Ash O’Graham était un homme d’une intelligence voluptueuse. De la moindre de ses réflexions, remarques, et probablement de la moindre de ses pensées émanait une aura de finesse, presque d’érotisme. Il avait un goût esthétisant pour les belles choses, les belles personnes, les belles formules, à tel point qu’il semblait ne pas percevoir le monde de la même manière que le reste des mortels, mais filtré à travers un voile qui rendait toute chose précieuse ; même la plus sale et plus profonde misère était pour lui matière à un discours enivrant. Ainsi en sa compagnie tout paraissait plus intense. Lorsqu’il parlait de politique, son cynisme était suave. Abordait-on l’amour qu’il vous faisait ressentir une douce aigreur. Le sexe, et il employait subtilement les mots, les regards, qui faisaient naître en chacun un frémissement involontaire.

C’est ainsi que Sarah Beylin le voyait, alors qu’elle ne le rencontrait que pour la troisième fois dans l’un de ces cocktails qui rassemblent la haute société de Technopolis. Elle songea d’ailleurs qu’il était habile car elle le voyait mêler, dans le flux de ses échanges mondains, la caresse de l’âme aristocratique technologue avec la crudité presque vulgaire de l’esprit cyberpolitain. Il plaisait donc à tout le monde, les amusait, riait avec eux ou les intéressait à ses boniments.

Pour toutes ces raisons Sarah était tombée amoureuse de lui, et avait décidé de se l’accaparer. Elle aimait penser qu’il avait une sensibilité acérée, qu’il était doux et cruel à la fois. Elle n’avait probablement pas tort. Elle le désirait pour cela. Elle souhaitait goûter cette part de luxure qu’elle sentait poindre derrière la moindre de ses remarques badines.


C’est certainement parce qu’elle était l’une des rares personnes à l’avoir si bien cerné, si justement compris et si promptement aimé, qu’il avait fini par remarquer sa présence, s’était intéressé à elle, l’avait appréciée, et qu’ils s’étaient finalement fiancés – bien qu’il ne parvint pas à éprouver envers elle des sentiments d’admiration aussi profonds que ceux qu’elle avait pour lui, car son cœur était depuis longtemps fané.