Il appuya son front contre la vitre froide du salon. La table extérieure était couverte de neige, et les rayons du soleil se réfléchissaient douloureusement sur la surface immaculée. Il ferma les yeux, parasité un instant par des tâches lumineuses résurgentes.
Il avait eu vingt ans hier.
Elle était morte depuis 6 ans aujourd’hui. Il traversa le salon, qui semblait ne pas avoir changé d’ordre depuis des années, toujours aussi impeccablement tenu avec maniaquerie par Vassili, et se laissa tomber dans le fauteuil. Et constata que le cendrier sur la table basse débordait, comme tous les cendriers de cette maison, la tabagie de ses parents étant loin de s’arranger avec l’âge.
« Tu es allé au cimetière ?
- Non. J’avais pas envie de croiser Vlad…»
Nina était entrée sans bruit et s’approcha avec le même silence, s’asseyant à côté de lui. Elle était habillée en noir, comme elle avait prit l’habitude de le faire ce jour, et tenait un bouquet de lys blanc.
« Tu pourra déposer ça plus tard pour moi, alors.
- …Ouais. Il n’ira pas non plus, c’est ça ?
- C’est ton père, les cimetières ça ne l’a jamais vraiment amusé…
- Arrête…C’est un spécialiste du cortège funèbre, pourquoi tu cherches toujours des excuses à tout le monde bordel ? »
Sans répondre à l’agression elle se leva, jeta le bouquet sur les genoux de son fils et quitta la pièce.
Elle était morte depuis 6 ans. Il se leva à son tour, récupérant sans enthousiasme son manteau et son écharpe qu’il passa à la va-vite. Le soleil commençait déjà à décliner et il avait une quinzaine de minutes de marche à faire.
***
L’inscription de "son" nom en lettre blanche sur la pierre noire était toujours aussi lisible qu’au jour de son enterrement. Sans doute régulièrement entretenue par les passages de Vladimir…Vladimir dont aucun bouquet ou présent n’ornait encore la pierre. Surprit par ce retard le jeune homme dégagea du revers de la main la surface du tombeau familial enneigé et déposa les fleurs dans le vase habituellement remplit par les soins du vieil homme. Peut-être avait-il décidé d’oublier ce jour, comme il l’avait fait pour ses autres femmes.
Ravalant sa colère il parcouru du regard la liste des autres noms imprimés, s’arrêtant sur celui de Nicolaï Sergeivitch et enfin sur Alexandre Vassilievitch Liekaterinev qui précédait le vide, se demandant si son nom serait le prochain à y figurer. Il n’avait pas envie de mêler ses restes aux leurs, pas même si "Elle" aussi s’y trouvait…Il n’avait pas envie de pourrir, de disparaître avec eux…
La nuit tombait rapidement, masquant les noms, les fusionnants au marbre sombre. Il tenta une dernière fois de distinguer ce nom, ces lettres qui ne voulaient plus rien dire.
- Citation :
- « Sophia Nicolaïevna Liekaterineva 213-Tien Lô 246-Ellsworth »
Puis cédant au froid, dont la morsure atteignait douloureusement l’extrémité de ses doigts, Il se détourna et s’engagea dans l’allée qui menait à la sorti. A l’autre bout le vieil homme arrivait enfin.
En compagnie de sa petite fille.
Ambre avait eu dix-sept ans en début de semaine.
Sophia était morte depuis 6 ans.