It makes no difference if you're black or white
If you're a boy or a girl
If the music's pumping it will give you new life

Billie fit irruption dans la chambre, une serviette blanche autour de la taille, quelques gouttes d'eau encore pendues à ses cheveux. Il finit son couplet à tue-tête en se débarrassant de la serviette qui aterrit sur le lit.

You're a superstar, yes, that's what you are, you know it

Jeffrey avait ouvert la baie vitrée pour profiter de la chaleur de cette soirée d'été et était assis sur un tabouret, en t-shirt et caleçon, un livre de cours à la main. Il lança un regard affligé à un Billie nullement inquiet que quiconque sur le balcon d'en face ne le voie dévêtu. Ce dernier saisit une cigarette sur la table basse et l'alluma.



"Tu vas pas être en retard à ta fête ?" lança Jeffrey en tournant une page tandis que Billie passait un boxer propre, le sourire aux lèvres.
"Ne t'inquiète pas, jeune vermiceau ! Arriver quand la fête a déjà commencé, c'est le secret d'un entrée réussie."
"Ouais, et si tout le monde décide d'arriver au moment ou la fête bat son plein, tout le monde arrive au début de la fête..."

Jeffrey saisit un crayon et griffonna quelques mots dans la marge. Billie fronça les sourcils, sembla réfléchir un instant, puis haussa les épaules et passa un de ses nombreux pantalons. celui-ci était en tissu fin et doux, un peu soyeux, serré mais assez longs pour faire des plis sur ses chevilles.

Jeffrey leva les yeux et laissa son regard parcourir le dos musclé de Billie, s'arrêta sur sa cambrure où une cicatrice de brûlure encore visible s'étalait. D'après les dires du jeune homme, elle datait de sa jeunesse sur les Docks... qui n'avait pas été tendre. Billie avait toujours refusé d'expliquer à Jeffrey comment il était parvenu à sa condition de chouchou des quartiers chics de Consortium, mais il ne cherchait pas à en savoir plus. Leur relation était irrégulière, surtout du côté de Billie, mais Jeffrey s'en acommodait car il profitait de son appartement souvent vide pour étudier au calme, de son corps parfait et de sa gentillesse infinie.
En retour, Billie appréciait la compagnie de Jeffrey car il trouvait en lui la pudeur, l'affection et la quiétude qui faisait défaut aux autres hommes de son entourage; étudiant en faculté, il était également pourvu d'une culture et d'une curiosité sans limites et pour un garçon des Docks qui n'était jamais allé plus loin que l'école primaire, cette source de savoir était un cadeau béni.



Le blondinet boutonna son veston noir par dessus une chemise immaculée dont il avait retroussé les manches, chaussa des bottines noires cirées et jeta négligemment un foulard de soie rouge autour de son cou. Il passa quelques bracelets, s'avança jusqu'au balcon pour poser un baiser sur les lèvres de son petit ami, puis saisit sa veste et sortit de la chambre.
En bas, la berline aux vitres teintées l'attendait pour l'amener jusqu'au Minuit Moins Deux, dont le grand re-opening avait lieu ce soir. Un allumeur de réverbères repliait son échelle après avoir fini d'illuminer la rue, Billie monta dans la voiture qui démarra silencieusement pour se diriger vers la Grand Place, immense, pavée, que l'éclairage au gaz reflété dans les vitrines des grands magasins rendait féérique.

Comme chaque fois qu'il s'y rendait en pleine nuit, Billie sentit une douce chaleur l'envahir. A chaque fois, ses yeux brillaient comme ceux d'un gamin. A chaque fois, il pensait aux vieilles lampes à pétrole que les courants d'air éteignaient parfois. A chaque fois, il pensait à sa mère et ses vieilles robes de toile bleu pâle, toujours si belle et si fière, même quand la misère frappait. Comme il aurait voulu la porter jusqu'à un de ces hôtels, la couvrir de bijoux et de rubans de soie... Mais il n'osait pas retourner à la maison. Le paternel, bien que rude et sévère, avait toujours été aimant et juste, parfois tendre, mais Djazz et lui étaient partis en défiant son autorité... et que dirait-il s'il apprenait que son fils ne travaille pas, et pire, qu'il couche avec des garçons autant que des filles ? Il pensa aux jumeaux, qui avaient du bien grandir depuis, et au dernier-né, dont il ne se rappelait même plus le prénom... A quoi ressemblerait la famille s'il n'avaient pas été pauvres ?

"Monsieur ?"

La voix du portier tira le jeune homme de ses pensées. Il revint à l'instant présent, la vue du gratin sur le grand tapis rouge lui rendit le sourire, et il sortit, aussitôt assailli par les photographes de la presse féminine et des journaux à potins. Il se hâta d'entrer dans le casino, fouillant l'immense salle de jeux du regard... ses yeux se posèrent sur une silhouette brune, en haut des marches menant aux salons privés. Vêtue de rouge, à peine maquillée, discrète mais captivante, c'est pour elle qu'il était venu. Elle baissa les yeux vers lui, ses lèvres framboises s'étirèrent en un sourire complice et elle lui fit signe de la main de profiter du gala. Billie se détourna et se perdit dans les tuxedos et les frou-frous, tandis qu'elle disapraissait dans l'ombre d'un couloir vide.