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 La reconquête de l'espace

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Ash O'Graham

Ash O'Graham


Messages : 725
Date d'inscription : 08/08/2010


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MessageSujet: La reconquête de l'espace   La reconquête de l'espace EmptyMer 30 Mar - 0:01

[modération] Déplacement de ce sujet dans la zone 'futurs hypothétiques' même si c'est un 'passé hypothétique'. C'était trop peu technique pour figurer dans le Background Participatif x)

La reconquête de l'espace
Aérospatial post-jonctionnel


Minute zéro.
La jonction vient d’avoir lieu.
À terre, pour les cyberpolitains, c’est le chaos. Des villes entières ont disparu, les routes n’existent plus. Des morceaux d’agglomération ont été conservés, mais dépeuplées de leurs habitants, tandis que des centaines de personnes survivantes ont vu leurs quartiers disparaître…
Sur leur planète, les cybers vivaient indifféremment au sol ou dans les citadelles. À présent, tous veulent rejoindre les villes volantes, celles qui ont survécu à la jonction, pour se mettre à l’abri. Beaucoup partent en direction de la citadelle la plus proche, qu’ils voient souvent flotter à l’horizon. Beaucoup aussi, faute de savoir vers où aller – car aucune citadelle ne vole dans leur morceau de ciel – restent où ils sont : ils essayent de reconstruire, de survivre après l’apocalypse. Ils voudraient joindre leurs proches, les appeler pour savoir s’ils ont survécu. Mais ceux qui ont encore leur cellphone ne peuvent que fixer désespérément l’écran qui s’entête à afficher : « aucun réseau »…

Car dans le ciel tout a disparu. Les objets spatiaux, il n’en reste aucun. Les satellites de télécommunication ne sont plus là. Les stations, les navettes, les vaisseaux en orbite : tout a disparu. Quant aux bases de lancements, il n’y en a plus. Pistes, pas de tir, centres de commandes : volatilisées.
Sauf peut-être…

Quelque part au-dessus de la Mer de Sundi, la citadelle Æthers est intacte.
Avant la jonction, c’était une cité plutôt petite, dont la population peu nombreuse travaillait en majorité dans l’aérospatial… et qui comportait une base de lancement pour satellites. En quelques heures Æthers, qui n’était qu’un centre de lancement de seconde zone, est devenue la seule et unique base capable d’envoyer des objets vers l’espace.

Il faudra plus de cinq ans – cinq longues années, sans téléphone, sans internet – avant que le premier satellite soit prêt à partir. Les habitants d’Æthers, isolés, et conscients qu’ils étaient peut-être les seuls à pouvoir le faire, avaient mis les bouchées doubles pour que tout soit fait au plus vite. Les scientifiques avaient étudié l’atmosphère du nouveau monde pour réadapter les calculs, les ingénieurs avaient tracé les plans, les ouvriers avaient fabriqué les pièces, les machines les avaient assemblées.
Sur le tarmac de la piste de décollage, tous les yeux sont rivés sur le pas de tir. La fusée Prima, superbement blanche, pointe vers le ciel. À son sommet, à l’intérieur de la coque, se trouve Néocosmos. Il sera le premier satellite de l’ère post-jonctionnelle. Prima va décoller, traverser l’atmosphère, monter dans l’espace. Et puis, arrivée sur le plan orbital voulu, elle déclenchera automatiquement le largage du satellite, avant de se laisser retomber vers le sol. Alors Néocosmos sera seul dans le ciel…et commencera à émettre.

La fusée alluma ses réacteurs, un énorme nuage de vapeur fut soufflé au dehors… Puis elle s’éleva. Tous les regards étaient fixés sur elle, et le restèrent aussi longtemps qu’il fut possible de la distinguer. Quand elle disparu tout à fait, il y eut un moment de suspension. Puis tous les spectateurs, tous les habitants d’Æthers, se précipitèrent sur la piste de décollage en criant des hourras, et se félicitèrent les uns les autres. Ils avaient le sentiment d’avoir accompli, tous ensemble, quelque chose de grandiose, de significatif, au service de la nouvelle humanité qui avait émergé du cataclysme... Il ne restait plus qu’à espérer que les cellphones du monde entier capteraient correctement le signal.
Dans le plus grand bureau du centre spatial, dont la fenêtre donnait directement sur le tarmac, le directeur Johar Yung se laissa tomber dans son fauteuil en cuir. Pendant quelques instants encore, son regard resta fixé sur la foule qu’on voyait se réjouir, puis, lentement, il sortit son cellphone de sa poche, et le tendit à la jeune femme assise en face de lui. Elle regarda l’écran. L’indicateur de réseau clignota un instant, puis afficha : « Néocosmos, signal optimal ». Elle sourit.
« Ma chère Kali, dit Yung, nous sommes le 8 Août de la 6e année après le cataclysme. Retenez bien cette date, car elle restera dans les mémoires comme la prouesse d’une cité, et surtout…comme le début d’une nouvelle ère spatiale. »

Kali Ulamâ avait à l’époque vingt-trois ans, elle faisait des études d’ingénieur en aérospatial, était déjà titulaire de son brevet de pilote – et elle était pressentie pour être le Commandant de bord du premier vol habité post-jonctionnel. Le programme NST-1 (Neo-Space Travelling) avait été lancé depuis la fin du travail de préparation de Néocosmos, et il prévoyait d’envoyer trois humains dans l’espace à bord d’une navette, dont les premières pièces de métal étaient déjà en train d’être usinées par les industries d’Æthers : un grand pas venait d’être accompli avec Néocosmos… mais la reconquête spatiale ne faisait que commencer.

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Ash O'Graham

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MessageSujet: Re: La reconquête de l'espace   La reconquête de l'espace EmptyMer 30 Mar - 1:42

8 Août de l’an 6 après la jonction.
Quelque part en Nouvelle-Thulée.


Vyan balança les fagots qu’il venait de ramasser sur le tas de bois, puis poussa la porte de la maison. Tout le monde était là. Chacun avait son activité. Sa mère dépeçait un lapin, son père aiguisait les couteaux. Sa petite sœur était assise en tailleur au coin du feu, et jouait avec un vieux cellphone qui avait survécu au cataclysme. C’était un modèle équipé de micro-panneaux solaires, un des rares objets technologiques qui fonctionnait encore parmi ceux qu’ils avaient conservés. Nayam n’avait que dix ans, elle ne se souvenait pas de l’époque où tout marchait à l’électricité, et le casse-briques qu’elle avait entre les mains était le seul jeu électronique qu’elle eut jamais connut.
Vyan soupira et se laissa tomber sur le canapé – au moins ils avaient encore ça de civilisé. Voir sa famille réduite à vivre comme des hommes préhistoriques, cela lui serrait la gorge. Mais il faisait ce qu’il avait à faire. Il chassait, il coupait le bois, il montrait à sa sœur comment s’occuper du potager. Parfois, il partait en exploration avec son père, ou seul. Ils avaient assez vite découvert quelques autres familles dans les environs, on pouvait les rejoindre en quelques heures si l’on pédalait vite avec le vélo crevé. Ces quelques familles – les Blackson, les Aylen, les Robbin, et eux-mêmes, les Tandraya – formaient une petite communauté qui s’entre-aidait lorsque nécessaire. Il y avait aussi le vieux Bill, que les Robbin avaient recueilli un jour dans la forêt.

Les Aylen étaient un jeune couple gay. Antony et Daren avaient tous deux une trentaine d’année, c’étaient les seuls gaillards vraiment costauds du groupe. Ils partaient souvent en exploration pendant quatre, cinq, six jours – mais jamais plus, car il fallait être sûr de pouvoir revenir. Une fois ils avaient découvert, à environ trois jours de marche, un autre groupement d’habitations. En revenant, ils étaient enthousiastes : ils racontaient qu’il y avait là bas au moins une dizaine de familles, et que l’on pourrait s’installer avec eux. Alors la communauté toute entière était partie vers ce village pour voir à quoi il ressemblait.
La rencontre des deux groupes avait été un moment étrange : cela faisait presque trois ans que le cataclysme avait eu lieu, et ces gens n’avaient encore rencontré personne d’autre que les membres de leurs communautés respectives. Ils s’étaient donc apprivoisés. Des liens s'étaient créés. Mais là-bas, dans la forêt, on avait déjà construit des maisons, retourné la terre, commencé à cultiver... Déménager vers le village aurait signifié tout recommencer. Ils avaient préféré repartir.

Depuis, les deux communautés gardaient un contact régulier. Elles s’informaient des zones qu’elles exploraient pour compléter les cartes, se passaient les informations récoltées lors de leurs rencontres avec d’autres hommes. Car il y en avait d’autres, apparemment. Vyan ne les avait jamais vus, mais les Aylen, à chaque expédition, en voyaient de nouveaux. Et à leur retour, ils racontaient autour d’une grillade les rencontres qu’ils avaient faites : ils décrivaient à quoi ces gens ressemblaient, puis répétaient les conversations qu’ils avaient eues avec eux. On apprenait alors ce que ces étrangers avaient vu, fait, appris, depuis le jour du cataclysme. Ils expliquaient même, parfois, ce qu’ils faisaient avant le jour fatidique – car on aimait raconter l’avant, dire ‘avant d’être un chasseur errant, j’étais informaticien, ou chef cuisinier, ou architecte’. Les plus jeunes, comme Nayam, écoutaient avidement ces histoires venues d’un monde dont ils ne se souvenaient plus…
Mais Vyan se souvenait. Et ces histoires ne le fascinaient pas. Elles ne lui rappelaient que le goût amer d’un passé englouti.
Il avait dix-sept ans lorsque le cataclysme s’était produit. Il était dans sa chambre, sur l’ordinateur, en train de parler avec Ève sur msn – et puis plus rien. Le noir total. Et il s’était réveillé là, au milieu de cette forêt. Il reconnaissait vaguement le paysage, la forme des collines. Mais la ville entière avait disparu. Tout, jusqu’à leur maison, s’était volatilisé. Quant aux habitants... lui et sa famille était la seule trace de vie aussi loin qu’il pouvait voir. Alors ils avaient ramassé les rares objets qui traînaient par terre, et avaient commencé à survivre.

Vyan avait maintenant vingt-trois ans. Et il gardait toujours le vague espoir qu’un jour sa vie redeviendrait normale, telle qu’il l’avait espérée, telle qu’elle aurait dû être.
Son regard était posé sur Nayam, qui jouait toujours prêt du feu. Elle ne connaîtrait probablement jamais ce qu’il avait connu : la technologie, le confort, les multiples contacts humains. Les flammes du feu baissaient. Vyan se leva pour aller l’entretenir. Alors qu’il reposait la fourche en métal qui lui avait servi à remuer les braises, Nayam tira sur son pantalon : « Eh Vyan, pourquoi le cellphone il vibre alors que j’ai pas perdu ? »
Vyan eut un moment de blanc, puis un sursaut au cœur. Il arracha le cellphone des mains de sa sœur – et décrocha. Il hésita, douta pendant une seconde. Et puis, reprenant son souffle, il dit en vacillant ce mot pourtant banal qu’il n’avait pas prononcé depuis si longtemps : « Allô ? »
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