne les pieds dans les cordages. Ensuite, une nouvelle se répandit : Drake souhaitait voir tout le monde réunit sur le pont principal, et ce expressément. Il ne fallut que quelques minutes, et tout l’équipage, ainsi que les invités, désirés ou non, étaient en train d’attendre le corsaire, des pichets de rhum encore remplis sur des tonneaux en plein milieu du pont. Quand Drake apparut enfin, des chuchotements s’élevèrent à la vue du large coffre qu’il tenait avec son second, Kendan. Ils le jetèrent sans ménagement, ce qui en surpris plus d’un, et dans sa chute le coffre s’ouvrit, révélant un large choix de vêtements et de costumes.
− Mesdames, et messieurs, vous vous doutez que notre destination n’est pas une de ces charmantes petites îles paradisiaques qui bordent les côtes de Kwanaï (murmure d’approbation). Au contraire, nous faisons route vers le plus infâme bout de caillou qui existe en ce monde. Le repère légendaire des sympathisants de la forfaiture, du brigandage et des actions les plus malsaines ; le trou où se cachent rats pelés, catins vérolées, marchands de mort en tout genre ; le symposium éternel où les débauches et les malversations feraient pâlir le plus corrompu de nos administrés. Nous ne serons prêts à y entrer qu’après nous être apprêtés d’un déguisement qui nous permettra de passer inaperçu.
« Ainsi, je vous demande à tous, j’ai bien dit à tous, de vous préparer et ce dans les plus brefs délais. Bientôt, nous dépasserons une zone où des pirates voguent librement. Si nous voulons ressortir de cette première étape vivants, notre mascarade doit être la plus vraisemblable possible. Je compte sur chacun d’entre vous et j’espère qu’aucune mauvaise surprise ne nous attendra, car le vent de la traîtrise, nous le savons, souffle même sur les côtes d’Oxley Circle. »
À l’entente de ce nom, certains frissonnèrent et ne purent s’empêcher de murmurer à leur voisin qu’ils auraient mieux fait de vendre du poisson sur le marché un dimanche matin.
− Charles, Sasarei, avancez vous je vous prie.
Les intéressés se dégagèrent de la petite foule. Sasarei arborait un visage impassible, les mains derrière le dos, alors que Charles semblait légèrement soucieux par ce que le capitaine venait d’annoncer.
− Il est évident qu’il n’y a pas grand-chose à ajouter à ce que vous portez déjà, Sasarei, dit Drake tout en la regardant, un sourire complice aux lèvres. Mais en ce qui vous concerne, Charles, c’est une tout autre histoire. Vous ne parviendrez pas vivant à Oxley dans un tel accoutrement.
− Ça, je crois que je l’ai saisi… maugréa le jeune homme.
Il releva la tête en voyant le regard interrogateur de Drake et dit d’une voix plus forte.
− Je ferai comme bon vous semble, mais j’espère juste que vos… guenilles ne sont pas pleines de puces. Ou de je ne sais quoi d’autres, d’ailleurs.
Le corsaire eut un rire tout en profondeur.
− Il est vrai que ces « guenilles » appartenaient à de véritables bandits, mais je vous rassure, elles ont été lavées à de maintes reprises. Il est toujours plaisant d’amasser quelques prises de guerre, pour le souvenir, mais aussi pour les futures missions telles que celle-ci.
Le jeune homme ne fit que hocher la tête. Drake se détourna, indiquant qu’il avait terminé, et aussitôt tout l’équipage se jeta sur le coffre. Ce fut un sacré mais joyeux remue-ménage qui anima le bateau ce soir-là. Drake monta sur le pont avant et découvrit sans surprise le turbulent Léon qui s’amusait avec la barre.



− Cesse de faire le pitre Léon et vas rejoindre les autres ! le sermonna Drake.
Une petite tape derrière la tête plus tard, le jeune garçon s’ébattait – car c’ était le mot – avec tous ses compagnons et finalement la soirée se termina en bagarre générale puisque certains désiraient toujours ce qu’avait l’autre.

Après un entretien des plus aimables avec la gamine rousse au sale caractère, qui l’avait comblé dans la mesure où il avait réussi à sauver sa peau contre ce qui semblait être la pire teigne de l’équipage, Charles s’était fait envoyer aux cuisines par le mielleux capitaine. Cette affectation l’avait pour le moins surprise, tant il s’attendait à une corvée bien moins affriolante, mais à la réflexion, les pommes de terre se défendaient bien. Ses paumes, plus habituées au stylo qu’au couteau, s’étaient couvertes d’ampoules en bien peu de temps, mais la besogne restait supportable.

Il fut cependant ravi, lorsque son tortionnaire matinal passa la tête par l’embrassure au soir tombant, tandis qu’il remuait les fruits de sa pluche dans un chaudron grand comme une enceinte de 1200 Watt, pour lui dire de se ramener en vitesse sur le pont. Laissant là sa cuisine, il le suivi, puis s’intégra au cercle qu’avais formé les marins autours d’un coffre plein d’habits bariolés en piteux état. Le capitaine lui ordonna de s’avancer, il s’exécuta.

Sa tenue, semblait-il, n’était pas appropriée à leur destination. Il fallait avouer que sa veste était bien trop propre (quoique la cuisine ait commencé à y remédier) et son pantalon bien trop serré pour la mode du coin… Il se dirigea donc vers la malle, mais avant qu’il n’ait pu l’atteindre, fut noyé sous le flot des pirates qui voulaient à tous prix choisir avant les autres ce qui leur irait le mieux. Révolté à l’idée d’être ainsi spolié, Charles se jeta dans le tas avec entrain, retrouvant la saine ambiance d’arrière-bar qu’il avait bien connu quelques années auparavant.

Son accoutrement final avait un petit côté négligé, mais était selon Drake « bien plus crédible », il fallait avouer que le col déchiré et tout le fatras bringuebalant suspendu à sa ceinture étaient affreusement glam… Il avait même réussi à récupérer dans la bagarre un poignard sérieusement émoussé, mais toujours apte à lui sauver la vie s’ils allaient endroit aussi dangereux que ce qu’on ne cessait de lui seriner. Il avait également eu la présence d’esprit de conserver son 9mm, mais avec un seul chargeur, il n’irait pas loin.

En retournant aux cuisines, il eut la mauvaise surprise de trouver les patates gorgées d’eau à un point inadmissible. Elles étaient tout simplement immangeables. Regardant ses mains, il eut une brusque envie de se jeter par-dessus bord, mais c’eût été trop facile ! On lui avait confié une tache, il se devait de la mener à bien ! Son inexpérience culinaire l’handicapait bien sûr, mais il ne se laisserait pas ainsi supplanter par une bande de pommes de terre. Retroussant les manches de sa chemise, il entreprit de les essorer, de les sécher, de les déshydrater, de les cuire ! Mais il se heurta à la dure réalité métaphysique : ces patates étaient récalcitrantes...

Déçu, mais bien décidé à ne pas laisser pareille débâcle se reproduire, il sorti de la cuisine et annonça avec lassitude qu’il avait tout ce qu’il avait pu, et qu’à ce stade là on ne pouvait plus s’en remettre qu’à la grâce de dieu. Léon alors, dont le rôle devait être de faire le service, parti chercher le chaudron, le traîna difficilement jusqu’au pied du mat, et laissa là Mr Finighan servir tout l’équipage. Avec appréhension, Charles regarda la scène de loin, attendant le jugement des marins, qui pouvait toujours remettre en cause la décision de le garder en vie…

Un peu plus tôt dans la cabine

Sasarei se leva du fauteuil lorsque Drake entra. Ces quelques minutes de solitude l’avaient calmée et elle se sentait d’attaque pour établir un plan d’action. Le capitaine se pencha sur le bureau et contempla la carte pas très détaillée qui avait été soigneusement déroulée sur le bois clair.

Une carte d’Oxley. Carte que Calahaan avait du faire lui-même puisque seuls les contours de l’île et la zone du port principal étaient répertoriées en détail. Drake releva les yeux de la carte.

-Comme vous pouvez le constater, je ne connais presque rien d’Oxley. Je n’y suis allé qu’une fois et je me suis bien gardé d’aller plus loin que le port, même si à l’époque je n’avais aucune réputation en tant que corsaire et que personne sur l’île ne me connaissait. Aussi, je m’en remets entièrement à vous et à votre savoir.

-Vous n’êtes pas le seul à ignorer la cartographie exacte d’Oxley Circle, Calahaan. Même parmi les pirates, peu ce sont aventurés au-delà de la ville principale et de ses environs. En l’occurrence notre destination se situe par ici.



-C’est assez loin de toute population, nous ne risquerons donc rien une fois à terre, en revanche nous nous rapprochons de plus en plus des côtes et il faudrait penser à se camoufler.

Drake hocha la tête.

-Je vais donner des vêtements plus crédibles à l’équipage et faire dissimuler le nom du navire.

-Ça devrait suffire, fit Sasarei, si tout se passe bien aucun bateau ne nous accostera. Ils passeront juste près de nous, ne remarqueront rien d’inhabituel et continueront leur route.

-Parfait ! Par contre, comment comptez-vous atteindre notre destination sans passer par le port ? D’après ma carte, il n’y a que des falaises de ce côté, ajouta-t-il avec une moue dubitative. Sans compter que se frayer un chemin par la terre nous prendrait beaucoup de temps.

- Il existe un passage construit par les indigènes avant qu'Oxley ne soit colonisée par les pirates, ils ne viennent plus dans cette partie de l’île maintenant, mais leurs créations sont restées. Il s’agit de passerelles en bois ancrées à même la falaise, elles serpentent entre les rochers et donnent accès au sommet. Aujourd’hui elles sont recouvertes de végétation et usées par les intempéries. Je les ai découvertes par hasard lors d’une exploration. L’ascension sera périlleuse, mais c’est le seul chemin.

-Bien. Je suppose que nous n’avons pas le choix de toute façon.

- En fait si, répliqua-t-elle. Comme c’est Ethan que nous allons trouver, vous pourriez me laisser monter seule et attendre mon retour bien au chaud dans votre cabine en…

-QUOI ?! MAIS IL N’EN EST PAS QUESTION !!Hurla Drake ulcéré. Laisser tout le travail à une demoiselle, travail périlleux qui plus est, ce ne serait pas digne d’un gentleman tel que moi ! Je viens avec vous !

- D’accord Calahaan. Mais si vous m’aviez laissé finir, j’allais justement dire que votre présence et éventuellement celle de quelques uns de vos hommes pourrait toujours être utile. Maintenant c’est à vous de voir. Vous avez encore du temps pour y réfléchir, nous ne devrions arriver en vue d’Oxley que demain en milieu de journée. En revanche, il est temps de se camoufler. Vous auriez de vieilles fripes dans votre butin ?

Le repas était maintenant servi et Sasarei songeait en contemplant sa gamelle que l’équipage ressemblait un peu plus à des ‘pirates’ que tout à l’heure, enfin en plus disciplinés. Elle englouti une bouchée de ce qui semblait être des patates dans une soupe ou un court bouillon. En tout cas c’était mangeable, même si elle avait déjà vu plus présentable. Apparemment c’était le cyberpolitain clandestin qui s’en était occupé avec un des marins et elle devait reconnaître qu’il s’en était plutôt bien sorti. Remarquant que ledit cyberpolitain la fixait d’un œil inquiet, elle lui adressa un hochement de tête approbateur et finit sa ration sans faire de commentaires.

[Hrp: Désolée d'avoir mis autant de temps à répondre, mais mes exams sont passés maintenant alors je vais être plus disponible ^^]

La longue traversée jusqu’à Oxley Circle allait enfin se terminer. À l’aube on entendit Léon crier « Terre en vue ! » du haut de son point d’observation. La lumière du soleil levant s’étendait doucement sur la mer heureusement calme et augmentait en intensité au fur et à mesure qu’ils s’approchaient de l’île tant redoutée. À l’instant, leur unique but était de ne pas se faire repérer par les autres arrivants ; malgré leurs nouveaux costumes, la nef rappelait sans mal qu’elle appartenait à un corsaire. Il n’était pas difficile de le deviner en constatant la blancheur encore presque intacte de ses voiles et la fréquence de l’entretien de la coque.
Une certaine lourdeur s’abattit soudain sur l’équipage. Bien que le ciel soit d’un bleu quasi limpide en ce jour important, l’immoralité qui régnait sur l’île assombrissait tout son contour, les atteignant bientôt de plein fouet alors qu’ils entraient dans une crique déserte et éloignée du port. Le bâtiment ralentit l’allure comme si une vie l’animait d’une angoisse ténue. Drake sortit de sa cabine et observa de ses yeux maquillés de noir les côtes qui s’offraient à eux. Envahies par la végétation certaines falaises étaient en pleine phase d’érosion, et donc menaçantes, cependant l’endroit était idéal pour y dissimuler un navire de la taille du Leborean. D’un simple geste Drake ordonna l’arrêt définitif une fois qu’ils furent bien assez proches, puis il se dirigea vers Sasarei qui attendait patiemment, les bras croisés sur la poitrine.



− Nous allons jeter l’ancre ici et prendre une ou deux chaloupes pour rejoindre cette grotte, lui dit-il en indiquant la fameuse grotte d’un regard.
Sombre et très humide, la grotte possédait plusieurs ouvertures dans lesquelles s’engouffrait violemment la mer agitée par le vent. Quelques rochers accessibles leur permettraient de rejoindre des passerelles en bois encastrées à même la roche et qui remontaient jusqu’aux terres. Sasarei hocha la tête et regarda, impassible, Drake fignoler son travail de capitaine.
− Nous aurons besoin de plusieurs hommes pour nous accompagner dans cette aventure plus que périlleuse, précisa-t-il à l’équipage, réunit en demi cercle face à lui. Les bagarres sont fréquentes, comme vous pouvez vous en douter, mais également les morts subites et les vols d’objets précieux. Il ne s’agit pas d’une sinécure, il ne s’agit pas non plus de passer pour des gens faibles et naïfs, alors comportez-vous tels les brigands moribonds qui habitent ce trou misérable !
L’équipage accueillit ce conseil avec des cris de joie mêlée d’excitation.
− Kendan, tu resteras à bord pour surveiller et battre en retraite si jamais cela tourne mal.
Drake posa une main sur l’épaule de son ami.
− Je suis navré de ne pas pouvoir te prendre avec nous, mais tu en connais la raison…
− Oui. Par contre tu sais que je ne suis pas du genre à contester tes ordres, mais l’idée même de fuir alors que vous pourriez être en danger m’est inconcevable ! répliqua l’hybride en fronçant ses sourcils étranges.
− Je n’aime pas ça non plus mais c’est ainsi !
Drake se tourna, lui signalant que la discussion était close. L’hybride se rembrunit mais demeura muet.
− Havoc, Spill, et Frey, vous venez. Faites mouiller le canot.
Les trois hommes s’empressèrent d’accomplir leur tâche tandis que leur capitaine vérifiait une dernière formalité… Enfin presque.
− Le paquet est dans la cale ? demanda-t-il d’un air entendu à Kendan.
− Le paquet est empaqueté, répondit le second en joignant le pouce et l’index pour appuyer ses dires.
− Admirable ! s'écria Drake, soudain plus joyeux.
Il s’avança brusquement vers Charles, remonté des cuisines pour assister à la scène.
− Mon garçon, ce n’est pas vraiment de mon goût de demander à un jeune de prendre des risques, mais souhaites-tu te joindre à nous ?

Entendant la demande de Drake, Sasarei se permit d’intervenir.

-Calahaan, je crois qu’il vaudrait mieux que notre passager reste ici. L’escalade ne va pas être de tout repos et ce cyberpolitain n’a pas l’air d’être habitué à fournir de grands efforts physiques. Sans vouloir le vexer, il ne fera que nous ralentir.

Charles ne parut pas s’offusquer de la remarque et hocha la tête.

-Rester sur le bateau me paraît en effet plus sage. J’attendrai votre retour avec le reste de l’équipage.

-Alors allons-y, conclut Sasarei.

Drake et elle rejoignirent les autres dans la chaloupe et la petite équipe se détacha lentement du Leborean pour s’approcher de la grotte.

Ils évitèrent sans mal les quelques récifs et accostèrent au pied de la falaise. Sasarei sauta sur la berge accidentée avec l’aisance que confie l’habitude, tenant la corde d’amarrage dans une main. Elle fit un nœud solide autour d’un anneau de fer dissimulé dans la roche et fit signe aux autres de la rejoindre.

-Les passerelles sont de ce côté, dit-elle en pointant un amas de lianes verdoyantes, elles ont presque un siècle alors je vous conseille d’être vif et alerte. N’oubliez pas que chaque planche peut s’effondrer sous vos pieds.

Puis, sans s’attarder elle tira son sabre et trancha la végétation, révélant ainsi l’entrée de la passerelle vermoulue qu’ils allaient devoir emprunter.

La nature avait peu à peu repris ses droits sur cet ancien ouvrage créé par les hommes. De simples planches de bois posées et fixées à l’horizontale contre la falaise et maintenues en place par des madriers, le tout montant en escalier vers le sommet. Voilà à quoi cela avait du ressembler autrefois. Aujourd’hui, un pêle-mêle luxuriant de lianes et autres spécimens végétaux dégringolait du haut de la roche en un rideau verdoyant qui isolait l’édifice du vide s’arrêtant juste hors de portée des flots d’eau salée venues de l’océan. Puis, venait la plate-forme, rongée par les ans, brisée par endroits, fragilisée par l’eau suintant de la paroi de pierre. Et enfin, sur leur droite, la falaise. Surface polie par des siècles d’érosion, lisse et glissante, sans rien pour se raccrocher.
Sasarei inspira un grand coup et s’engouffra dans le passage la première. Les autres la suivirent et ensemble ils entamèrent leur périlleuse ascension.

L’équipée progressait lentement dans une chaleur étouffante. Certes les feuillages épais leurs épargnaient de grimper sous le soleil mais ils empêchaient aussi la moindre brise fraiche de caresser leurs visages en sueur.
L’air était lourd et Sasarei avait l’impression d’avaler du sable à chaque inspiration. Chacun profitait donc des minces filets d’eau de source qui jaillissait de la falaise sur leur route pour se désaltérer et reprendre quelques forces. L’atmosphère pesante ne facilitait pas la montée. Ainsi, depuis presque deux heures qu’ils avaient quitté le Leborean, Havoc avait failli mourir deux fois (étant le plus lourd, les planches s’effondrait aisément sous ses pas). Spill s’était coincé la jambe dans un trou à mi-cuisse (il avait eu de la chance que le choc n’agrandisse pas subitement le trou avant que ses compagnons ne le dégagent). Drake avait rattrapé Frey alors qu’il sautait (trop court malheureusement) un précipice, quant à Sasarei elle avait glissé sur des planches recouvertes de mousse spongieuse et s’était raccrochée (in extremis) à une liane pour ne pas tomber dans le vide.
La fatigue commençait à se faire sentir et Drake finit par décréter une pause que tous approuvèrent.

[hrp: 'tain j'ai encore mis super longtemps à répondre ^^'', désolée pour les illus pas terrible aussi. >> va se faire fouetter]

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