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 Pour que la brûlure cesse, il faut retirer la main du feu

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Koryll d’Abyad ‘Ahad

Koryll d’Abyad ‘Ahad


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MessageSujet: Pour que la brûlure cesse, il faut retirer la main du feu   Pour que la brûlure cesse, il faut retirer la main du feu EmptyVen 8 Juin - 3:53

Orion Sartel.

Adossée au mur crasseux de la taverne, les traits dissimulés par l’ombre de sa capuche afin de ne pas attirer inutilement l’attention - ses cheveux et, surtout, les couleurs vives de Yar passaient rarement inaperçus – Koryll observait l’homme qui s’affairait dans la ruelle. Âgé d’une quarantaine d’années, plutôt courtaud et bedonnant, le fait d’empiler des cageots vides semblait lui coûter un effort suffisamment conséquent pour rendre son visage rouge et luisant. Alors qu’il s’arrêtait pour souffler et éponger son front pour la énième fois, la jeune fille se demanda pour quelle raison curieuse on pouvait ressentir le besoin de le voir mort. Enfin, elle ne s’était jamais préoccupée des motivations de ceux qui employaient ses services, ça ne l’intéressait finalement pas plus que cela.

A vrai dire peu de choses l’intéressaient désormais, en dehors de sa survie immédiate et de la présence de son djinn auprès d’elle. Autrefois, elle aurait sûrement fait preuve d’un peu plus de curiosité envers l’étrangeté de Range Harbor et de ses habitants, mais aujourd’hui cette curiosité avait plutôt laissé place à de la méfiance. Trop de choses inconnues la surprenaient chaque jour pour qu’elle puisse cesser un tant soit de peu de se tenir constamment sur ses gardes. Tout ce qu’elle savait de ce Sartel, c’était que sa mort lui rapporterait une certaine somme d’argent, et cette information lui suffisait amplement.

Yar resserra ses anneaux autour de son cou, et la jeune fille apprécia le mouvement de ses écailles lisses contre sa peau, y puisa une certaine assurance. Elle porta la main au niveau de la tête du serpent et effleura son crâne du bout du doigt, puis la laissa retomber le long de son flanc, ses doigts se refermant alors sur le manche du poignard qu’elle portait à la cuisse.

L’homme déposa un dernier cageot au sommet de sa pile, puis s’arrêta un instant pour s’éponger à nouveau le front. Puis, enfin, gagna le fond de la ruelle dans l’intention de rejoindre son domicile. C’était le moment que Koryll attendait. Aussi silencieuse qu’une ombre, elle se glissa derrière lui, lame à présent dénudée, lame qu’elle s’apprêtait à lui plonger dans le dos.
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Yhuk'ta Shwarin

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MessageSujet: Re: Pour que la brûlure cesse, il faut retirer la main du feu   Pour que la brûlure cesse, il faut retirer la main du feu EmptyLun 11 Juin - 22:18

La taverne Aux Dés Jetés était un repère de magiciens aussi joueurs que buveurs. Le bois des tables était frappé par les choppes, les pièces d’or misées dans la partie et les lancers de dés en os qui ricochaient. On jouait aussi aux cartes, au jacquet ou aux échecs. L’atmosphère du lieu était généralement chaleureuse. Mais à cette heure-ci, les choses pouvaient facilement dégénérer au gré d’un mauvais perdant alcoolisé. Yhuk ne tarderait pas à partir.

Il était venu pour affaire, bien qu’il aimât parfois jouer un peu lui aussi. Son acheteur, un nain étrangement grand pour sa race, à la barbe blonde tressée, lui avait commandé des dés d’une nature un peu spéciale. Truqués ? Non. La triche était un procédé à la fois immoral et risqué… Mais ils pourraient parfois biaiser légèrement la partie.
Les petits cubes que Yhuk venait de poser sur la table, taillés dans du bois de cerf, contenaient chacun en leur cœur la pointe d’un calamus – c’est-à-dire la base solide d’une plume. Le premier dé contenait un calamus de tourterelle, le second de mésange, et le troisième d’oie. Les créatures n’étaient pas rares, mais leur association, justement proportionnée dans un réceptacle propice à la magie, était un talisman qui porterait chance à son possesseur.

Le nain faisait rouler les dés dans sa petite main rugueuse, vraisemblablement pour vérifier leur qualité. Yhuk, patient, se laissa distraire et regarda par la fenêtre. Adossée au mur extérieur, une silhouette encapuchonnée était immobile. Étrange. Par cette même fenêtre, il vit passer la forme rondelette de l’homme qui gérait les stocks d’alcool des Dés Jetés – un dénommé Sat’rel, ou Sartel. Yhuk l’avait déjà vu quelques fois : quand il ne travaillait pas, l’homme venait parfois jouer aux cartes dans la taverne. Ce n’était pas un mauvais bougre, mais comme joueur, il était assez mauvais et avait accumulé un certain nombre de dettes...

Finalement le nain sourit dans sa barbe. Satisfait, il glissa discrètement une petite bourse en cuir entre les mains de Yhuk. La glissant dans sa poche, le vieil indien lança un coup d’œil à la silhouette à capuche : son immobilisme l’inquiétait de plus en plus. Adressant un bref signe de tête au nain, il se leva rapidement et sortit.

Il n’y avait plus personne devant la taverne : la silhouette avait disparu, Sartel aussi. Ça sentait l’assassinat à plein nez. Yhuk n’était pas un justicier mais s’il pouvait éviter un crime, il s’en mêlerait. La vieillesse l’ayant rendu trop lent, il invoqua prestement un chien des rues et l’envoya en reconnaissance, se glissant dans son esprit pour voir ce qu’il voyait.

En quelques foulées, le cabot fut au bout de la ruelle sombre; puis il tourna dans un coude sans issue. La vue de l’animal distingua aussitôt deux formes humaines, dont l’une, furtive, dégainait un couteau. Ne réfléchissant pas plus longtemps, Yhuk fit courir, aboyer et bondir le chien.
La silhouette encapuchonnée, déséquilibrée, tomba au sol sous l’assaut de l’animal. Alerté par les bruits, Sartel se retourna : voyant l’assassin et l’arme, il partit en courant.

Quand Yhuk arriva au bout de la ruelle, la silhouette à capuche donnait un coup de couteau au chien : il fit disparaître l’invocation avant que l’arme ne touche sa cible. Puis, esquissant quelques gestes, il convoqua un serpent qui s’enroula autour de l’assassin pour l’immobiliser. La queue du serpent souleva la capuche pour révéler son visage…

- Une jeune fille, en plus ! À croire que cela devient une mode, comme les cheveux rouges !... lâcha Yhuk en repensant à une certaine jeune femme d’origine pirate. Je sais ce que tu vas me dire,continua-t-il. Que tu n’es qu’un exécutant. Mais il y a de plus louables moyens de gagner sa vie. Ton regard est intelligent, tes mouvements sont subtils. Ta peau comme la mienne dit que tu viens de loin. Ne crois-tu pas qu’il y a mieux à faire de ton habileté que de la louer aux plus vils ?

Le serpent dénoua son étreinte. Mais il restait menaçant.

- Allez, vas-t-en.

La jeune femme resta immobile un instant. Puis disparut dans les ombres.
Yhuk, resté seul, laissa s’évanouir son invocation et fit demi-tour pour rentrer chez lui.

- La jeunesse ! soupira-t-il en soulevant sa cape pour parler à Tsantza. La jeunesse !
- Ouep, un ramassis de meurtrières sexy, une honte ! répliqua la tête réduite.

Yhuk, consterné, referma sa cape au nez de son djinn.


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Koryll d’Abyad ‘Ahad

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MessageSujet: Re: Pour que la brûlure cesse, il faut retirer la main du feu   Pour que la brûlure cesse, il faut retirer la main du feu EmptyVen 3 Aoû - 2:32

Quand venait le moment d’ôter une vie, aucune considération particulière ne venait habiter l’esprit de Koryll, plutôt même une sorte de vide, de détachement. Aussi, lorsque retentirent les aboiements du chien, ce fut comme si elle venait d’être tirée brusquement d’un état second, et, interdite, eut à peine le réflexe de se retourner que l’animal bondissait sur elle, la plaquant à terre. Poussant un juron dans son dialecte, elle tenta de poignarder l’animal avant qu’il n'ait le temps de la mordre ; un chien qui lui bondissait ainsi dessus sans raison, il avait forcément la rage ou quelque chose. Mais à sa grande surprise, il se volatilisa et elle ne rencontra que le vide.

- Une invocation ! lui siffla Yar à l’oreille.
- Qu’est-ce qu-

Elle venait de remarquer l’homme debout devant elle. Mais celui-ci ne lui laissa guère le temps de se reprendre ; il venait de convoquer un énorme serpent qui s’enroula prestement autour d’elle, l’immobilisant complètement. Affolée et immobilisée, elle ne put guère empêcher l’animal de découvrir son visage ; c’est cependant une expression définitivement féroce qu’elle offrit à son assaillant.

L’homme qui l’avait attaquée accusait un certain âge, mais c’est surtout sa tenue et sa peau basanée que remarqua la jeune fille. Ça et le fait qu’il était, comme elle, un invocateur. Son expression se radoucit, se fit plus neutre. Koryll se garda de dire quoique ce soit et le laissa parler sans essayer de l’interrompre. Sa façon de se tenir, ses manières, la façon dont il était en train de la réprimander (car c’était bien d’une réprimande qu’il s’agissait) la perturbèrent bien plus qu’elle n’aurait souhaité l’admettre. Ce bonhomme qui lui rappelait douloureusement les aïeuls de sa propre tribu était en train de soulever exactement les questions qu’elle n’avait pas eu envie de se poser jusque-là.

Lorsqu’il eut dit ce qu’il avait à dire, le serpent qu’il avait invoqué relâcha Koryll. Celle-ci se releva prestement, tandis que Yar se déroulait légèrement afin de pouvoir mieux dresser sa tête au-dessus de la sienne. Elle fixa l’inconnu, un peu déboussolée, puis sembla prendre une décision, qui fut celle de disparaitre prestement.

Un peu plus loin, elle s’affala dos contre un mur et se laissa glisser contre lui en position assise, tête entre les genoux. Elle se sentait mal. Ou plutôt elle ne savait plus quoi penser. Jusqu’ici, elle avait avancé sans vraiment se poser de questions. Range Harbor hein ? Koryll n’était au fond rien d’autre qu’une gamine du désert perdue dans un monde qu’elle ne connaissait pas et qu’elle ne comprenait décidément pas. Quand ce type, un jour, avait aperçu les poignards qu’elle portait attachés aux cuisses et qu’il lui avait proposé de régler une petite affaire pour lui, elle s’était dit pourquoi pas. Tuer ne la dérangeait pas. Elle se sentait comme vide de toute façon, alors qu’un inconnu vive ou meurt, qu’est-ce que ça pouvait bien lui faire. Bien sûr que ses parents n’auraient pas approuvé cette manière de gagner sa vie, et alors ? Ils étaient morts. Koryll s’était débrouillée jusqu’ici sans que rien de tout cela ne l’affecte particulièrement, et voilà que cet homme qui avait l’air aussi déplacé dans le cadre de la ville qu’elle-même, cet homme qui était un invocateur en plus …

- Raah !
- Qu’est-ce qui t’arrive Koryll ? C’est pas la peine d’être impressionnée par ce vieux comme ça hein, c’est le genre d’invocations que tu es capable de faire toi aussi.
- Ça n’a rien à voir, idiot. … C’est juste que …
- Que quoi ?

Koryll sentit que Yar lui-même était perturbé de la voir dans cet état. Sans lui répondre, elle se releva. Par où était-il parti, le vieux ? Il fallait qu’elle le retrouve. Et ensuite. Ensuite … elle aviserait.

Prestement repartie sur ses pas, elle ne tarda pas à retrouver l’invocateur, qu’elle aperçut un peu plus loin dans la rue, en train de marcher tranquillement.

- Qu’est-ce que tu vas faire ? Tu vas l’attaquer ? demanda son djinn avec espoir. Il n’avait visiblement toujours pas digéré le fait de s’être retrouvé impuissant sous les anneaux d’un serpent plus gros que lui.
- Quoi ? Mais non ! Je sais pas.

Pour l’instant, elle se contentait de le filer discrètement, ne sachant trop pourquoi d’ailleurs, ni ce qu’elle espérait. Peut-être fallait-il qu’elle l’aborde, mais pour lui dire quoi ?
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Yhuk'ta Shwarin

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MessageSujet: Re: Pour que la brûlure cesse, il faut retirer la main du feu   Pour que la brûlure cesse, il faut retirer la main du feu EmptyJeu 13 Sep - 11:09

Yhuk entra dans sa boutique et referma à clés derrière lui. Il traversa la pièce, laissée dans un désordre familier, et passa le rideau de perles en bois qui menait à sa chambre. Il respira profondément en regardant le peu qu’il avait : un lit sommaire, un emplacement pour le feu, quelques étagères. C’était suffisant. Pour lui qui avait vécu toute sa vie sans rien d’autre qu’un baluchon, posséder des murs lui semblait déjà incongru. Sa seule richesse résidait dans les objets précieux et porteurs de magie dont il se faisait le gardien.
Lentement il se dévêtit, enfila son vêtement de nuit, un peu triste de remarquer qu'il préférait se cacher à lui-même ce corps vieillissant qui ne lui appartenait plus qu'à moitié. Puis il se coucha, souffla la chandelle et chercha le sommeil.

Avec l'âge étaient venues les nuits courtes, qui duraient à peine quelques heures. Cela donnait à sa vie un rythme étrange : il s'endormait vers minuit, comme la plupart des habitants de la ville, mais se réveillait ensuite à quatre ou cinq heures du matin, quand tout était désert et silencieux. Alors il se levait, s'habillait, buvait un thé, puis commençait à travailler sur les artefacts en cours de fabrication dans son atelier : il taillait, polissait, sertissait... Sa journée était déjà bien entamée lorsque, touche par touche, la ville s'éveillait au son des voix et des premiers commerces qui animaient les rues.

Ce soir-là Yhuk mit un moment à s'endormir. Il songeait à l'incident qui avait eu lieu un peu plus tôt, à cette jeune mercenaire qu'il avait empêchée de tuer un homme. Il espérait que son petit discours moralisateur avait fait mouche, et que la gamine était rentrée chez elle. Mais peut-être qu'à cette heure-ci, elle avait retrouvé sa proie et lui plantait un couteau dans le cœur... Qui sait ?

Il soupira, repensant à l'époque où, jeune naïf, une péripétie comme celle-là lui aurait semblé une grande aventure : il aurait certainement pris son rôle tant à cœur, qu'il aurait discrètement suivi la jeune fille jusqu'à être sûr qu'elle ne commettrait pas son méfait. Mais à présent il n'avait plus cette énergie, plus cette foi dans l'impact qu'il pouvait avoir sur le monde. Il en avait déjà fait assez. Ses actions n'avaient plus la force des barrages qui dévient le cours du torrent. Elles étaient une pierre jetée dans le ruisseau. Elles étaient un passe-temps avant la mort.
Sur cette pensée, il s'endormit.

*

La nuit silencieuse passa sur Thalisma. Tandis qu'à la Citadelle les voitures et les tramways circulaient sans discontinuer, qu'à Consortium les discothèques et les trafics tournaient à plein, tandis qu'à Alestra les navires de commerce partaient ou arrivaient en pleine nuit, le quartier des magiciens se taisait un peu, laissant l'ombre respirer.

Yhuk s'éveilla un peu avant l'aube. En un vieux rituel, il se leva, s'habilla, prépara son thé. Pour cela il mit sur le feu la bouilloire technologue qu'il s'était procurée quelques années auparavant, puis monta les marches de l'escalier qui menait à la terrasse aménagée sur son toit. C'était là qu'il faisait pousser ses plantes aromatiques et qu'il les laissait ensuite sécher au soleil. Il s'en servait pour le thé, pour la cuisine et pour le calumet.

Ce matin-là, près des grilles sous lesquelles il faisait sécher ses feuilles de jasmin, il eut la surprise de découvrir une silhouette endormie, roulée en boule sous une grande cape sombre. Près d'elle, un serpent coloré roulé en spirales. En soulevant la capuche, Yhuk reconnut les cheveux rouges et la peau couleur de sable. Au moins elle n'était pas en train d'assassiner quelqu'un. Il la secoua doucement par l'épaule.

« Eh, gamine, qu'est-ce que tu fais là ? »
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