Le soleil doré scintille à travers les rideaux pourpre, accompagné de tous les reflets sur les vitres et plus loin l'océan. Cette clarté tranquille qui illumine le bureau est des plus rassérénante pour le consul qui lève la tête de ses dossiers et s'accorde une courte pause. Arcturus repousse sa chaise, va à la fenêtre et écarte doucement les rideaux.
Il se fait vieux… Ne serait ce qu'il y a quelques années, il pouvait sans problème rester assis des heures d'affilée et se concentrer sur les problèmes de l'Etat ou de la famille. Maintenant, toutes les deux heures, son dos et ses yeux viennent lui rappeler qu'il serait temps de trouver un successeur. C'est dur à supporter ça, de ne plus pouvoir assumer le pouvoir durement conquis. Et de toute façon, y en a-t-il seulement un qui soit en mesure de prendre le relais ? Seul…
Il ouvre la fenêtre. Le vent puissant le saisit, chasse la mélancolie pour ne laisser que le roc, celui qui a toujours résisté et résistera toujours. Il est seul oui, et il est vieux, mais il est toujours là et son rôle n'est pas terminé. Arcturus sourit, il s'apprête à retourner travailler.
On frappe à la porte.
Tandis qu'il se retourne, signifiant d'un geste au garde d'ouvrir la porte, le déplaisir d'être ainsi importunément dérangé se peint sur son visage. C'est un messager qui entre, vêtu de l'uniforme de l'ambassade de Cyrène à Ellsworth. Ses bottes sont sales, son pantalon et sa veste dérangés, sa chemise un peu débraillé : il a couru et s'il a pris la peine de souffler avant d'entrer, il ne s'est pas préoccupé de sa tenue. Il tient à la main, un peu méfiant, un paquet grossier. L'intrusion n'est pas des plus banales… Intrigué, Arcturus s'approche du messager qui s'est spontanément redressé et attend, discipliné, qu'on lui adresse la parole. Arrivé en face de lui, il demande :
" Qui vous envoie, et par quelle raison êtes vous si pressé que vous n'avez pas même réajusté votre tenue avant d'entrer ?
- Je vous prie de m'excuser, Consul, mais c'est l'ambassadeur lui même qui m'envoie vous remettre ce colis et il m'a signifié que la commission ne souffrait aucun délai."
Tout en prononçant ces mots, le messager tendait son paquet, qu'Arcturus saisit. Il avait visiblement été ouvert puis refermé, et portait les mots "A destination de monsieur d'Alimbertès". Sous ses doigts, il pouvait sentir une texture poisseuse qui ne lui inspirait rien de bon. Il écarta les pans mal recollés entre eux, et la couleur marron du sang séché vint confirmer son intuition première. Le choc mit le feu à sa combativité à l'instant ranimée. Il s'écria :
" Qui a envoyé ça ! "
Puis, reprenant aussitôt son calme, il fit signe au messager de disposer, et aux gardes de refermer la porte. Il s'approcha d'une desserte libre, sur laquelle il posa le sanguinolent présent. La rage qu'il venait de maîtriser continuait de bruler en lui, et surmontait son dégoût. Cela faisait longtemps qu'une injure pareille, qu'un défi pareil, ne lui avait pas été lancé. Il voyait maintenant, derrière le sang, la peau et les cheveux. C'était un scalp qu'on lui envoyait ! Il plongea la main à l'intérieur, et brisant la croute de sang coagulé, remonta l'horrible trophée. Cela est clair désormais, il s'est laissé aller ces dernières années, il a négligé certains dangers. Mais la colère remonte en lui, et l'énergie avec. La sève remonte dans les vieil arbre. Le printemps revient.
Un morceau de croute tombe à terre. Le regard d'Arcturus fait l'aller retour entre son pied et sa main, accroche au passage un détail : le morceau de peau à l'instant révélé est tatoué. Et ce tatouage n'est pas anodin. Pour en avoir le coeur net, il brise soudain la croute autours, au mépris de la pluie de miettes qui inonde sa toge. Le résultat ne laisse pas la place au doute : c'est à un fils de la famille qu'appartenaient ces cheveux. Il n'est plus question de passer la main, c'est une guerre qui se prépare et celle là il doit la mener.