Elle est belle. Elle est grande elle est blonde elle a les yeux noirs. Elle est...so damn hot.
Le sourire de Ash s'élargit quand la jeune fille entra dans l'amphi. Elle était faite pour lui. Elle était belle. Il était beau. Elle était intelligente. Il était machiavélique. Ah ah ah. Elle était si...jolie.
Le sourire de Ash se transforma en un rictus dégouté quand il la vit s'asseoir à côté d'un jeune homme qu'elle embrassa langoureusement. Damien. Damien Dwelling. Moins beau que lui. Moins intelligent. Qu'elle soit avec ce mec plutôt qu'avec lui, voilà qui défiait toute logique. C'était une erreur...qui méritait d'être rectifiée.
Mais d'abord il fallait se concentrer sur le cours qui débutait. Écouter. Enregistrer. Tout savoir pour mieux manœuvrer en eaux troubles. Et montrer à Damien qu'il est meilleur que lui. Lui montrer, à elle, qu'il est celui qui la mérite...
« J'ai du mal à comprendre pourquoi t'es avec Damien... J'étais avec lui au lycée et...peu importe qu'il soit pas super brillant, mais surtout c'est un vrai salopard. »

Ils étaient dans une soirée étudiante et discutaient autour d'un verre. Damien était parti en week-end familial. Ash entreprenait donc de le pourrir savamment tant qu'il n'était pas là. Mais elle semblait peu convaincue.

« Au départ on était potes. Mais il a fait tellement de coups tordus à tout le monde, dont moi, que j'ai fini par le lâcher. Et j'ai pas été le seul... Mais enfin il a peut-être changé depuis le temps. »

Utiliser la vérité en la déformant quelque peu, c'était ce qu'il y avait de plus efficace. Ash avait réellement fréquenté Damien du temps du lycée, et il y avait réellement eu des embrouilles peu glorieuses qui désignaient Damien comme un possible connard.

« Entre autres, il a piqué la copine de mon meilleur pote et l'a larguée quinze jours après sans raison... Forcément j'ai pas un super souvenir de lui. »

Il prit une gorgée de bière.
En réalité l'histoire était plus compliquée que ça, mais le peu qu'Ash en disait était vrai, et ne pourrait pas être démenti par l'intéressé si jamais elle lui posait la question. L'important était surtout qu'elle commence à douter de la perfection de son amoureux chéri – mais après tout ce ne serait pas compliqué, car Damien était tout sauf un ange...

« Mon décolleté te passionne tant que ça ? »

Ash releva subitement la tête.

« Ah ah, désolé ! Mais tu avoueras qu'il n'est pas spécialement discret, et qu'il est spécialement joli... Tout comme le reste de ta personne, d'ailleurs. »

Ce disant il planta son regard dans le sien. Elle ne put retenir un sourire. Un sourire amusé, légèrement exaspéré même... Mais flatté.
Bingo.

« Salut !
- Salut... »

Elle observa Ash s'installer à côté d'elle.
Ce mec la draguait ostensiblement. C'était fait avec délicatesse, mais ça n'en était pas moins évident.
À vrai dire ça ne la gênait pas outre-mesure : elle y était habituée. Mais généralement le garçon lâchait l'affaire en apprenant qu'elle avait déjà un copain. Ash, lui, était parfaitement au courant qu'elle n'était pas célibataire – pourtant il continuait de lui tourner discrètement autour... Et elle ne parvenait pas à savoir si ça l'agaçait profondément ou si elle trouvait ça affreusement chou.
Ash se laissa tomber sur son lit, allongé sur le dos, et sortit son cellphone de sa poche.
Depuis trois semaines il discutait régulièrement avec Lili. Dès que Damien avait le dos tourné, dès qu'elle était assise seule au self ou dans la bibliothèque, il en profitait pour passer un moment avec elle. Et il ne lui cachait pas ses intentions. Il avait décidé de l'avoir et il l'aurait. Il voulait être avec elle et le lui montrait...tout en restant aussi poli et délicat que l'exigeait son statut de 'fille déjà prise' : après tout il était un bon garçon, pas un briseur de couple! Ah ah ah.
Lili.
Lili la jeune femme blonde aux grands yeux noirs...si jolie.
Si jolie et appartenant si intolérablement à un autre.

Citation :

« De : Ash À : Lili
Hello. Ça te dirait d'aller à la conférence de Frédérique Russel demain soir ? J'ai des places par mon père et ça va parler de la réforme constitutionnelle, ça peut être intéressant. »

Il se leva du lit, marcha jusqu'au bureau et alluma son ordinateur.
Elle lui répondrait probablement dans la soirée. En attendant il devait aller sur le site de la Fac et télécharger les TD à préparer pour la semaine suivante.
Son cellphone vibra.
Déjà ?

Citation :

« De : Lili À : Ash
Tiens oui, ça peut être intéressant. C'est où et à quelle heure au juste ? »

La réponse avait été prompte. C'était bon signe.

Citation :

« De : Ash À : Lili
18h30 dans un des salons du Sénat. C'est sur la ligne C, on se retrouve à l'arrêt de tram vers 18h ? »

Citation :

« De : Lili À : Ash
D'ac »

Et...
Bingo again.

« On se voit plus tard ! »

Elle regarda Ash s'éloigner vers le tram. Il était vraiment beau. Elle avait même entendu dire qu'il posait pour des photos. Mais ce qui la séduisait chez lui, ce n'était pas tant son physique que son incroyable vivacité d'esprit. Quoiqu'il se passe, il avait toujours un bon mot à dire. Et ses remarques, qu'elles fussent légèrement acides ou savoureusement doucereuses, étaient toujours d'une implacable justesse. Il était intéressant, et sans détours dans les avis qu'il donnait....Rien à voir avec Damien.
Damien était mignon et sympa...mais il lui manquait quelque chose. Un peu d'esprit, un peu de charme. Un peu de personnalité, surtout. En fait, il était parfaitement insipide. Ennuyeux à mourir. Elle l'avait beaucoup apprécié dans les premiers temps, il lui avait semblé gentil...mais il l'était de moins en moins. Et il n'avait même pas assez de jugeote pour être réellement amoureux d'elle. Il était juste content d'être avec une fille jolie et sympa. Point.
Ash, lui, l'aimait. À présent elle n'en doutait plus. Et se sentir aimée, aimée vraiment, lorsqu'on est une femme trop belle pour être certaine qu'il n'y a pas que le physique qui joue, ce n'est pas rien.

Elle allait lâcher Damien. Il en était certain.
Il les voyait s'éloigner l'un de l'autre ces derniers jours, c'était flagrant : elle ne l'embrassait plus le matin en arrivant, il ne s'autorisait plus à lui mettre la main aux fesses n'importe quand... Bref, le couple s'écroulait tout aussi discrètement que le plan de Ash s'était construit.
Et Lili penchait inexorablement vers lui.
Ils mangeaient ensemble, allaient au cinéma. Elle le désignait comme son 'meilleur pote' mais même Damien, malgré toute l'énergie qu'il mettait à se voiler la face, n'y croyait pas.
Son cellphone vibra.

Citation :

« De : Lili À : Ash
Damien et moi on a cassé... »

Un sourire étira ses lèvres. Je l'savais...
Mais la formulation était ambiguë. Impossible de savoir si c'était elle qui l'avait largué, si c'était Damien qui avait fini par craquer, ou s'ils s'étaient séparés d'un commun accord... Vue la situation, il fallait d'abord jouer l'ami compatissant.

Citation :

« De : Ash À : Lili
Merde... ça va aller ? Si j'peux faire quoique ce soit tu m'dis. »

Maintenant il ne lui restait plus qu'à faire preuve d'un peu de patience et...son cellphone vibra à nouveau.

Citation :

« De : Lili À : Ash
Oui, tu peux passer chez moi... »

Wouhouw !
Pas besoin de patience : l'invitation était claire.
Il attrapa sa veste, claqua la porte de son appart' derrière lui, descendit les escaliers quatre à quatre, se rua dans la rue, et sauta dans le premier tram qui passait.

Lili.
Elle était allongée à côté de lui. Nue. Elle était belle.
Il fallait qu'il parte. Il avait cours.
Il fallait...il fallait qu'il aille en cours. Il fallait qu'il y soit pour que tout le monde sache qu'il était un type bien, le type qui allait à tous les CM et tous les TD, sans exception. Mais très étrangement il n'avait aucune envie de bouger de là où il était.
Pour la première fois depuis longtemps, il sécha.

Ash se laissa tomber sur son lit et vérifia son cellphone.

Citation :

« De : Lili À : Ash
Ok! à demain soir... »

Cela faisait déjà une semaine qu'ils étaient ensemble.
Une semaine qu'elle était à lui...
Mais peut-être était-ce lui, qui était à elle ?
C'était étrange : il avait eu ce qu'il voulait, il avait conquis ce qu'il convoitait, mais il n'était pas certain de la posséder vraiment. Quelque chose clochait. Quelque chose lui échappait. Il aurait dû se sentir satisfait, fier de sa réussite, et se réjouir du désespoir de Damien. Mais il ne parvenait qu'à sourire continuellement quand elle était là, et à être désagréable le reste du temps. Il fallait se rendre à l'évidence : elle avait davantage d'emprise sur lui que lui sur elle. Et il n'y avait qu'une seule explication possible à cela : il était amoureux.
Les sentiments.
S'il y avait bien quelque chose d'inutile sur cette terre, c'étaient bien les sentiments. Ils nous poussent à des actions sans signification, à des choix sans intérêt. Ils l'emportent sur la raison qui devrait toujours primer. Surtout, ils sont irrépressibles.
Ash la détestait. Il la détestait d'être si belle, si drôle, si attirante...si indispensable à son bonheur. Car il avait décidé d'exister seul et de se construire seul, d'être heureux seul et de ne jamais dépendre de quiconque. Mais il dépendait d'elle. Et elle le savait. Et elle en jouait. Et il était malade de devoir s'avouer qu'il n'y pouvait rien, et que comme un fumeur de mauvaise foi il disait 'j'arrête quand je veux' tout en sachant pertinemment qu'il avait besoin de se détruire les poumons au moins trois fois par jour.
Fait chier, bordel.

Quatre mois.
Il s’était presque habitué à ressentir de l'amour. Il s’autorisait à lui consacrer du temps, à lui offrir des cadeaux, à lui avouer des mots tendres… En somme, il cédait à ces envies de lui faire plaisir qui dans les premiers temps lui avaient semblé si étranges, tant elles étaient une négation de son propre égoïsme.
Lili. Toujours. Ses cheveux blonds qu’il caressait comme autant de rayons de soleil. Et ses yeux de charbon, brûlés, envoûtants, qui l’aspiraient comme un trou noir. Elle était ombre et lumière, radieuse et insondable. Et il n’arrivait pas à la saisir. Il voulait savoir qui elle était, connaître ses moindres pensées, percer ce secret qu’il sentait dissimulé au fond du regard nébuleux… Mais non. C’était lui qui, jour après jour, se démasquait. Lui qui confiait ses faiblesses, racontait sa famille, dévoilait ses sentiments. Elle, elle était joyeuse, elle l’écoutait, elle donnait son avis sur beaucoup de choses, mais elle ne laissait rien échapper de sa vie personnelle – c’était à peine s’il savait qu’elle vivait chez ses parents, qu’elle avait un grand-frère, et que son chien s’appelait Looping. C’était comme si elle refusait de baisser sa garde, comme si elle ne s’abandonnait jamais entièrement à lui, comme si elle ne voulait pas lui appartenir. Il en était malade. Même quand il lui faisait l’amour, même quand son corps se cambrait entre ses mains, il avait l’impression de ne pas la posséder vraiment.

Quatre mois.
Elle s’était presque habituée à être aimée. Elle le laissait faire, le laissait dire, le laissait hésiter… Il était cent fois plus prévenant, plus gentil, plus humain que ce à quoi elle s’attendait. À la Fac, Ash O’Graham était un garçon que tout le monde s’accordait à décrire comme drôle, travailleur et sympathique, mais ceux qu’il énervait n’hésitaient pas à transformer ces adjectifs en moqueur, lèche-cul et faux-jeton – et en aucun cas on ne le disait tendre. Mais en devenant amie avec lui, elle avait découvert son intelligence et son esprit. Et en sortant avec lui, elle découvrait quelque chose d’autre encore, une sorte de douceur mêlée de passion.
Pourtant…
Pourtant il lui semblait que quelque chose lui échappait, qu’elle n’arrivait pas à le saisir tout entier. Elle le questionnait, le faisait parler de lui, elle essayait de comprendre d’où venait sa méfiance, et petit à petit elle rassemblait les pièces du puzzle. Peut-être qu’elle se trompait, et qu’en réalité il ne lui cachait rien, ne retenait rien – mais elle avait cette impression que Ash, derrière ses airs sociables et enjoués, était un garçon secret qui, s’il acceptait de raconter sa vie, ne le faisait jamais que superficiellement. « Elle est morte l’an dernier. » Voilà tout ce qu’elle avait pu apprendre de lui à propos de sa mère, et elle avait dû fouiller sur internet pour en savoir plus. Certes, elle-même n’était pas très prolixe sur les détails de sa vie, mais il y avait tellement peu à dire, sa famille était d’une telle banalité en comparaison des O’Graham, qu’elle ne jugeait pas utile de s’y attarder. Mais Ash, lui, aurait eu tellement à raconter… C’était comme s’il refusait de baisser sa garde, comme s’il ne s’abandonnait jamais entièrement à elle, comme s’il ne voulait pas lui appartenir. Elle avait le sentiment qu’il ne voulait s’appartenir qu’à lui-même. Be your own man, disait la chanson. Elle ne comprenait définitivement pas l’orgueil des hommes.

Pendant un temps tout fut parfait. Ils se parlaient, se confiaient l'un à l'autre, ils se laissaient aller. Il n'y avait plus rien pour les séparer. Ils se comprenaient sans vraiment parler. Ils s'aimaient sans contrainte.
Le changement se fit imperceptiblement. Elle ne comprit pas pourquoi, ni comment. Lui-même se trouva vite incapable de dire à quel moment cela avait basculé...

Sept mois.
Ash est différent, je n’arrive plus à le comprendre. Depuis quelques temps il se montre impatient, irascible, tantôt il me repousse avec une lassitude exaspérée, et tantôt il m’assaille de caresses, presque avec violence, en me dévorant de ses yeux brûlants. Je m’abandonne à lui, je ne pense plus à rien… Mais il m’effraie. Il m’effraie et en même temps il me fascine. Évidemment tout était plus tranquille, plus serein quand il se contentait d’être gentil. Mais à présent qu’il me laisse voir, certainement contre son gré, à quel point il peut être fébrile, impulsif, vacillant, je me surprends à vibrer au rythme de ce qui bouillonne en lui.
J’essaye de le ramener à la réalité. J’essaye de lui dire, parfois, que quelque chose ne va pas, qu’il est bizarre. Alors, il lève les yeux vers moi, des yeux désolés mais brillants, et soudain il devient triste. Il a cette expression douloureuse, il me caresse doucement la joue, il me serre contre lui, il me dit qu’il m’aime. Et pendant deux, trois jours peut-être, il se montre prévenant, doux, adorable. Et puis – peut-être que je dis un mot, peut-être que je fais un geste… – quelque chose se brise, encore. Il redevient fiévreux, jaloux, mélancolique. Souvent, à l’université, quand nous sommes entourés d’amis, j’ai l’impression que tout va bien, qu’il est calme, qu’il est heureux. Dès que nous sommes seuls tout s’écroule à nouveau.
J’ai beau l’aimer...


Sept mois.
Je ne sais pas pourquoi je fais ça. J’ai beau l’aimer – mais c’est parce que je l’aime, que je m’échappe à moi-même. Lili. Elle est belle, si belle. Si jolie. Si vivante. Mais je la sens se briser un peu plus chaque fois que je la serre dans mes bras, et moi je serre les dents à chacun des craquements. Elle subit mes caprices, mes désirs, mes délires. Elle ne mérite aucune de mes réprimandes, aucune de mes impétuosités. Mais sa présence, son parfum, la douceur de ses mains, sa façon de me laisser exister… Elle ne devrait pas. Ce qui crépite au fond de moi ne doit pas s’enflammer. Elle laisse venir le feu, elle me donne l’oxygène. Ses mots, son corps, ses gestes, l’obscurité intense de ses yeux, la densité de son regard… Elle est bien trop réelle, trop vraie pour moi. Trop vraie pour se contenter de mon aimable façade, et trop fragile pour supporter le poids de mon âme véritable.
J’ai toujours su que je ne me dévoilais jamais vraiment, que je me contrôlais, mais elle révèle ces émotions qu’inconsciemment je m’appliquais à étouffer. Je me croyais vaguement hypocrite – j’ai compris avec elle que j’enfouissais mes pensées réelles sous une attitude autre. Dès que nous sommes à l’université, je le sens bien, j’enfile mes attitudes sociales comme un vêtement familier, elles me recouvrent entièrement, elles sont mon masque, ma seconde peau. Et elle le voit, et elle le sait, ma Lili, mais elle ne comprend pas. L’être humain n’aime pas ne pas comprendre, mais il y a certaines choses que l’esprit s’interdit de savoir. Question de survie.
Si elle savait. Si je m’autorisais à lui dire. Que je méprise les faibles, ceux qui pensent être forts, ceux qui ne savent rien et ceux qui croient savoir, ceux qui sont médiocres, ceux qui rampent et ceux qui sont laids. Si elle savait que le monde qui l’émeut ne suscite en moi qu’une pitié dédaigneuse, si elle savait qu’entre toutes choses je n’estime que les puissants, les génies, les heureux, et que, par-delà cette poignée d’hommes moins négligeables que les autres, il n’y a qu’elle… Elle, sa présence, ses mains, sa voix souple, ses yeux si noirs – infiniment supérieure à tout ce qui peut être, soulevée de terre par un sentiment que je me résous à nommer amour – elle, que je veux si proche de moi, elle avec qui je mêle mon corps mais avec qui je n’ose mêler mon esprit, à chaque instant je dois me faire violence pour ne pas lui parler comme je me parlerais à moi-même, car je sens qu’alors tout disparaîtrait, moi, elle, sa voix, et il ne resterait plus rien.

Elle avait voulu me voir nu, corps et âme. Elle avait voulu me connaître alors que je ne savais pas encore moi-même de quel bois j'étais fait. A1ors je m'étais écorché, pour satisfaire son regard, et je m'étais découvert tel que j'avais à peine osé m'imaginer : méprisant, égoïste, insolent – sauf avec elle. Et à mesure que je me m'étais vu ainsi, j'avais senti naître la nécesssité de lui cacher ce que j'étais. Pour l'épargner. Parce que je l'aime. Parce qu'avec elle je voudrais être un autre. Meilleur.
Mais je crois qu'à force de m'enfermer à l'intérieur de moi-même pour qu'elle ne me voie pas, je deviens invisible à ses yeux. C'est comme si c'était d'un autre moi qu'elle était insupportablement amoureuse. Comme si je n'étais plus qu'un reflet lointain dans ses yeux noirs, qui regardent un autre homme dont je porte le masque.
Et ce jour-là il faisait bien trop chaud.

Intérieur / jour / après-midi

Chez Ash. Une chambre d'étudiant plutôt grande, propre et lumineuse. Un lit, un bureau sous la fenêtre, des étagères. Soleil lourd d'été.

Ash est assis à son bureau, devant son ordinateur qui affiche du travail. Il porte un jeans et une chemise légère, il est pieds nus.
Lili est assise sur le lit, penchée sur un livre, les jambes croisées, pieds nus aussi. Elle porte une robe d'été. Ses cheveux blonds sont dénoués.
La fenêtre est ouverte mais il fait chaud. Lili s'évente régulièrement avec son marque-pages.

Ash est exaspéré par le ronron du ventilateur de l'ordinateur. Agacé, il jette un coup d'oeil à Lili. Elle est un peu de dos par rapport à lui, elle a de la musique dans les oreilles, alors elle ne le voit pas. Il se retourne vers son ordinateur et essaye de se concentrer sur l'écran.
Il n'arrive visiblement pas à travailler.
Il fait pivoter sa chaise d'un demi-tour sur elle-même et appuie le dossier contre le bord du bureau. Il tend le bras, attrape une bouteille d'eau et boit. Pendant toute cette opération, il a le regard braqué sur Lili. Elle, plongée dans sa lecture, n'a toujours pas remarqué qu'il était agité. Ash hésite entre la détester et se perdre dans la contemplation de sa si jolie silhouette aux cheveux souples.

Ash : Lili ?

Elle n'entend toujours pas, à cause de la musique. Cette dernière négation de son existence, bien qu'involontaire, semble le décider pour la détestation plutôt que la contemplation. Il se lève, lui tape sur l'épaule. Elle tourne la tête tout en enlevant ses écouteurs.

Ash : Il faudrait que tu partes.
Lili (déboussolée) : Euh, d'accord, je...pourquoi ?
Ash : J'arrive pas à bosser quand t'es là.

Elle sourit, comme pour sous-entendre qu'elle le perturbe pour des raisons tendres ; mais cette tentative de complicité tombe à plat.

Ash : J'ai chaud et j'en ai marre, alors s'il-te-plaît, va-t-en.

Lili est abasourdie, ne sait pas quoi dire ni penser.

Lili : ...ok...

Elle rassemble ses affaires, remet ses chaussures. Ash est impatient. Elle ferme son sac, s'apprête à ouvrir la porte – elle se retourne et laisse tomber ses affaires.

Lili : Tu peux pas faire ça.

Il est debout face à elle, il la regarde. Il ne dit rien.

Lili : Tu peux pas, un jour, me dire que tu crèves d'envie de me voir, et le lendemain me mettre à la porte comme un chien.

Il ne dit toujours rien.

Lili : Mais parle, bordel ! Dis quelque chose !

Elle le pousse. Il recule d'un pas et se laisse tomber assis sur le bord du lit. Il a la gorge serrée, envie de pleurer. Il regarde par terre à présent, il n'ose plus lever les yeux vers elle.

Ash : J'suis désolée...Je sais pas pourquoi je fais ça...

Elle soupire.

Lili : Tu sais pas ? Eh ben moi non plus. Je sais pas pourquoi parfois tu me regardes comme une déesse, et pourquoi parfois tu me détestes. Pourquoi t'es jaloux et insouciant, tendre et violent – j'en - sais - rien ! Et tu sais quoi ? Ça me fatigue, j'en peux plus, je dors pas, je me demande tout le temps si c'est ma faute, mais c'est TOI qui as un problème ! Alors tu veux que je dégage ?... Tu dis rien...? Eh ben je dégage !

Elle va pour ramasser ses affaires et se dirige vers la sortie. Il se lève, la rattrappe, l'attrappe par l'épaule pour la retourner vers lui et, dans le mouvement, la plaque contre la porte. Elle le regarde. Elle a peur mais elle lui tient tête. Lui a une expression indéfinissable, entre douleur et détermination.

« Je t'aime.
- Tu peux pas dire ça –
- Reste avec moi. »

Elle le fixe une seconde encore pour essayer de comprendre. Il se plonge une dernière fois dans ses yeux si noirs. Mais elle ne peut plus soutenir le poids de son regard. S'il aime, il aime trop étrangement... – alors elle ferme les yeux.

…
Elle était partie.
Elle l'avait repoussé, elle avait pris ses affaires et elle était partie.

Je me laissai tomber allongé sur les couvertures. J'avais du mal à croire que c'était fini. J'ai eu un sourire amer quand j'ai senti que je pleurais. J'avais mal d'être faible. Mal d'être attaché à elle. Je n'avais jamais imaginé qu'un seul être, par un seul mot, puisse me faire aussi mal...
Alors mon esprit s'égarait dans ses yeux noirs. J'avais le regard vide ridiculement fixé sur un souvenir. Et mes larmes étaient le sel que j'avais goûté sur sa peau.

- Fin -

[HRP/ il y a eu re-modif du dernier dialogue dans le post précédent /HRP]