Le corps de Kim reposait, déjà raidit, installé dans le fond du caisson vétuste que l’on accordait aux morts de basse extraction. Son fils était prostré dans un coin, le regard perdu dans le vide. Les magistrats pénétrèrent dans la petite maison sans même un regard pour l’enfant. Le nécromancien s’empara du couvercle et referma le catafalque. Au bruit des morceaux de bois s’entrechoquant le jeune garçon s’anima brusquement, et se jeta sur le prêtre en hurlant.
« Laissez la ! Ne la touchez pas !!! »
La main d’un prévôt s’abattit durement sur son bras, le forçant à laisser l’homme achever sa macabre besogne. Il se débattait comme une furie. On le jeta dehors.

Le jeune Octantin s’écrasa douloureusement sur le sol enneigé aux pieds des escaliers, se remettant debout d’un seul bond, bien décidé à empêcher ces hommes de lui retirer sa mère. Mais un mur venteux s’éleva entre lui et la porte, le faisant tomber lourdement sur son séant. Il tourna la tête et aperçut la vieille magicienne à l’origine du sortilège.
« Kirié ! Ils veulent l’emmener ! »
« Et alors ? Qu’est-ce que tu espérais en faire ? Tu ne vas pas l’empailler, fils.» Répondit-elle avec fermeté en aidant l’adolescent à se remettre sur pied. Son visage était strié de profondes rides et ses cheveux blanc sel s’accordaient au gris sombre de ses yeux. Elle respirait la sagesse et la sérénité. Elle poursuivit avec calme :
« C’est finit Aaraon. Terminé. »
« Mais…Je veux pas…pas comme ça ! Ils vont la brûler Kirié ! Ils vont la condamner à l’enfer !»
« Ne dit pas de bêtise..Sottises que tout cela…et quand bien même ! As-tu l’argent pour payer une cérémonie ?Pour racheter une suicidée ? Alors à quoi te servirait-il de la laisser pourrir dans ta maison ? »

Il commença à pleurer, ses larmes gelant à moitié sur son visage, collant ses longs cheveux sur ses joues. Il tremblait. L’ancienne jeta un coup d’œil désapprobateur à la tenue rapiécée qu’il portait et couvrit ses maigres épaules de sa cape de fourrure.
« Tu vas attraper la mort enfant Corberyan. »
« C’est déjà fait… »

Il se tourna lentement, observant par la fenêtre le travail des prêtres qui s’activaient. Le maître nécromant cloua avec application les angles de la caisse en bois clair, condamnant la jeune suicidée à la nuit éternelle. Les deux officiers vêtus entièrement de blanc saisirent le cercueil sans plus de solennité afin de l’éloigner au plus vite des vivants, la guerre avait déjà fait de nombreux ravages et les cadavres étaient véhicules de bien des miasmes. L’adolescent les regarda passer devant lui, serrant les dents, sentant le désespoir l’envahir au rythme des secondes qui s’égrainaient. La neige recommença à tomber.

« Si seulement…j’étais arrivé un peu plus tôt…j’aurais pu la sauver »
« Et tu l’aurais condamnée à milles morts sur cette terre. Il ne faut jamais empêcher de partir ceux qui ont décidé que l’heure était venue. »
La vieille femme se retourna, traversant d’un pas chaloupé la petite cour, maugréant à l’adresse de l’enfant :
« Rentre chez toi fils ! »

Aaraon resta seul, se couvrant lentement de flocons blancs qui se perdaient dans la masse claire de ses cheveux. Il avait froid. Mais certainement moins qu’ « elle ».