Cela faisait une semaine. Une semaine que Lydia était arrivée à Habiltas, avait emménagé à l’étage de son nouveau commerce. Une conclusion s’imposait, l’intérieur sentait le renfermé.
Et l’absence de fenêtres se faisait sentir, mis à part la petite lucarne de la chambre à coucher ; alors Lydia allumait des bougies, et les bougies se consumaient, puis s’effondraient en un monticule de cire.
Une semaine, sept jours. Sept longues et interminables journées s’étaient écoulées. Et Lydia était restée terrée dans l’atelier chacune d’elles, remplaçant les bougies dont la flamme mouraient, tentant en vain de sauver leur clarté jaunâtre en s’étirant le haut de la mèche.
Les yeux de Lydia ne pouvaient se détacher de cette lumière, aussi faible soit elle. Ses yeux fixant la lueur écarlate, et elle passait là des minutes, des heures entières devant. C’était si rassurant, cette brillance chaleureuse qui vous tenait compagnie, alors que des ombres tentaient de vous envelopper de leurs ténèbres douloureuses et profondes…
Et leur siège sur votre âme avait raison de vous. Ces cadavres imaginaires avec leurs mains osseuses restaient fixés à l’intérieur de Lydia sans que personne ne puisse les retirer.
Mais Lydia avait décidé d’ignorer tous les fantômes qui la hantaient. Elle était forte. Du moins, elle essayait du plus profond d’elle-même de s’en persuader.
Malgré tout, jeter un coup d’œil vers la porte suffisait à l’en dissuader. Elle ne sortirait pas.
Au dehors, il y a tant de mauvaises choses. Alors le chaos s’empare de vous, et vous êtes pris de nausées, de vertiges, de tremblements, vous ne pouvez pas vous retourner car les spectres vous en empêchent. Vous baissez la tête pour ne pas les voir, pour leur montrer que non, vous n’êtes pas faible et que vous ne les craignez pas. Que vous ne les voyez pas…mais ils sont coriaces, alors vous vous effondrez et vous éveillez en enfer.
Riza grimpa sur le banc où Lydia était assise, cette dernière toujours contemplant sa bougie. Cette étrange distraction avait aussi un autre objectif : éloigner d’elle l’idée de sortir. L’extérieur était beaucoup trop dangereux. En Dystrisia, on disait que c’était Lydia qui apportait le malheur. Les gens qui s’approchaient trop d’elle finissaient par mourir, tous le savaient. Alors tous s’éloignaient, ou changeaient de trottoir, sauf ces sales gosses qui se donnaient entre eux des défis, comme la provoquer afin d’attirer sur eux sa malédiction.
Lydia finissait par ne plus sortir du tout. Mais pourtant, il fallait bien qu’elle se nourrisse… au final, elle finit par ne plus rien avaler. Elle buvait, ne disait-on pas que c’était suffisant afin de survivre ? Enfin, à part quelques comas hypoglycémiques, sa « famine » ne la dérangeait pas. Elle s’attelait à imaginer une nouvelle pièce à synthétiser, et entreprenait sa fabrication, oubliant qu’elle devenait famélique, et que sa peau devenait plus osseuse que jamais, chose qui ne faisait que renforcer sa fragilité.
Mais ces maudites rumeurs se propageaient, et au fur et à mesure, il n’y avait plus aucun client dans la maison Sayan, si bien que Lydia songea qu’il était mieux pour elle… non, il était mieux pour tous ces gens qu’elle mette les voiles.
Cependant, depuis que la porte de son nouvel atelier s’était refermée sur elle, elle ne pouvait pas sortir. Non qu’elle voulut rester chez elle afin de s’atteler à la tâche (elle n’avait pas touché à son fer depuis son emménagement). C’était plutôt la crainte de l’extérieur, qui la retenait ainsi cloîtrée chez elle. Et les nuits étaient pénibles… insupportables pour ainsi dire. Dès qu’elle relâchait sa garde, les ombres prenaient le contrôle et s’enfonçait en elle. Alors que faisait-elle ? Elle rallumait une bougie et la regardait se consumer, vérifiait qu’elle fonde à son rythme, ni trop rapidement, ni trop lentement.

Si ce n’était pas le cas, sa nervosité reprenait le dessus et elle rabattait la couverture sur elle. Il allait y avoir un séisme, elle le sentait. Elle attendait que le plafond s’effondre sur elle et qu’elle puisse se remettre à nager dans l’oubli. Mais rien ne se passait, alors elle fixait de nouveau sa bougie. Et maîtrisait son souffle. Il ne fallait pas faire trembler la flamme, c’aurait été mal. Irrespectueux, même. Si elle était prise de tremblement, elle se mettait à parler à Riza, pour faire passer, c’était très efficace. Il suffisait de se persuader de quelque chose, même quelque chose d’absurde, pour que toute anomalie soit effacée. C’était formidable, non ? Comme les yeux jaunes de Riza étaient captivants… comme la lueur de la bougie.

Ce n’était plus possible. Lydia ne pouvait laisser sa névrose s’emparer d’elle une nouvelle fois. « Fiche moi la paix, fiche moi la paix », se répétait-elle à elle-même. Mais alors quelqu’un l’observait, et elle se retournait avec stupeur, le visage blême. Qui était cet espion, qui osait violer son intimité ? Elle saisissait une poêle et menaçait le mystérieux inconnu qui refusait de se dévoiler. La vérité : il n’y avait pas d’inconnu. Encore son imagination qui divaguait. Les inconnus, les mains, tout ça. Elle en avait assez. Alors que faisait-elle ? Elle rallumait une bougie.

Non. Non. Non. Noooon. « On arrête. Plus de bougie pour aujourd’hui. » Riza se mettait à la fixer. « Riza, sais-tu combien j’ai allumé de bougies, à ce jour ? » Riza, ne répondit pas. Ne la quitta pas des yeux non plus. « Oui, Riza, dix-neuf. Connais-tu des personnes sensées, qui n’ont d’autre occupation que d’allumer dix-neuf bougies en une journée ? ».
Pas de réponse. « Oui. Et bien, je vais en rallumer une autre. Si je n’arrondis pas le chiffre, tout sera pire qu’avant ». Et Lydia alluma une vingtième bougie. Flamboyante.

« Aujourd’hui, on va sortir »
Lydia s’était formulé ces mots dans son esprit plus d’une centaine de fois en quelques minutes.
« On ne va pas rester enfermés encore une journée, si ? » Elle observa son djinn.
« Si. »

Non. Non, c’est décidé. Aujourd’hui, on quitte la maison. On va dire bonjour aux passants que l’on croise dans la rue, et s’acheter des fruits et des légumes. Avec du poisson que l’on fera frire, accompagné d’une pincée d’épices divers. « Tu aimes le poisson, Riza ? »
C’était si facile. Il suffisait de se lever, et d’aller jusqu’à la porte. De tirer l’énorme anneau rouillé. Et de marcher dans le long couloir obscur qu’était cet extérieur. Comme si l’on faisait cela une fois par jour, que c’était si naturel que se poser la question semblait fou…
C’était fou, non ? Se poser ce genre de questions.
Alors elle se leva du banc, suivie de près de Riza (non sans vérifier derrière elle si aucun inconnu de l’observait).
Et se dirigea vers la porte. Et tout s’enchaîna, si vite qu’elle-même n’avait rien remarqué, aveuglée par sa folie grandissante. La sueur coulait le long de sa poitrine. Ca y était. Le souffle du vent glissait le long de son visage, et ses mèches de cheveux qui n’étaient pas empêtrées dans sa capeline frémissaient. Mais les regards glacés et les mains osseuses, et les inconnus… ils étaient plus là que jamais. Elle ferma les yeux et se laissa entraîner par la folie noire de son esprit.
Et là. Là.
Une main.
Sur son épaule.
Une vraie.
Pas osseuse et froide comme celle des cadavres.
Une main chaude et humaine.
Où l’on distingue le pouls comme on sent le sien la main sur le cœur.
Lydia se retourna.

C'était une belle matinée, malgré le temps un peu grisâtre. Hao avait décidé de faire un petit tour dans Habiltas, histoire de chiner quelques antiquités ou objets magiques et de faire quelques courses au passage. Elle déambulait donc dans les rues, perchée sur sa charrette que tirait son ours Teddy et accompagnée de ses deux chiens qui haletaient à l'arrière.
Elle reconnut soudain parmi les passants un de ses élèves de télépathie qui abordait d'une manière plutôt directe une petite blonde fluette qui, elle, ne semblait rien comprendre à la situation.

- Veuillez excuser mon audace, mademoiselle, mais lorsque je vous ai croisé il y a quelques instants mon coeur s'est envolé. Je craignais de ne jamais plus pouvoir dormir si je ne vous parlais pas, et...

Le jeune homme s'interrompit brusquement. Une voix l'interpelait dans sa tête. « Hé, Jéhan De Castagne ! Cesse donc d'importuner cette jeune fille. Si je ne me trompe pas sur tes intentions, il me semble que tu ne compte pas vraiment l'épouser ! »
Le sang du pauvre garçon ne fit qu'un tour. Il s'excusa en balbutiant auprès de la la fille qu'il convoitait quelques minutes plus tôt et tourna les talons. Hao s'esclaffa en voyant arriver son élève tout honteux... Il s'adressa à elle comme elle l'avait fait, à savoir par la pensée : «  - Bonjour Maître Hao... je vous prie de pardonner le manque de courtoisie de mes intentions. » « - C'est oublié chenapan ! File, et ne soit pas en retard demain ! »
L'affaire réglée, Hao reporta son attention sur la pauvre donzelle. Elle n'avait pas l'air de déborder de joie, alors que notre farfadette en avait à revendre. Pourquoi ne pas partager ?
Hao fit avancer son ours jusqu'à la demoiselle et l'interpela.
- Jeune fille, tu m'a l'air bien trop triste pour ton âge ! Allez, monte avec mamie Hao, on va faire un tour !

Lydia était sonnée. Les mots du jeune importun se mélangeaient dans sa tête, ce qui fit qu’elle n’avait rien saisi au sens de son étrange monologue. Elle tenta de reprendre ses esprits ; Et voilà qu’une petite femme aux cheveux blancs s’approchait d’elle à son tour: Deux rencontres en une journée, n’était-ce pas trop ? Et le froid, le grand froid l’envahissait. Son teint devenait plus livide qu’il ne l’avait jamais été. Les ombres et autres ténèbres infinies reprenaient le contrôle, et ses bras et jambes perdaient toute énergie. Alors elle allait s’endormir, et ne plus se réveiller. Pas dans ce monde en tout cas…
« Jeune fille… »
Qui me parle ? Lydia dévisagea avec malaise la nouvelle inconnue qui s’était approchée d’elle. Quels yeux noirs… noirs comme la nuit, la nuit sombre où les chats sortent et la pleine lune éveille les loups…
« Triste », « âge »… Elle ne comprenait que la moitié des mots de la farfadette aux allures de grand-mère sympathique et chaleureuse. Lydia se rendit compte alors que la façon dont elle regardait cette dernière était très embarrassante, alors elle détourna le regard.
Et Riza… où était cette dernière, à ce propos ? Lydia chercha partout autour d’elle, et la trouva enfin. En fait, elle était simplement à côté d’elle et n’avait pas bougé depuis que la petite femme avait accosté sa maîtresse.

***

Lydia était gênée, et n’avait ouvert la bouche depuis que « Mamie Hao », l’avait invité à cheminer dans les allées de Habiltas.
Elle avait tout simplement oublié cette sensation de se trouver aux côtés de quelqu’un… mais c’était tout de même sympathique (bien entendu, mettant à part le fait qu’elle n’avait de cesse de se retourner pour bien vérifier que Riza la suivait, et que les ombres tentaient de l’empêcher d’avancer en la retenant par les pieds). Alors Lydia levait les jambes au niveau de ses genoux à chaque pas, ce qui lui donnait là une étrange démarche. Malgré tout, cela n’avait pas l’air de perturber « Mamie Hao ».
Elle se rendit compte que cette dernière lui faisait la conversation, mais ces paroles étaient inaudibles aux oreilles de Lydia. Alors cette dernière ouvrait ses oreilles, repoussant les ténèbres qui voulaient l’empêcher d’écouter ce que la farfadette lui disait, mais seules quelques bribes de phrases lui parvenaient. Chose qui n’avait pas l’air de déranger cette dernière. D’ailleurs, Lydia était assez captivée par sa compagne, et lui jetait sans cesse quelques coups d’œil innocents, comme si elle admirait le paysage derrière elle. « Admire »… admirer était un bien grand mot pour Lydia. C’était quelque chose d’agréable, non ? Lydia n’avait plus l’habitude des choses agréables.
Se balader avec une inconnue n’était plus une habitude non plus. En réalité, ça ne l’avait jamais été. Alors elle concentra ses forces au maximum. Organisa et modela les paroles qui se formulaient dans sa tête, en les rangeant dans un ordre tout particulier, et s’adressa finalement à petite grand-mère, les mains tremblantes :
« Euh… je voulais… non, je voulais… »
Hao la dévisagea alors, souriante.
« Dîtes-moi… où sommes-nous ? »

Hao lui répondit de sa voix légèrement chevrotante.
- Oh, là nous nous dirigeons vers la Skholè des érables.

La farfadette avait fini par faire monter sa nouvelle protégée à la démarche étrange dans sa carriole. Riza, d'abord méfiant, s'était laissé amadoué par l'aura rassurante de la télépathe et ronronnait maintenant, bien roulé en boule sur la banquette (malgré la présence des deux chiens à l'arrière).
Pendant tout le trajet, la petite mamie avait parlé seule. Elle parlait du temps qu'il faisait, de celui qu'il ferait demain (qui serait sûrement meilleur), des objets traînant sur les étals, elle racontait des anecdotes sur les passants qu'elles reconnaissait...
Tout en parlant, Hao s'était intéressée à l'esprit tourmenté de la jeune fille. Elle ne voulait pas être intrusive, utiliser la télépathie sur quelqu'un sans son accord n'était pas dans ses principes. Elle se contenta d'écouter attentivement les émotions que la petite blonde laissait transparaître, d'effleurer légèrement ses pensées pour en comprendre le trouble. Le résultat de ce petit diagnostic se formula dans l'esprit de Hao par : « Y'a du boulot ma fille ! Commençons par le début. »
- Dis moi donc ton nom jeune fille. Demanda la mamie, en encourageant la petite par un grand sourire chargé d'ondes positives.

« Mon nom?»

A ce moment-là, plusieurs images défilèrent dans la tête de Lydia. Elle y était. Son nom ? Il lui rappelait tant de souvenirs, tellement enfouis au fond d’elle-même qu’un grand froid la parcourut quand elle y repensa. Son nom… et deux noms de famille laissés par ses géniteurs en guise d’héritage.
-Ly… Lydia. Lydia Farell. Je suis… je… au commerce d’artefacts. Oui, ce n’est pas très connu, je viens d’arriver. Ici… je veux dire.
Les ongles de Lydia s’étaient enfoncés dans ses cuisses. Depuis quand la présence d’autrui la mettait dans un tel état ? Depuis toujours à vrai dire. D’habitude, les gens trouvaient ça étrange, un tel comportement. Chose d’autant plus étrange, cela n’avait pas l’air de perturber sa compagne. Alors Lydia tenta, de toutes ses forces, de se concentrer sur cette dernière, et ses yeux plongèrent dans ceux de la vieille femme. Un visage aussi rayonnant… d’ailleurs pourquoi cette dernière souriait ? Y avait-il quelque chose ici, quelque chose qui la rendait aussi gaie, où était-ce simplement dans son caractère ? Elle avait l’air tellement épanouie que cela en gênait Lydia. Comme si… comme si on pouvait se satisfaire de n’importe quelle chose, c’était vraiment une personne intrigante, cette Hao.
Lydia tenta de l’écouter. Le temps ? Le temps qu’il faisait ? Réflexion. Quelle importance accorder au temps dans cette atmosphère glacée ? … Le gel envahissait la carriole. Et les Ombres grimpaient, suivaient le mouvement perpétuel des roues. Et pourtant, la farfadette n’avait pas l’air de s’en rendre compte.
Cette façon dont Riza ronronnait… Pourquoi tout le monde était-il si apaisé ? Alors que tant de mauvais pressentiments se bousculaient dans la tête de Lydia. Les ténèbres, obscures et noires, allaient tout envelopper. Et personne ne pourrait empêcher ça. Il fallait réagir, mais personne ne sentait venir le danger. La main de Lydia tremblait, chose qui attira l’œil attentif de sa compagne. Il faisait froid… bien trop froid…Et cette aura, que la farfadette semblait vouloir partager renforça cette impression.
Puis cette même sensation, comme tout à l’heure… quelque chose lisait en elle. Enfin, pas tout à fait en elle, comme une couverture de grimoire que l’on passait en revue, du haut vers le bas… C’était vraiment étrange, d’où cela venait-il ? Hao regardait pourtant ailleurs… à ce moment-là.
Les arbres défilaient, la carriole roulait tranquillement sur le sentier. Alors Lydia tenta de découvrir qui était sa compagne, ce qui se cachait sous cet aspect sympathique qu’arborait la farfadette à l’air malicieux. Quelle histoire ? Quel avait été le chemin de cette petite femme radieuse qui avait plus de quatre fois son âge ?
Alors Lydia ferma les yeux et chercha un contact spirituel.

- Haha ! On ouvre enfin la porte de son esprit ma petite Lydia ?
La jeune fille entendait clairement la voix de la mamie mais ses lèvres ne bougeaient pas.
- Il fait bien froid chez toi... Si tu le veux, nous chercherons ensemble le moyen de raviver le petit feu de ton cœur pour que la chaleur remonte jusque dans ta tête !



La petite carriole et son étrange équipage arrivèrent à destination : la cour de la Skholè des érables. Des dizaines d'enfants accoururent en voyant arriver Mamie Hao. Ils se mirent à titiller le pauvre ours Teddy, qui ne bougea pas d'un poil mais lança un long regard suppliant à sa maîtresse.
- Doucement les enfants voyons ! Teddy n'est pas un jouet !
Hao se retourna alors vers Lydia.
- Tu vois, moi il me suffit de voir tout ces petits enfants pour être de bonne humeur ! Ils sont si mignons...



- Et puis les enfants nous rappellent que l'avenir nous appartient ! Nous ne pouvons pas changer le passé mais chacun peut agir sur sa vie.
Hao hocha la tête d'un air satisfait.

Le temps se dégageait.
Les jeunes enfants qui venaient d'accourir s'étaient tous précipités sur la farfadette. Lydia était tout d'abord quelque peu embarrassée. Cela faisait trop de présences d'un coup.
La cour de la Skholè des érables: cela avait tout l'air d'un endroit sympathique, au premier abord. Cela changeait de l'atelier. Enfin, Lydia n'en était pas plus rassurée, et pressait le pas pour rejoindre Mamie Hao, à présent entourée d'une petite multitude d'enfants de tout âge.
Mamie Hao sourit, ce qui fit douter Lydia d'autant plus, mais pourtant l'apaisa.
Quelques jeunes visages innocents se tournèrent alors vers elle. Lydia déglutit silencieusement, c'était un peu gênant... elle tenta alors un demi-sourire, enfin plutôt elle rehaussa les commissures de ses lèvres. Ce n'était pas désagréable. Mais il y avait tout de même (pour elle) se quoi être perturbée.
Des sifflements résonnaient en écho dans la tête de Lydia. Malgré cela elle essaya de garder une allure normale et malgré le froid qui l'envahissait, elle avança d'un pas et se décida à aller saluer les enfants.

Les enfants étaient curieux et ce n'était pas une petite blondinette timide qui allait leur faire peur. Ils n'hésitèrent donc pas à aller questionner celle qu'ils voyaient déjà comme une future compagne de jeu.
- Dites, comment vous vous appelez ?
- Heu... Lydia.
- Moi je m'appelle Ronan.
- Et moi Lisa
- Tu sais jouer à saute-mouton ?
- Et à colin-maillard ?
- Et au franc du carreau ?
Assaillie de question, Lydia était un peu désorientée et ne savait que dire. Elle essayait de formuler une réponse mais les enfants avaient déjà commencé à se disputer sur le choix du prochain jeu. Le brouhaha des enfant surexcités commençait à la faire paniquer. Après quelques minutes interminables, Lydia fut finalement libérée par la cloche marquant la fin de la pause. Les enfants s'en allèrent un peu frustrés mais ne tardèrent pas à passer à autre chose.

Lydia et Hao se retrouvaient à nouveau seules dans la cour maintenant vide...
- Wouaf !
Enfin, avec les deux chiens de Mamie Hao, l'ours Teddy et Riza bien sûr.
Après autant d'agitation, Lydia restait un peu étourdie, avoir vu autant de monde puis soudain plus personne... Elle alla s'asseoir près de Hao pour se remettre de ses émotions. La farfadette lui laissa quelques minute puis reprit son programme d'activité.
- Alors ma petite, ça te dirais d'assister à un cours de télépathie ?

Les enfants étaient rentrés, et Lydia prit le parti d'aller s'assoir aux côtés de "Mamie Haô". Finalement, elle avait pu mettre de côté les Ombres pendant un temps, et bien que les enfants étaient bruyants, elle ne put s'emêcher de ressentir de la sympathie à leur égard. Elle s'était privée de compagnie pendant si longtemps... et la, il y avait tant de monde, qu'elle en était étourdie. Toute l'agitation de ces dernières minutes s'était changée en un silence assourdissant aux oreilles de la jeune fille, mais sa compagne ne paraissait pas s'en soucier particulièrement.
-Alors ma petite, ça te dirait d'assister à un cours de télépathie? lui demanda-t-elle finalement, armée de son grand sourire chaleureux.
A cette question, Lydia fut troublée (enfin, plus que de moyenne) et ne sut que répondre. La télépathie... Son frère lui avait montré quelques bases, étant plus jeune, bien qu'il n'avait aucune notion de cet art mystèrieux. Et puis un cours, ça sous-entendait... des gens, beaucoup de gens, un tintamarre atroce, une obscurité chaotique, et les ombres profiteraient du fait qu'elle soit désorientée pour prendre possession de son corps, de son âme, puis elle disparaîtrait et...
-Alors?
La jeune fille fut rappelée à la question de la vieille femme, désarçonnée.
Elle eut une pensée pour son commerce. Aurait-elle le temps de s'en occuper? Elle regarda Riza.
-Euh... c'est d'accord.
Mamie Haô lui adressa un grand sourire.

Les élèves se turent instantanément lorsque les deux femmes entrèrent dans la salle de classe. Il n'y avait ni table, ni chaises, seulement des tapis et des coussins sur lesquels les enfants étaient installés. Hao alla s'asseoir et ses élèves vinrent former un arc de cercle devant elle, puis sur un signe de la grand-mère, Lydia les imita. Tout cela se déroula dans un silence complet, un silence si profond que l'adolescente en oubliait presque de respirer. Les enfants regardèrent Hao, puis la jeune fille. Soudain, des dizaines de voix raisonnèrent en chœur dans la tête de Lydia en un cordial « Bonjour Lydia ! » Et sans que personne n'ait prononcé un mot. Elle sursauta, regardant autour d'elle pleine d'incompréhension. Hao lui expliqua avec un sourire rassurant bien qu'un peu amusé.
- Dans mon cours, les élèves n'ont le droit de parler que par télépathie. Ils apprennent ainsi à s'écouter les uns les autres et à exprimer clairement leur pensée comme ils pourraient le faire en parole... Il est normal que tu sois déstabilisée, essaye juste d'écouter pour commencer.

Le cours commença, il s'agissait en réalité d'une sorte de discussion... mais en télépathie. Hao posait des questions et organisait la conversation. Mais parler de conversation n'est pas le terme exacte... Comme Lydia ne semblait pas bien comprendre ce qu'il se passait, la mamie lui expliqua :
-Vois-tu Lydia, la télépathie permet une communication plus vaste et plus rapide que le langage : on peut échanger des sons, des images, des souvenirs et des idées directement sans l'intermédiaire de la parole. C'est pour cela que cette technique demande une discipline d'esprit considérable : transmettre ses pensées à un autre demande d'avoir les idées claires !

Les idées claires?
Mais pourquoi c'était si déstabilisant? Ce silence... C'était embarrassant de se trouver ainsi, au milieu de tant de gens... certains enfants, pleins de bonnes intentions, se retournaient vers elle de temps en temps. Lydia, elle, espérait de toutes ses forces que les ombres ne se manifesteraient pas immédiatemment.
Elle souffla, et tenta de rester sereine, du moins quelques secondes.
Il était vrai que c'était agréable, et qu'il y avait quelque chose de rassurant dans l'ambiance de cette pièce. Elle se devait de l'admettre.
A l'écoute de ces discussions pour le moins peu communes, elle tressaillit. Ca avait quelque chose de fascinant, voire grisant, mais l'effroi que lui procurait toutes ces nouvelles choses lui fit perdre le contrôle.
Elle jeta un coup d'oeil vers Mamie Hao. Cette dernière semblait s'être aperçue de son embarrassement, et sa difficulté à se montrer à ce moment-là, mais elle se contenta de garder son sourire habituel. Cela avait au moins eu le mérite de rassurer Lydia, qui reprenait confiance peu à peu et se remit à écouter les conversations télépathiques.
Certains élèves maîtrisaient la chose à merveille, se dit-elle. Si elle aussi pouvait s'exprimer aussi clairement...
Hélas, ce n'était pas le cas.
Visualiser ses idées... les faire parvenir à autrui...
Mamie Hao était animée par tellement de bons sentiments...
Lydia tenta de se faire une image de son propre esprit. C'était... y avait-il un mot pour décrire toute cette noirceur? Elle déglutit et se remit à écouter le cours.