[Dans les épisodes précédents : après son retour d'Ekthranexos, Léodagan a atterri au CAMI où il a croisé Satinka. Depuis son arrivée au centre il reste plus ou moins cloitré dans sa chambre... Là, c'est la nuit.]

Elles sont tout autours de moi comme des fantômes, elles me regardent en silence avec leurs grands yeux couleur de sang. Mon souffle s'arrête et se saccade sous ces présences invisibles.
Où que j'aille elles me fixent : je les vois dans mon dos. J'ai beau courir, elles sont toujours là...
Et c'est mon âme qu'elles chassent de leurs hurlements.

Léodagan se réveilla en sursaut, les mains crispées sur les draps. Il se redressa sur son lit, aux aguets. Il reteint sa respiration quelques secondes dans le silence et la pénombre. Ce n'était qu'un rêve, encore. Il se rallongea, épuisé par ces nuits de cauchemars et d'insomnies.

A l'aube il n'avait pas retrouvé le sommeil, guettant par la fenêtre la lente arrivée de la lumière. Il posa son front contre la vitre froide, de la buée apparaissait sur le carreau puis se dissipait, au rythme de sa respiration... Il regarda les premiers rayons du soleil franchir l'horizon avec un soulagement mêlé de lassitude.

Il s'assit sous la fenêtre et laissa errer son regard.
Je ne devrais pas être ici, ma place n'est pas ici. Je n'ai rien à faire dans un centre de réfugiés.
Tout était pourtant simple : il suffirait qu'il frappe aux portes du castel et qu'il dise son nom. Il reprendrait son rang et son chemin serait tracé... Mais Léodagan ne se sentait pas prêt à affronter des mondanités et assumer sa vie publique alors qu'il ne s'imaginait guère marcher dans la rue. Et puis se présenter à un prince en si piètre tenue était inconcevable.
Pourtant il fallait bien sortir un jour : marcher, parler, vivre à nouveau... Mettre un pied devant l'autre. Par où commencer pour réapprendre à vivre parmi les hommes ? Sans argent on ne fait pas grand chose. Léodagan ne possédait rien d'autre que ses fragments de chimères d'Ekhranexos, mais la valeur de ces choses n'était pas des moindres et la directrice du centre lui avait parlé d'un homme qui les achetait... il faut bien commencer par quelque chose, pourquoi pas cela ?
Menant cette réflexion, Léodagan se décida à sortir, malgré ses appréhensions.

Le bruit, la foule et les odeurs violentes de la ville aveuglaient sa raison. Marcher, marcher sans trop réfléchir, suivre simplement le plan et atteindre son but.


Il ne s'était pas perdu mais la traversée de l'immense quartier lui avait tout de même semblé interminable. C'est donc avec soulagement qu'il pénétra dans la boutique qu'il cherchait, faisant tinter une clochette. L'endroit semblait désert. Léodagan prit le temps de reprendre son souffle et d'apprécier le calme feutré qui contrastait avec l'agitation extérieure.
L'atmosphère du lieu lui rappelait un vieux laboratoire d'invocateur ou un cabinet de curiosité de quelque noble excentrique. Un peu comme les pièces de son château natal abandonnées depuis des décennies et dans lesquelles il jouait étant enfant... Un de ces endroit où le temps semble suspendu.

Un vieil indien surgit de l'arrière boutique. Il s'intégrait parfaitement au décors, aussi mystérieux et aussi poussiéreux que ses étagères. Léodagan n'avait jamais vu de Kwanaïn mais cela faisait longtemps qu'il ne s'étonnait plus des apparences...
-...Yhuk'ta Shwarin ?
-Lui-même jeune homme... Que puis-je pour toi ? Répondit l'indien avec un petit air suspicieux tout en s'approchant du comptoir.
-Votre amie Satinka m'a laissé entendre que vous pourriez être intéressé par... ce genre de choses. Répondit Léodagan en montrant le contenu de son sac au vieil homme.

Une lumière s'alluma dans les yeux de l'indien...

Une journée s'était écoulée depuis qu'il avait quitté Hao avec la résolution de raconter ses histoires aux élèves de la Shkolè et, tout en réfléchissant à la meilleure manière de les tourner, Yhuk avait entrepris de ranger un peu sa boutique comme le lui avait conseillé sa vieille amie. Il remarqua pour lui-même que les deux opérations se complétaient : chaque objet lui rappelait un souvenir oublié, et chaque souvenir l'incitait à retrouver un objet enterré. Et, dans les deux cas, il s'agissait de réordonner un lieu auquel il n'avait pas touché depuis longtemps : ses étagères et sa mémoire.
Quelle histoire pourrait-il bien raconter aux enfants quand il les verrait ? Cette pensée le ramena soudain à une autre époque. C'était il y a plus de dix ans, lors du voyage qui l'avait amené jusqu'à Range Harbor. Il était à bord d'un navire mage, et s'était étrangement lié d'amitié avec un petit gamin rouquin qui lui réclamait sans cesse des récits d’aventures... Il se rendit soudain compte qu'il n'avait d'ailleurs jamais terminé sa dernière histoire, celle de la sorcière de l'île. Argana avait été distrait, le navire avait accosté au port de Thalisma, et dans la confusion le vieil homme et le gamin s'étaient séparés pour jamais.
L'histoire de Djourka la sorcière, voilà ce qu'il raconterait aux gosses de l'école !

La clochette de l'entrée tinta. Un client. Yhuk abandonna son arrière boutique pour surgir au milieu du bazar qui régnait encore dans la pièce principale. Un jeune homme se tenait là, presque un jeune garçon, pensa Yhuk, tant on sentait que la vigueur et la force n'en étaient encore qu'à leurs balbutiements dans ce corps en croissance. Il n'avait pas l'air d'un voyou, plutôt d'un chien perdu. Peut-être venait-il acheter un gri-gri qui lui porterait chance ? Yhuk décida de jouer les vieux connaisseurs à l'œil subtil.

- ...Yhuk'ta Shwarin ?
- Lui-même, jeune homme... Que puis-je pour toi ? répondit-il en affichant un air à la fois amusé et inquisiteur.
- Votre amie Satinka m'a laissé entendre que vous pourriez être intéressé par... ce genre de choses.

Au nom de Satinka, il comprit que le gamin séjournait probablement au CAMI, et à la vue du contenu de la besace qu'il tenait ouverte, il comprit que Satinka avait fort bien fait de le lui envoyer. Les yeux brillant d'une curiosité qu'il n'avait presque plus besoin de feindre, un sourire mystérieux aux lèvres, Yhuk se cala derrière son comptoir et fit signe au garçon d'approcher :

- Montre-moi ça, gamin, allez montre.

Le gamin susnommé s'approcha, et posa sa besace sur le comptoir. Le sac était fabriqué comme une grosse bourse, si bien que Yhuk n'eut qu'à détendre entièrement le lacet de cuir qui le tenait fermé pour découvrir entièrement son contenu. Il y avait beaucoup choses : quelques plumes, des touffes de poils, une écaille, une dent, deux ou trois os...

- Ekhtranexos ?

Le gosse hocha la tête en fermant les yeux, comme pour encaisser des souvenirs douloureux. Avait-il séjourné sur l'île, seul et sans protection ? Un rapide coup d'œil permit à Yhuk de repérer de larges entailles sur son bras, fraîchement cicatrisées. Son corps, comme son esprit, gardait des traces de ce qu'il avait vécu... L'histoire de ce garçon s’annonçait intéressante, il allait falloir songer à la lui faire raconter. Mais, pour l'instant, les fragments de chimères :
Le vieux Kwanaïn, bien qu'expert, ne réussissait pas tous les identifier. Une plume orangée appartenait sans nul doute à un rouge-gorge à jabot de braises. L'écaille était celle d'un barracuda rampant à épines bleues. Deux des touffes de poils appartenaient à deux races distinctes d'ours nains à dents de sabre. Quant au reste...c'était plus difficile à dire. Il y avait un poil qui ressemblait fort à une moustache de félin, et qui appartenait peut-être un lynx hypnotiseur – mais rien de certain. L'os le plus petit avait l'air d'une côte de rongeur, et Yhuk penchait pour le ragondin carnivore, mais une fois encore il doutait. Son esprit expérimenté passa ainsi en revue toutes les possibilités pour chaque objet, et bien qu’il restât souvent dans le doute, certaines de ses hypothèses l’enthousiasmaient grandement. Il leva la tête :

- Petit, tout ceci m'intéresse.
- Je le vois. Combien me donneriez-vous pour le tout ?

Le gamin n'avait visiblement aucune idée de la valeur de ce qu'il proposait.

- Je ne sais pas encore, je n'ai pas tout identifié. As-tu vu les créatures auxquelles ces choses appartiennent ? Ou bien as-tu trouvé les morceaux sans leurs propriétaires ?
- Je les ai tous vus de mes yeux, sauf... - Là, Léodagan désigna l'os de rongeur et la dent – ...sauf ces deux-là.
- Fort bien, alors tu vas pouvoir m'aider... As-tu un peu de temps devant toi ?

Léodagan acquiesça.
Sa dragonne était restée dehors pendant le début de la conversation, il la fit rentrer. En la voyant l'indien montra une légère impression de surprise puis il esquissa un sourire : la situation semblait l'intéresser de plus en plus.

Du temps, Léodagan en avait, et bien qu'il n'eût aucune envie de replonger dans ses souvenirs, il suivit l'homme derrière le comptoir... Refuser aurait été un manque de respect.

Tillia, malgré sa taille, montra une agilité exemplaire et ne renversa pas la moindre breloque sur son passage. Elle vint s'enrouler sous la table autour de laquelle les deux hommes s'installèrent. L'indien avait prit son grimoire de classification zoologico-magique, qui semblait être un exemplaire bien rempli. Il commencèrent donc à chercher quelles étaient ces fameuses chimères...

Ils tournaient les pages du vieux livres relié et certaines hypothèses du kwanaïn se vérifiaient : la barracuda, les ours... Mais ce qu'il avait pris pour une moustache était un crin d'unicorne,



la dernière touffe de poils appartenait à un paresseux géant vert,



quand aux plumes l'une d'elle était celle d'un achillobator, dit autruche-lézard...



Cela n'était pas un exercice agréable pour Léodagan. Lorsqu'il reconnaissait une créature, de mauvais souvenirs refaisaient surface ; alors il passait plus rapidement à la page suivante.




Mais, soudain, il s'arrêta.

Il jeta un rapide coup d'œil l'indien puis en revint au livre, comme pour vérifier s'il ne s'était pas trompé. Oui, celle-là aussi il l'avait vue. On parlait tellement de cette fameuse créature rare et de ses pouvoirs que Léodagan était abasourdi d'avoir aussi un souvenir à rattacher cette l'image.




J'avais pénétré, sans m'en rendre compte, le territoire d'une créature dont je ne pouvais alors imaginer l'existence. Au détours d'un buisson je me suis trouvé soudain nez-à-nez avec une énorme bête à mi-chemin entre l'ours et le taureau.



Le prédateur abandonna la proie qu'il avait sous la patte, une petite bête poilue, pour pointer ses gros naseaux vers moi...
J'ai perdu connaissance au premier choc.

Je me suis réveillé sans une égratignure. Sur le moment je n'ai pas compris comment cela était possible. En ouvrant les yeux j'avais en face de moi une créature tout aussi effrayante que la précédente, mais nettement moins agressive. Elle était accompagnée de la boule de poils qui était visiblement son petit. Nous sommes restés un instant à nous regarder, puis ils ont rapidement disparu dans les fourrés.

Il est maintenant clair que j'avais vu ce jour là une mère Garihr et son petit. J'avais du, sans le vouloir, sauver la vie du petit en détournant l'attention de l'ours-taureau. En remerciement la mère m'aura soigné après avoir fait fuir le prédateur...

Tillia commença à s'agiter sous la table, elle gronda doucement. Plongé dans ses souvenirs Léodagan prenait lentement conscience de ce que ce signifiait sa découverte. Des émotions liées et contraires apparurent : l'espoir immense de soigner un jour son djinn et la crainte secrète d'échouer une fois de plus.

Le gamin venait de s’immobiliser devant l’image d’une créature. Le Garihr. Et à nouveau il était perdu dans ses souvenirs, comme absent. Cela ne pouvait signifier qu’une chose : qu’il l’avait vu. Il avait vu le Garihr.

Le vieil homme resta silencieux – il ressentait soudain pour le jeune mage ce profond respect qu’inspirent ceux qui, sans le savoir, possèdent un don extraordinaire. Au cours de sa longue vie, Yhuk n’avait rencontré qu’une seule personne capable d’invoquer le Garihr. C’était une femme, une femme qu’il avait aimée, à l’époque où il vivait à Dystrisia. C’était la fille d’une mage invocatrice, et d’un médecin armilianais qui s’était exilé pour pouvoir épouser une personne d’une autre caste. Prise entre deux cultures, la jeune femme avait voulu réconcilier les dons de ses deux parents, et le Garihr était devenu pour elle le symbole du lien secret qui unissait la magie aux élixirs alchimistes. Voir le Garihr, pouvoir l’invoquer, tenter de comprendre la nature de sa magie par le biais de connaissances alchimiques, tel était le but qu’elle s’était fixé. Son expédition vers Ekhtranexos – au sein d’une mission d’exploration chargée de répertorier et de classifier le plus grand nombre de créatures possible – avait duré plusieurs années, et elle n’en était pas revenue indemne. Mais elle avait vu le Garihr, appris à le convoquer et, lorsque Yhuk l’avait rencontrée, ses recherches avançaient sur une base solide. Il se demanda si elle avait finit par découvrir le secret du Garihr. Après toutes ces années elle avait sûrement…quitté ce monde.
Les souvenirs se terminaient toujours ainsi.
Passé cinquante ans, il faut cesser de croire que le passé a un avenir.
Son regard se porta à nouveau sur Léodagan. Mais le présent, lui, a toutes ses chances.

« Tu as vu le Garihr, n’est-ce pas ? »

Le jeune homme hocha lentement la tête.

« C’est une chance que les dieux t’offrent. C’est une épreuve aussi. L’invocation du Garihr est longue, difficile à apprendre, délicate à pratiquer… Le pouvoir de cette créature est grand, mais il n’est encore qu’une graine plantée dans ton cœur. Tu dois en prendre soin, cultiver le souvenir, l’entourer de magie, le nourrir par tes sorts et tes incantations, trouver enfin les mots qui pourront le faire surgir de toi. »

Les graines ne poussent pas au milieu de l'hiver... Elles sont écrasées par la terre gelée.

-Jamais je ne serais capable d'invoquer une telle créature.
Léodagan se leva soudain, referma le livre et se dirigea vers la sortie... L'indien esquissa un geste pour le retenir, mais ce ne fut pas nécessaire : la dragonne du jeune homme poussa une longue plainte qui le stoppa net. Alors il revint sur ses pas et s'agenouilla près d'elle.



-Ignosce Tillia, mea culpa... Sed... vires mihi desunt... non sum tua. Murmura-t-il. Les dieux sont exigeants... et je suis fatigué des épreuves.
Mais il faut pourtant que j'essaye, pour toi, mon djinn, ma soeur qui est si forte. Pour que nous puissions à nouveau voler ensemble.
Tillia grogna doucement et étendit ses ailes, laissant ainsi voir ses blessure et pourquoi ce garhir était si important.



Léodagan prit une grande inspiration, se leva lentement et retourna s'asseoir à la table du vieil homme qui le regardait en silence.


-Comment trouverais-je le courage et le temps que me demande cette invocation, alors que les chimères comme l'avenir m'effraient... ?
L'indien lui inspirait confiance et Léodagan éspérait, sans se l'avouer, qu'il lui viendrait en aide.

« Comment trouverais-je le courage et le temps que me demande cette invocation, alors que les chimères comme l'avenir m'effraient... ? »

Les enfants sont fragiles. Le destin est cruel. Ekhtranexos excite le sang chaud des adolescents, puis les laisse froids et morts comme une dépouille gelée. Jayke ne devait jamais y aller. Ce garçon était trop plein d’effroi. Yhuk se revoyait au même âge, voulant invoquer toujours plus, conquérir, aller de l’avant. Comment un enfant, un être si plein de promesses, pouvait-il avoir peur de ses pouvoirs et de l’avenir ? Une jeune âme doit être vive, volontaire – mais quelque chose s’était brisé.
Le garçon ne disait plus rien. « Comment trouverais-je le courage… ? » avait-il murmuré. Et ses paroles raisonnaient dans le silence. Il cherchait de l’aide. Quelque chose. Quelqu’un à qui s’accrocher. Jayke, lui, ne demandait jamais d’aide. Il n’avait besoin de rien, il se débrouillait seul. Même quand il avait des ennuis, il restait fier, et refusait la main tendue. Mais ce jeune homme-là était différent. Il ne bouillonnait pas de feu, il ne tremblait pas d’ardeur, il ne cherchait pas le danger. Il était fatigué et inquiet, mais il voulait tenir debout.
Yhuk ressentit une pointe de culpabilité lorsqu’il s’aperçut qu’il comparait son propre petit-fils, le fruit de son sang, avec un parfait inconnu, et que son cœur penchait pour le second… Mais si Jayke lui ressemblait par le physique, il se sentait plus proche de l’autre par l’esprit.

« Comment t’appelles-tu ?
- Léodagan. »

Un nom bien noble pour un être égaré.

« Quel âge as-tu ?
- Dix-sept ans. »

Une vie bien courte pour avoir déjà tant épuisé.

« D’où viens-tu ?
- …De trop loin. »

Une réponse bien amère pour un esprit si jeune.

« Je peux t’aider », murmura Yhuk. Le garçon ne sembla pas entendre. Peut-être n’y croyait-il même pas. « Je n’en ai peut-être pas l’air, gamin, mais je suis un homme sage et un invocateur puissant. Les chimères que tu crains, je les ai domptées. L’avenir qui t’effraie, il est derrière moi. Le Garihr dont tu as besoin pour ton djinn…je sais comment l’invoquer. »

[HRP : Ce message et la deuxième version d'un post sensiblement... raté. Ceux qui l'ont lu noterons que l'issue en est notoirement différente...]


L'invocation, le devoir, Tillia, Ekthranexos, l'honneur, ce vieil homme qui semblait vouloir l'aider... Il y avait trop de choses en même temps, trop d'enjeux. Léodagan ne parvenait pas à réfléchir clairement, ses pensées s'emmêlaient. Il laissa son regard perdu errer sur les étagères. Os, plantes séchées, objets divers... Il y avait beaucoup de choses d'Ektranexos, vraiment beaucoup, et chaque objet appelait dans son esprit une image de l'île.
Pourquoi suis-je venu ici ?! Se demanda-t-il brusquement.
Tout ces restes de chimères lui semblait soudain sauter vers ses yeux, son esprit leur redonnait vie : les crânes se mettaient à rire, les plumes frémissaient et les fourrures se tortillaient aux murs. Chaque détails s'accrochait à lui comme un fil d'araignée...
Léodagan se sentit glisser vers un de ces cauchemars éveillés, qui sont bien plus effrayants que ceux desquels on peut se réveiller.
Il ferma les yeux... mais le noir qu'il voyait sous ses paupières ne faisait que lui rappeler une forêt, une forêt ténébreuse d'Ektranexos. Elle était à la fois déserte et mouvante, emplie de lianes qui se croisaient et s'arcboutaient en laissant pendre leurs tentacules griffues. Un labyrinthe de silence et de noirceur empli d'une terreur lente, immuable et liquoreuse qui lui avait presque fait presque regretter la course et les crocs des bêtes. Aucune lumières, aucun son, dans ce lieu qui semblait même absorber le temps. C'était une jungle sombre et sans vie où les lumières d'espoir n'étaient que des pièges ou des mirages. Chaque bruit, chaque vie, était étouffée. Et Léodagan s'était retrouvé enlisé dans le noir en ne voyant comme seules perspectives : être lamentablement étranglé pendant son sommeil ou sombrer dans la folie...

Il se força à rouvrir les yeux, croisant le regard du vieil invocateur toujours assis en face de lui... Il fallait lui répondre quelque chose.
Mais comment pourrait il m'aider ? L'invocation... c'est impossible, je ne pourrais pas.
Les souvenirs de Léodagan concernant sa dernière invocation était parmi les pires qu'il eut d'Ektranexos, et ils ressurgissaient à leur tour. Cette situation était à la limite du supportable. Il n'entendait plus que les coups de son cœur qui se débattait entre les griffes de ses côtes. Sa seule envie était courir, de fuir et de quitter cette pièce qui le faisait suffoquer. Mais le regard du vieil homme le retenait et l'obligeait à se maîtriser pour ne pas perdre contenance. Léodagan dû faire appel à toute sa volonté pour parvenir à formuler une réponse correcte.

-Maître Shwarin... Je respecte l'étendue de votre sagesse... Mais la différence entre savoir et pouvoir est trop grande dans mon cas. Répondit-il en détournant à nouveau les yeux.

[nécropoooooooooost]

Le regard fatigué de Yhuk'ta Shwarin s'attarda sur la figure à présent fermée du jeune homme. Il ne semblait plus rien vouloir, plus rien que fixer le sol pour s'abriter du monde derrière ses cheveux en bataille. Est-ce que cela valait la peine d'insister ?

Si le garçon parvenait un jour à invoquer un Garhir, ce serait un grand bien pour lui-même et pour ceux qui l'entourent, pour son djinn... Mais son âme paraissait découragée, meurtrie, lointaine, son coeur n'avait plus confiance en lui-même. Et Yhuk'ta doutait d'être encore assez têtu pour forcer à se mouvoir ce jeune corps déjà lourd comme un vieux roc ancré au fond de l'océan.

« Cesse de te comporter comme une vieille carcasse qui se traîne, jeune homme. Ton esprit est blessé mais ton corps est debout. Ton djinn a besoin de toi. Tu dois essayer. »

Léodagan resta silencieux, comme absent. Et en même temps il avait l'air très nerveux. Yhuk se le leva.

« Va-t-en. Va réfléchir. Tu reviendras demain, à l'aube. Ou tu ne reviendras pas. »

Léodagan eut un mouvement d'hésitation.

« Tu n'as pas entendu ? J'ai dit dégage ! » s'emporta soudain le vieil homme.

Il aggripa le garçon par son vêtement pour le forcer à se lever puis le poussa dehors avec son dragon.

« A l'aube ! N'oublie pas. »

Et il claqua la porte.



[HRP/ faudra qu'on discute vite fait de la suite irl x) /HRP]