«
J’y vais pas ! »
Sa mère frappa de nouveau avec rage contre sa porte.
«
Ouvre moi ! Ouvre ! »
«
Casse toi ! Je te dis que jme sens pas bien ! il se démerdera tout seul ce vieux con ! »
«
Seth… je te préviens je vais démolir ta porte ! »
Un coup puissant aux sonorités métalliques résonna dans la chambre de l’adolescent. Sa mère devait maintenant s’attaquer au rempart avec une chaise du couloir…Un autre coup.
«
Mais putain arrêtes ! t’es malade tu vas… »
La serrure céda dans un craquement sinistre laissant apparaître Nina Liekaterinev, essoufflée, décoiffée, enragée…une chaise fermement serrée entre les mains.
« Tu vas te lever et nous allons ensemble chez Vladimir,
maintenant ! »
Soupirant il attrapa son portable au vol et passa devant sa mère, bloquant avec difficulté la claque qu’elle comptait lui infliger, et traversa le couloir sans enthousiasme. Il était fatigué et commençait à en avoir marre des convocations aléatoires du vieil oncle. Son traitement était de moins en moins efficace et il aurait préféré profiter de son weekend pour se reposer…ou faire autre chose qu’analyser les documents comptables désespérément ennuyants du mafieux.
« Et arrêtes de faire la tête… depuis ce que tu as fait à Boris tu sais très bien qu’il n’a plus confiance en toi et… »
« Ouais je sais…je change de masque… »
Il fit un large sourire débordant d’hypocrisie à sa mère. Il avait l’habitude maintenant, un comportement différent par interlocuteur, à chaque fois un costume adapté à la situation. Le vrai Seth n’existait pas.
Sur un ordre vociféré de Nina au chauffeur la voiture démarra.
***
Il ne comptait plus les heures, les jours qu’il sacrifiait à cet objectif qu’on lui avait imposé.
Il était le meilleur, il n’avait pas le choix. Tout ça devait finir par lui appartenir, son existence n’avait de sens que dans cet unique et terrible objectif. Elle n’avait de sens que par la reconnaissance puis la mort du Parrain. La succession.
Il jeta un coup d’œil désespéré à son cellphone constatant qu’il avait maintenant plus de 10 minutes de retard, puis poussa l’imposante porte du bureau de Vladimir. Le vieil homme redressa lentement la tête et lui fit un bref signe, lui indiquant de s’asseoir en silence.
« En retard. »
« Je sais… »
« Tu as 2h… »
Le mafieux lui tendit une liasse de papiers administratifs. Encore et toujours les mêmes choses…les ordinateurs faisaient très bien ce genre de travail comptable, alors pourquoi s’entêtait-il à lui faire faire manuellement…
« Un problème Seth ? »
« Non aucun… »
Il soupira et examina rapidement la première fiche, refusant le crayon que lui proposait son oncle. Il n’en avait pas besoin. Il se souviendrait de l’intégralité des chiffres qu’il allait traiter ici, il allait encore remplir sa tête de données inutiles pour faire plaisir à un vieux patriarche qui semblait tellement s’amuser à voir ses proches s’entre déchirer pour lui paraître brillant…
« Ligne 5 page 6, y’a un problème le compte n’y est pas… c’est encore le même trader que la dernière fois… »
« C’est exact. »
« … Vous avez déjà fait comparer ces documents n’est-ce pas ? »
« En effet »
« C’est quoi l’intérêt que
je recommence alors ? »
« ça t’apprends à comprendre la signification « d’ordre hiérarchique ». Je veux que tu recommences. »
« … »
Un pantin. Pour sa mère, pour cet homme. Un objet qu’on passe de main en main, d’un côté en targuant de ses qualités, de l’autre en essayant de les rabaisser. Il n’avait rien à dire, il ne pouvait rien dire.
Ils le paieront tous. Seth se crispa sur sa chaise.
Il avait mal, une fois de plus.
Il s’entoura de ses bras, baissant la tête pour ne pas hurler. Le vieil homme ne réagit pas, se contentant de toussoter légèrement pour lui signifier de revenir rapidement au document qu’ils examinaient. Il respirait difficilement, chaque inspiration éveillant d’avantage la douleur que la précédente.
« Tu en as pour longtemps ? »
Le ton était faussement condescendant, emplit d’une forme de satisfaction haineuse glaçante. Prenant sur lui l’adolescent se redressa et tenta de se concentrer sur le papier, mais les chiffres lui semblaient flous et il ne parvenait à canaliser son attention sur autre chose que la brûlure intense qui croissait dans sa poitrine. Il ferma les yeux. Le Parrain posa une large main sur son épaule, une main qui n’avait rien de conciliante, un geste qui sous couvert de commisération lui interdisait simplement de faiblir, le forçait à revenir à la réalité qu’on lui imposait depuis son plus jeune âge.
La réalité de Vladimir Sevastianev.
Il se dégagea difficilement, commençant à tousser, et s’effondra aux pieds de son grand oncle. Il croisa un instant les yeux gris et froid de Vladimir qui le regardait de haut comme un insecte que l’on s’apprête à éradiquer d’un simple geste du pied.