Un grand chevalynx portant un homme et une femme surgit du bois. L'homme était Léodagan De Tigris, fils de Léonora. Il avait autour de lui un manteau noir avec des bordures d'argent. Une aiguille d'or tenait son manteau sur sa poitrine. Il avait une armure brillante avec mille écailles de dragon. A son côté il y avait une longue épée au fourreau d'ivoire, avec des entrelacs de fils d'argent blanc.
La femme était Viivy la Sang-Dragon, on la nommait Sang-Dragon car coulait dans ses veines le sang de la dragonne Azora. Elle avait une tunique de cuir sur la peau. Sa chevelure avait la couleur de la nacre. Elle avait une parure en crocs autour du cou et à la main droite un arc en coudrier avec des ornements de bronze.
Léodagan et Viivy, surpris, s'arrêtèrent devant Andreas. A côté, le chevreuil (qui n'était pas encore mort) profita de la diversion pour tenter une fuite désespérée et boitillante. Mais, sortant des buissons, le djinn de Léodagan se jetta sur lui, le décapita d'un coup de crocs et commença à laper le sang qui coulait à flot. Réclamant sa part, le loup au pelage de feu grogna contre le reptile noir, et la dragonne répondit d'une menace sifflante.
Sautant de sa monture, Léodagan écarta son djinn d'un geste :
- War-gil Tilia !
Elle grogna et alla bouder un peu plus loin. Léodagan se retourna vers Andréas
- Je vous prie d'excuser mon djinn, et d'accepter que nous partagions cette proie.
Andréas, qui éloignait aussi son loup, accepta en souriant.
- Cela s'entend ! Mon camp est dans une clairière non loin d'ici, nous pourrons y faire du feu et un bon repas.
Léodagan le remercia et se présenta sous le nom qu'Azora lui avait donné : Aveloki d'Ikalinen, puis il désigna de la main sa compagne
-Et voici Viivy, dite la Sang-Dragon.
Andreas s'inclina avec respect devant la femme dragon puis salua Leodagan d'un signe de tête.
-Andreas Stålstyrka Jonneson, répondit-il.
Le nom de la puissante famille Stålstyrka confirma ce que Léodagan avait supposé en entendant son accent : Andreas était de ceux des Terres Froides, un peuple dont les guerriers étaient réputés pour leur courage. Il n'y avait rien d'étonnant à ce que l'un d'entre eux se soit aventuré seul jusqu'ici...
***
La dépouille du chevreuil fut hissée sur le dos du chevalynx que Léodagan avait invoqué. Puis, suivant Andréas, ils se rendirent à la clairière au bord duquel coulait un ruisselet. Ils firent du feu, dépecèrent la proie et laissèrent leur part aux djinns. Le loup se délecta des abats, le museau plein de sang, tandis que la dragonne avalait la viande crue sans mâcher comme le font les serpents.
Bientôt le fumet du rôti s'éleva dans l'air et les mages purent apaiser leur faim.
Viivy fut la première à parler.
- Qu'est-ce qui vous amène aussi loin dans les terres de l'île, Andréas ?
Après un moment de silence, il leva la tête et fit du bras un geste vague.
- Peut être le besoin de surmonter des épreuves... et vous ?
- Je suis née ici, dit Viivy dont le sourire dévoilait les cannines pointues, et je suis le chemin où marche Aveloki.
- C'est le destin, sans doute, qui me mena sur Ekthranexos, répondit Léodagan. Mais pour l'heure, nous nous rendons au temple d'Athari.
Andréas hocha la tête en songeant qu'il serait sage pour lui de se rendre aussi au temple, puis il termina son morceau de viande, pour en prendre aussitôt un autre.
Quand ils eurent fini, Andréas - qui avait mangé autant que son loup - déclara en s'essuyant le menton d'un revers de main
- Je ne sais pas vous, mais je crois qu'il en faudrait un autre !
Derrière lui, la dragonne de Léodagan poussa un grognement sonore.
-Mon djinn est de votre avis, Andréas, les dieux lui ont donné la force de trois homme au combat, et l'appétit de dix hommes à la taverne !
Alors Léodagan invoqua un chien agile au bon flair. Lui et Viivy prirent leurs arcs, Andréas sa hache, et ils repartirent en chasse.
***
Trois lièvres et deux faisans plus tard, hommes et djinns furent enfin rassasiés.
Le jour déclinant, Léodagan et Viivy montèrent leur camp. Ils n'avaient guère besoin de se parler, accomplissant des gestes répétés cent fois : ramasser assez de bois pour la nuit, poser les pièges, entretenir le feu, planter les piquets et tendre la tente en cuir, étendre les fourrures...
Quand ils eurent finit, ils commençèrent un rituel de protection autour du camp. Une torche à la main, ils tracèrent de leurs pas trois cercles concentriques dont le feu était le centre. De leurs voix, Viivy chantant presque, ils incantaient pour éloigner les créatures des ténèbes.
Après avoir défait son bagage, Andréas s'était enroulé dans une fourrure. Son baluchon comme oreiller, il observait tour à tour les étoiles et ses nouveaux compagnons dans leurs circonvolutions. Il s'endormit, son loup allongé sur lui.
Le lendemain, il se joindrait à Léodagan et Viivy sur la route d'Athari.
La Sang-Dragon alla se coucher, elle aussi. Léodagan prit le premier tour de garde, restant seul près du feu. Au loin dans la nuit, il entendait les crécelles des insectes... un oiseau parfois. Plus près il y avait la présence immobile de Viivy, la respiration régulière d'Andréas, et le souffle lourd de la dragonne endormie... Le loup rêvait de chasse et gémissait parfois en remuant les pattes.
Le temps était long, Léodagan sculptait un griffon dans un morceau de bois. Il regardait les étoiles de temps à autre, attendant que le cygne soit au zenith pour réveiller le veilleur suivant.
Comme chaque nuit, il pensait à ceux qu'il n'avait pas vu depuis trop longtemps, à ceux qu'il ne reverrait jamais et qui marchaient maintenant dans l'Annwvyn. Il songeait aussi à son pays, aux plaines d'En Traoñ, aux cascades du fleuve Asson et aux grandes tours de la cité d'Hypsôma...