Un petit vent tiède fit basculer la lucarne ouverte sur le ciel de ce matin d'été. Djazz était assise sur un tabouret, se débattant avec la boucle cassée de sa botte gauche. Blast, un dingo recueilli dans une décharge, la regardait d'un oeil vif car il savait qu'une balade se préparait. Il leva les oreilles lorsqu'une voix se fit entendre derrière la porte en bois de l'entrée.
"Djazz ? c'est normal qu'il y ait un cochon allongé en bas de ton escalier ?"
La jeune femme leva la tête sans lâcher la boucle de sa chaussure et signifia au visiteur d'entrer, en précisant :
"Oui. Le gros con d'en bas n'a jamais voulu le mettre ailleurs, résultat il a grossi. Des fois il se lève et se traîne jusqu'aux jardins."
Oxford apparut dans l'entrée, souriant. Il était vêtu d'un débardeur à rayures, d'un short découpé dans un vieux jean délavé et de bensimon qui avaient du être noires avant d'être recouvertes de taches de peinture. Son oeil rouge se posa sur Djazz, qui galérait toujours avec sa boucle cassée.
"Tu t'en sors ? mets en d'autres, au pire..."
"J'ai que celles-là", répondit elle en lançant un sourire contrit au garçon, qui sourit tendrement.
"T'as pas demandé à Billie de t'en acheter d'autres ?"
"Je n'y ai jamais pensé... c'est une bonne idée. Bon tu sais quoi ?"
Djazz se leva, leva la jambe pour poser le pied sur son bureau (piétinant au passage quelques feuilles), brancha le petit poste à souder qui se trouvait entre une assiette vide et un pot à crayon et attendit qu'il chauffe.
"Tu vas resouder ta boucle de botte ?"
"Oui, ça m'énerve."
"Pourquoi tu t'embêtes, va plutôt en acheter d'autres... en plus, ta semelle est usée et je suis sûr qu'elles prennent l'eau."
Djazz jeta un regard aux chaussures peinturlurées d'Oxford et leva un sourcil. Il comprit ce qu'elle avait en tête et sourit.
"Oui, mais moi j'en ai plein d'autres..."
"Bah oui, bah t'sais quoi ? avant d'aller à la falaise on va passer par chez Billie."
**
L'appartement de Billie était un ancien atelier d'artiste aménagé à l'étage d'une fabrique désafectée. Les poutrelles de fer brutes typiques des Docks rappellaient à Djazz le squat du hangar, sauf qu'ici il faisait bon et que les grandes vitres au toit éclairaient tout le salon. La porte de la chambre se trouvait en face de l'entrée, elle était entrouverte.
"Billie ?"
Djazz traversa le salon, étonnament bien rangé, et poussa doucement la porte sans regarder.
"Bro, t'es là ?"
Une sorte de ronflement parvint à ses oreilles. Elle passa la tête par l'entrebâillement et ne vit qu'une paire de fesses et des boucles blondes dépasser de l'amas de couvertures et de vêtements sur le lit. Jeffrey était dans un coin de la pièce, occupé à ranger des livres dans un sac. Il leva la tête vers Djazz.
"Tiens, salut !"
Djazz sourit. La présence de son petit ami expliquait sûrement l'ordre inhabituel dans le salon, car Billie n'était pas des plus maniaques...
"Salut Jeff ! J'étais venue lui emprunter quelques affaires..."
Jeffrey se redressa et mit le sac en bandoulière sur son épaule.
"J'allais partir en cours, là. Je pense que tu sais mieux que moi où sont les trucs !" dit-il d'un air jovial. Avant de sortir, il se pencha sur le lit et donna une grande claque sur les fesses de Billie qui se réveilla en sursautant.
"Hein, que !"
Il cligna des yeux deux, trois fois, reconnut Djazz et Jeffrey qui venait de disparaître derrière la porte. Il s'enroula dans un plaid et s'assit sur le bord du lit.
"J'suis venue voir si t'avais pas une paire de pompes pour moi, celles-là valent plus un clou, et Ox' se moque de moi"
"Ouais, deux secondes, je m'habille."
Djazz sortit et revint se planter près d'Oxford, qui regardait une petite photographie en noir et blanc aimantée sur le frigo.
"C'est toi ?"
Djazz se pencha, se reconnut et acquiesca.
"Ouais, j'avais quoi... dix ans ? Onze ?"
"C'est..."
"Quoi ?"
"Rien, rien"
Oxford sourit et alla s'installer dans le canapé.
"Alors, tu les prend ces chaussures ?"
"Deux minutes, Billie s'habille."
Oxford tiqua et fronça un sourcil vers la jeune femme.
"T'es allée voir ton frère à poil, là ?"
"Je savais pas qu'il était à poil"
"J'sais pas, c'est bizarre..."
"Ben quoi ? On a pris le bain ensemble pendant des années avant de partir de la maison, c'est pas un inconnu"
"Non ouais mais quand t'es petit ça va mais là j'sais pas..."
Djazz eut un regard confus en direction d'Oxford et décida de ne pas répondre. Billie sortit de sa chambre en pantalon avec une paire de bottines à la main.
"ça devrait être ta pointure" dit-il en les lançant à sa soeur. "Heureusement que je te garde des trucs !"
Djazz se débarrassa de ses vieilles bottes, enfila les neuves et se releva en souriant, suivie par Oxford.
"Merci ! nous on a des trucs à faire, je passe te voir ce soir"
"Nan ce soir jsuis pas là, y a la réouverture du grand casino, je peux pas rater ça, je suis sur la liste d'honneur..."
"J'peux venir ? je peux venir avec toi ?"
"Haha, si tu trouve une robe de soirée, pourquoi pas !"
Les jeunes gens sortirent et regagnèrent la rue où Djazz avait garé son véhicule. Ils s'installèrent à l'avant et la mécanicienne démarra pour gagner les falaises surplombant le lagon, attraction favorite des amateurs de sensations car l'on pouvait y plonger sans risques de plus de quinze mètres.
"Pourquoi tu te marres, Ox ?"
"Je repense à ce qu'a dit Billie..."
"Et ?"
"Et ça me fait penser à la dernière fois que t'as porté une robe. Dans une boutique d'Alestra, après avoir assomé les vendeurs. C'est marrant"
"On pourrait éviter de reparler de ça ?"
"Pour toi, ce soir, il vaudrait mieux trouver un smoking !"