Prologue


Fielemil n’estime pas qu’il ait une vie facile. Certes, joyeuse mais surtout pas facile.
Il décroche le gros lot en étant le cadet d’une famille loufoque comme les Alean. Il a un papa de 2m50 de haut, surnommé « le nabot » par les siens, qui sont les descendants des géants. Il a une maman qui mesure d’un mètre 70, tendre et douce d’apparence mais oh dieu qui sait, ayant tous les caprices inimaginables que seules les fées peuvent imaginer. Et puis, il y a le dernier figurant, mais non des moindres : sa sœur aînée ridiculeusement petite (1m60) par rapport aux parents et d’un tempérament coléreux et sadique. Hélas, la famille Alean ne s’arrête pas là. Il faut compter aussi leurs proches et d’autres gens qui travaillent au cirque de la famille, le compte monte vite au-delà de 10 personnes. Et ceux-là, sans offense, ne sont pas moins bizarres les uns que les autres. Être entouré de ces personnes depuis son plus jeune âge explique pourquoi Fielemil a toujours eu une vie joyeuse, ironiquement parlant.
A 6 ans, le garçon a été jeté dans la cage aux lions pendant 15 minutes car il n’avait pas fini son assiette (ceci est considéré comme un crime chez les géants). A 8 ans, il a participé contre son gré à une performance de trapézistes, où il était celui qui restait toujours en l’air, être attrapé et lancé d’une main à une autre. Même si le petit Fielemil a cru que son cerveau avait glissé à travers ses oreilles et son cœur à travers ses trous de nez, il s’en est sorti indemne, mais il n’est plus le même depuis. A l’instant où il a commencé à perdre connaissance à force de rester trop longtemps la tête en bas, sa mémoire a capté une image inoubliable de ses parents. Tous les deux, très émus et très fiers de leur fils, n’arrêtaient pas de crier derrière la scène : « Il s’envole ! Notre fils, il s’envole ! ».
C’est à partir de ce moment-là, que Fielemil est reconnu officiellement comme un membre de la troupe Alean. Il fait son apparition dans la plupart des spectacles proposées, mais son rôle en réalité n’est pas plus important que celui d’un ramasseur de balles au tournoi de tennis. Le fait que sa sœur Siliathir joue la vedette depuis toujours dans son propre numéro de dompteur de fauves, provoque plus ou moins des complexes chez lui.
Au lieu de se morfondre en mangeant des cacahuètes dans une cage d’éléphants, notre jeune garçon préfère changer ce sentiment d’infériorité en quelque chose positif. Il décide ainsi de continuer de jouer des rôles modestes, voire insignifiants au cirque familiale, car il ne peut pas oublier la fierté indéniables dans les yeux de ses parents lors sa première participation au spectacle.
En même temps, il construit silencieusement son rêve, sa propre vie. Il croit de tout son cœur qu’il existe bel et bien un autre domaine où il se sentirait à l’aise, un domaine à lui, que dans lequel personne d’autre dans sa famille ne pourrait le surpasser. Si les Alean, très libres d’esprit, s’éloignent de leurs racines de technologues, Fielemil est le seul qui préfère rester fidèle à son origine. Il éprouve une passion inégalée envers toutes sortes de machines artificielles.
C’est là que Fielemil reste lui-même, invincible.
C’est là que ses complexes disparaissent.
C’est là que surgit un sentiment de supériorité envers tous les autres membres de sa famille, car pour eux, la science des technologues est très compliquée et inaccessible.

Toutefois, la vie n’est pas si simple, estime Fielemil.
M. et Mme Alean ont pris conscience de la différence de leur fils dès son plus jeune âge. Le côté paternel a crié : « ça, ça ne vient pas de chez nous ! Regardez ses membres, on dirait des coton tiges ! Oh mon Odin ! Où sont les muscles ? Et c’est quoi cette manière de manger, on dirait celle d’un chaton !! ». Le côté maternel a ajouté : « ce visage, c’est bien de chez nous, mais alors là, pourquoi tu es si gentil ? Tu ne demandes rien pour toi ? Ce n’est pas normal ! Si tu n’as pas de caprices, tu ne fais pas partie des nôtres ! ». Cet enfant se présente comme un vrai dilemme. Cet enfant n’appartient pas à leur monde burlesque, à leur vie nomade, pensent-ils chaque jour. « Mais qu’est-ce qui ne va pas chez lui ? », se demandent-ils chaque fois que Fie leur montre sa dernière invention, d’un air excité.
M. et Mme Alean aiment leur fils. Pourtant, il est difficile pour eux de pouvoir se montrer compréhensifs envers ses complexes, ses tristesses et surtout ses passions. Ils ne sont pas méchants, ni intolérants. C’est juste qu’en faisant face à des choses inconnues, ne faisant pas partie de nos connaissances, nous nous montrons tantôt hostiles, tantôt effrayés, ou totalement désintéressés. Peu de gens réussissent à surpasser ces réactions afin d’avoir une approche plus objective et en général, cela demande pas mal de temps. C’est bien triste, pourtant l’homme est comme ça.
Par conséquent, les parents de Fie, comme tous les autres parents d’ailleurs, ont tendance de proposer à leur cadet un planning plutôt prudent, qui ne plaît pas forcément au petit. Ils essayent par tous les moyens de guider le jeune garçon vers le chemin traditionnel de la famille. Ce choix va sans doute faciliter sa vie. Effectivement, tout est prêt, Fie n’a qu’à tendre les bras pour profiter de tout. Voilà, point final.
Ils sous-estiment ainsi la ténacité de Fielemil, bien cachée sous ses traits fragiles et nonchalants. A la veille de ses 17 ans, quand M. et Mme Alean lui ont proposé de donner son propre spectacle de cirque, Fielemil a annoncé calmement à ses proches son admission à l’unité des sciences deux jours auparavant. Ce qui signifiait une formation de 5 ans au sein d’un grand campus de la ville, loin de la famille.
Ce jour-là, en état de choc, M.Alean a mangé sa fourchette et son assiette, puis cassé une table, une armoire et deux chaises avant de partir abattre du bois dans la forêt voisine jusqu’à minuit. Mme Alean, quant à elle, a perdu le contrôle de son pouvoir de métamorphose à cause de sa colère. Avec un ton autoritaire, elle tentait d’empêcher le projet rebelle de son fils, en changeant d’une forme à une autre toutes les 5 minutes. Pour Fie, c’était un spectacle plus hilarant qu’effrayant. Imaginons qu’il y a 5 minutes, notre mère est en train de nous gronder pour ne pas avoir rangé notre chambre. « Pouf ». Une licorne blanche qui tient sur ces deux jambes en arrière commence à hennir hystériquement devant nous. Et puis « Pouf » encore. Un phénix enflammé bat bruyamment ses grandes ailes et chante d’une mélodie agressive que nous ne comprenons pas. Et cela continue pendant 35 minutes, avec l’apparition d’autres créatures fantastiques. Du coup, Fie est obligé de retenir son souffle tant bien que mal pour ne pas éclater de rire face à cette situation. Son visage tendu a donné satisfaction à sa mère, qui a pensé que son fils l’ avait écouté sérieusement.

Mais ce qui est fait est fait. Fielemil a quitté son nid une semaine après l’incident, a poursuivi ses études pendant de longues années, diplômé ensuite à 19 ans avec d’excellents résultats. Il loue un petit appartement aux Range-Docks et commence sa vie active en tant qu’ingénieur de construction de zeppelins et d’aéronefs. Quand il revient visiter les siens au quartier Thalisma, les Alean l’accueillent avec un autre regard, beaucoup plus respectueux qu’avant.

Voilà comment notre Fie junior a évolué en Fie jeune adulte rebelle.
Et l’histoire qui suit va raconter comment ce Fie jeune adulte rebelle va devenir un homme, un vrai…