>début<

Il faisait nuit noire sur le port de la Spiazza. Une nuit comme un puit sans fond, qui engloutit les rares rayons de lumière encore présents dans la baie. Les quelques bateaux amarrés se balançaient doucement au gré des vagues qui affluaient du large. Quelques marins s’étaient déjà endormis sur les ponts, bercés par le balancement, et pourtant attentifs au moindre bruit suspect. Car derrière leur façade d’ivrognes aux nombreuses blagues salaces, il y avait toujours le bon soldat prêt à défendre son fort. Leur château, c’était les bateaux. Quiconque envisagerait de s’y attaquer serait immédiatement refoulé, et non sans douceur.
Le Leborean, lui, n’avait pas besoin de s’inquiéter. Tous savaient qu’il était corsaire, et non pirate, alors on avait plus de mal à s’y attaquer parce que la peur de se retrouver en prison était bien plus forte que la peur de mourir avec honneur. Car, oui, mourir après un affrontement entre pirates, c’est la plus belle des fins pour eux. Il n’y a pas meilleur moyen pour se faire un nom. Beaucoup ont tendance à croire que les pirates – en plus d’être des hommes sans foi ni loi – sont des lâches qui n’ont pas vraiment de jugeote. Au contraire, il s’est révélé que le monde de la piraterie s’ouvrait de plus en plus à des gens cultivés, pleins de ressources, et véritablement dangereux.

Drake Calahaan avait laissé ses hommes danser, boire et chanter sur le pont, cette nuit-là. Lui il s’était cultivé tout seul, bien malgré son ascendance de roturier. Il essayait d’oublier son passé dans les livres de capes et d’épées qu’il dévorait le soir très tard, de trouver un peu d’amour dans les romans à l’eau de rose, de comprendre le monde en relisant des traités de géographie reconnus… Bref, il n’en avait pas l’air comme ça, mais Calahaan n’était en rien un simple d’esprit. Bien sûr, il comptait toujours sur son physique pour plaire, plus que sur son intelligence, et parfois il la cachait aux yeux des autres pour se montrer plus vulnérable, pour ne pas avoir l’air de comprendre tout ce qui était dit devant lui.


Drake jura, se pencha une nouvelle fois sur le carnet de bord, jura encore, puis le referma brutalement. Il avait laissé le soin à Murielle d’écrire les derniers événements et tout ce qu’elle avait trouvé à dire ne concernait que ses fesses !



Il rouvrit le cahier et relut une dernière fois le texte en question :

«« Aujourd’hui, 18 avril 257. Après s’être chargés de convoyer une cargaison de tapis contrefaits tout droit venus de Néfer-Sund, nous rentrons à Range Harbor les poches pleines. Le Capitaine était particulièrement ravi et je crois bien qu’il n’a jamais été aussi sexy depuis que je le connais ! Son pantalon moulait ses fesses parfaites, si fermes… Aaaah, que de plaisir de passer mon temps à l’observer ! Si j’avais été plus jeune, je m’en serais bien fait mon quatre heures, mais il se trouve qu’il n’est pas intéressé par les femmes plus mûres… Dommage. Il en apprendrait sûrement plus avec moi sur les questions de l’amour qu’avec toutes ces petites peronnelles qui traînent parfois devant le bateau en se tortillant le derrière. »»

Il se redressa, frissonnant. Il l’imaginait sans peine en train de le mater ouvertement sur le pont principal. Le pire, c’est qu’elle n’avait pas honte ! Comment avait-il pu être assez stupide pour la prendre à son bord ? Cette fois-ci, elle avait carrément dépassé les limites de l'outrage envers sa personne.

« Murielle !! »

Silence. Puis on entendit quelqu’un se presser vers la porte de sa cabine. Elle s’ouvrit à la volée, révélant l’écrivain de l’équipage, un grand sourire étrangement satisfait aux lèvres.
Drake se leva, le teint pâle, et prêt à se défendre si elle tentait de l’approcher de trop près. Il savait qu’elle était capable de tout envers lui, et bien qu’il fut son capitaine.

« Tu vas arrêter d’écrire de telles cochonneries ! Je t’ai engagée pour que tu retranscrives nos missions dans le carnet de bord, avec sérieux et objectivité, et toi tout ce que tu trouves à faire c’est de m’écrire un de ces trucs… comment on dit déjà… Pornographique ? On n’est pas chez les Cyberpolitains ! »

La vieille femme resta immobile, une cigarette au bec, toujours aussi souriante. Elle ne semblait pas le moins du monde regretter ce qu’elle avait fait.

« Vous savez bien que ce sont les alchimistes qui sont les plus dépravés à Range Harbor… »

Drake tilta, soudain embarrassé. Le rouge lui était monté aux joues. Il tenta de le cacher en se détournant à moitié, une main sur le visage.

« Allez, avoue, continua Murielle, avoue que tu as aimé lire ce que j’ai écrit ! »

Il frappa son bureau du poing.

« Ça suffit ! Je ne suis pas d’humeur à écouter tes vicieuses pensées ce soir ! »

Elle siffla tout en haussant les épaules.

« Ça fait des mois que tu n’as pas touché à une fille… Je l’ai bien remarqué que tu es en manque… Cesse d’en avoir honte. On a des besoins, c’est tout à fait naturel. »

« Oui mais toi ce qui t’amuse le plus dans cette affaire, c’est de me torturer en me le rappelant ! La prochaine fois qu’on aura une mission je te débarquerais sur l’une des îles qu’on croisera sur notre route ! »

Peu impressionnée, Murielle s’avança plutôt vers le capitaine tout en se dandinant. Elle était bien décidée à aller jusqu’au bout de sa farce.

« Oh, non, mon capitaine ! Ne m’abandonnez pas ! Je ne recommencerai plus, c’est promis ! » minauda t-elle en papillonnant des cils.

Soudain blasé, Calahaan s’écroula sur sa chaise, une main sur le front. Il n’en pouvait plus de cette maudite femme ! Elle ne manquait pas une occasion pour le faire tourner en bourrique ! Et lui il n’osait pas la renvoyer ou même la menacer de lui donner des coups de fouet (bin oui, bien qu’elle fut vieille et moche, elle restait une femme – gentleman attitude oblige !).
Et tandis que ses pensées dérivaient ailleurs, les yeux de Murielle s’illuminèrent d’une lueur pernicieuse.


« GAAAAAHHH !! »

« … C’était quoi ce cri ? »

Frey se tourna vers Kendan, vraisemblablement encore plus surpris que lui. À son tour, il se tourna vers Benach, droit comme un piquet à côté des caisses en bois.

« Toi qui a une ouïe super-sensible, tu pourrais pas nous dire si tu as reconnu la voix qui vient de hurler ? » dit-il sur un ton quasi moqueur.

Mais l’aveugle resta silencieux. Comme d’habitude.
Frey prit une autre bouffée de sa cigarette, souffla, puis posa sa main sur la tête de Léon qui était assis sur l’une des caisses.

« Gamin, qu’est-ce que tu en penses ? »

« Bin j’chais pas moi. J’dirais plutôt que c’était même pas humain. »

« Ah ah ! Elle est bien bonne ! »



Léon se mit à fredonner une chanson de marin tandis qu’il se balançait d’avant en arrière.

[HS : Voyez le super équipage qui reconnaît vachement bien la voix de leur capitaine, surtout quand il est dans une mauvaise posture... Il peut compter sur eux !]

Clac, clac, clac, clac. Les talons de Maxine claquaient sur le revêtement des quais. Elle marchait vite. Mieux valait ne pas s’attarder dans des endroits pareils, on ne savait pas quel genre de canaille y traînait, surtout la nuit. Les alchimistes n’avaient pas l’électricité, et les rares réverbères à gaz qui parsemaient la Spiazza émettaient une lumière étrange qui était plus inquiétante qu’autre chose…
Maxine, plissant les yeux pour tenter de percer l’obscurité, scrutait la coque de chaque navire pour en discerner le nom. « Leborean » avait dit Drake. « Tu verras, c’est un immeeense trois mâts, magnifique, splendide, somptueux ! Paré de mille atours et brillant de mille feux ! Resplendissant dans le port tel le soleil dans l’orient, et illuminant de sa splendeur les affres de médiocrité que sont les barques qui osent partager le même port que lui ! » Maxine avait pouffé devant tant d’hyperbole. Drake, lui, avait sourit (se rendant certainement compte qu’il avait un peu exagéré)…
Ah, enfin ! Voici le Leborean qui se dressait fièrement devant elle, à l’emplacement B615 du port de la Spiazza. Maxine fut étonné de voir qu’il était presque aussi impressionnant que Drake l'avait décrit. Elle s’aventura sur la passerelle qui menait au bateau, commença à l’escalader et « GAAAAHH !!! » Un cri bestial retentit dans la nuit. C’était un hurlement de terreur, emprunt à la fois d’une virilité effarouchée et d’une sensualité horrifiée…ça ne pouvait être que Drake !
Maxine arriva sur le pont, où quatre matelots papotaient tranquillement. Elle les regarda, étonnée qu’ils ne soient pas en train de se battre contre la chose qui avait fait hurler leur capitaine.

« Vous êtes qui, vous ? demanda un petit rouquin en s’approchant d’elle avec une lanterne pour mieux la discerner.
- Je…je suis une amie de Drake. Mais…vous n’avez pas entendu son cri ?
- SON cri ? demanda un grand noir qui portait étrangement des lunettes de soleil en pleine nuit.
- On aurait dit une bête sauvage ! fit le gamin.
- Mais non ! corrigea Maxine. C’est Drake qui vient de crier à l’instant !
- Vous êtes sûre ?
- Ben, je l’ai entendu crier assez souvent pour le reconnaître…
- Vous l’avez entendu crier…souvent ? fit Frey en fronçant les sourcils Ce qui voudrait dire que… »

Les marins se jetèrent des regards étonnés : Drake avait conclu !

« Bon, maintenant que je vous ai convaincus que c’était lui qui avait crié, on devrait peut-être aller voir ce qu’il se passe, non ? »

Les hommes hochèrent la tête : ils se levèrent d’un coup, puis se précipitèrent vers la cabine du capitaine. « Allons à son secours ! » cria Léon. Imaginez-vous un groupe de super-héros courant au ralenti : Léon en tête, brandissant sa lanterne à bout de bras, suivi de Benach, ses dreads flottant dans le vent tels des serpents, et Kendan bondissant à leur suite, fouettant l’air avec sa queue comme avec un fouet.
Frey, resté derrière, observait la scène en fumant. Maxine, elle, suivait les trois super-guerriers à une allure modérée.
Benach, arrivant à toute allure, défonça la porte de la cabine d’un coup de pied. Léon sauta par-dessus la jambe de Benach, et atterrit dans la chambre en criant « Wayaaaa » tout en prenant une pose kung-fu.
C’est alors que Léon et Kendan s’immobilisèrent. D’abord effarés, un sourire se dessina sur leurs lèvres, et ils finirent par exploser de rire !

« Hahahah ! Huhuhihi ! Bwahaharaha !!! :’D » Léon se tenait les côtes, plié en deux, le doigt pointé vers son capitaine, et ils avaient tous les deux les larmes aux yeux à force de rire.
« Qu’est-ce qu’il y a de drôle ?! Qu’y a-t-il ? » demanda Benach, qui ne voyait rien, et pour cause.

Léon, entre deux fous rires, entreprit de lui décrire la scène : Drake était renversé sur son lit, chemise ouverte, et Murielle était assise à califourchon sur lui, l’air lubrique.
La vieille femme se tourna vers les intrus :

« Allez les gars, soyez sympas ! Un peu d’intimité tout de même ! »

Elle tenait fermement les deux bras de Drake dans l’une de ses mains, et de l’autre elle caressait son torse musclé et délicieusement poilu…(*c’est le point de vue de Murielle, je ne cautionne pas l’adverbe ‘délieusement’ !!!*)
Maxine déboula dans la pièce et ne put s’empêcher de pouffer en voyant Drake dans une telle posture.

« Fallait me dire que t’avais pas besoin de moi ! » ricana-t-elle.

Drake, impuissant à se libérer, jetait à Maxine et à ses hommes des regards désespérés qui signifiaient très clairement « Help ! é_è ». Mais personne ne semblait vouloir l’aider.
Finalement Kendan, voyant que Murielle était carrément en train de déboutonner la braguette de son capitaine (!), attrapa la vieille femme par le bras et lui dit : « Allez, Mu, ça suffit ! »
Elle le regarda un instant d’un air de défi, puis lâcha son emprise sur Drake en pestant : « Rah ! Dommage ! Cette fois, j’y étais presque… ! »

[HS : pour une fois que j'écris pas beaucoup XD honte à moi ! ]


« ... Merci BEAUCOUP, les gars, de m’avoir encore une fois aidé sur ce coup. » maugréa Drake en se relevant péniblement du lit tout en se frottant les poignets (cette bougresse avait vraiment de la poigne dis donc !).

« Es tut mir leid, Capitaine. Mais c’est qu’elle a été aussi silencieuse qu’un serpent en train de chasser une souris. On l’a pas vu entrer dans la cabine. » dit Frey en écrasant sa cigarette contre la semelle de sa chaussure.

« Ouais ouais… Ah tiens, bonsoir au fait Maxine ! »

La jeune femme répondit pas un simple hochement de tête, les bras croisés.
Drake se tourna brusquement vers Benach, un doigt menaçant pointé sur lui.

« QUAND À TOI ! Je suis vraiment déçu, Benach. Je croyais pourtant t’avoir pris à mon service pour stopper toute éventuelle menace à mon encontre. Tu ne sais même pas arrêter une vieille femme ou quoi ?! »

On entendit un grognement indigné au loin. Apparemment la « vieille femme » était toujours dans le coin. Drake déglutit puis se passa une main lasse sur la figure.

« Pardon, paaaaarrrdooooonnn Capitaine ! » pleurnicha Léon comme s’il avait été le seul coupable de la pièce.

« Ça suffit ! Tout le monde dehors ! Sauf toi Maxine chérie, bien sûr »

Personne ne discuta et ils sortirent tous les un après les autres, pas vraiment bouleversés par la gueulante poussée par leur capitaine, à part Léon qui reniflait de temps en temps, les yeux mouillés. Dès que la porte fut refermée, Drake se tourna vers Maxine, un grand sourire aux lèvres. Avant qu’il ait pu dire un mot, elle le devança :

« Tu ne devrais pas être aussi dur avec le jeune… Léon c’est ça ? Il a quel âge ? Même pas treize ans j’imagine… Le pauvre, se retrouver mousse sur un bateau pirate ne doit pas être aussi marrant qu’il le croyait. »

« D’abord, on n’est pas des pirates mais des corsaires, là est toute la différence, déclara le grand brun en levant un doigt sévère, et ensuite Léon n’est pas un gamin, il a seize ans. C’est l’âge parfait pour devenir un homme ! Enfin même si je sens qu'il va mettre plus de temps pour en devenir un… »

« Si tu le dis… »

La jeune journaliste se détourna pour contempler sa collection de livres. Elle laissa glisser sa main, l’air rêveuse, sur le bois verni de la commode voisine qui offrait la vue de quelques rares objets récupérés ici et là de ses voyages à travers le monde. Sans doute trouvait-elle cela intriguant. Qui n’aimerait pas découvrir d’autres contrés étrangères, d’autres royaumes, d’autres cités, d’autres civilisations ? Sa curiosité pourrait aisément englober ce genre de vie pleine d’aventures et d’émerveillements sans fin.
Derrière elle, Drake restait immobile, un étrange sourire aux lèvres. Il n’avait même pas pris la peine de reboutonner sa chemise. Il regarda Maxine de haut en bas puis s’avança vers elle à pas de loup. Pour ne pas qu’elle le sente venir vers elle, il lui dit dans la foulée :

« Que me vaut le plaisir de ta visite sur mon modeste trois-mâts ? »

Maxine prit un gros coquillage brillant d’un éclat bigarré pour l’examiner avec attention, ce qui ne répondit pas vraiment à la question de Drake, mais il s’en fichait un peu, puisqu’il y avait un autre but derrière tout ça.
Tout à coup, la jeune journaliste sentit deux bras puissants s’enrouler autour de sa taille et aussitôt un torse musclé se serra contre son dos. Les battements de cœur du capitaine étaient sereins et ses longs cheveux ondulés chatouillèrent le nez de la jeune femme quand elle tourna un peu la tête vers lui. Ils émettaient une légère odeur marine, mélangé à quelque chose de plus subtil, peut-être un mélange de rhum sucré et de sa fragrance masculine qui n’avait rien de désagréable.
Son invitation était claire, et Maxine avait étrangement de plus en plus de mal à y résister – elle voulait se laisser aller contre lui, parce qu’elle se sentait toujours en sécurité dans ses étreintes – mais pour ce soir, elle avait autre chose en tête.


« Désolée, mais je ne suis pas venue pour ça. » dit-elle en se dégageant doucement, une main caressant son visage au passage.

Drake se crispa brusquement et une expression d’intense déception étira ses traits. Il alla se réfugier dans un coin pour bouder un peu. Il détestait qu’on lui refuse ce genre de chose ! Il avait besoin d’un peu d’amour, le pauvre (et non d’une vieille mégère qui a plus de poils aux pattes que lui).

Maxine contemplait Drake d’un air amusé, et ne put s’empêcher d’émettre un petit rire.

« Et ne te moque pas de moi ! … » marmonna-t-il sans la regarder.

Recroquevillé dans son coin, les genoux ramenés contre le corps, il avait davantage l’air d’un gamin qui boude que d’un homme parvenu à l’âge adulte. Mais ce n’était pas étonnant : la plupart des hommes sont, dans le fond, restés de petits garçons. Ils jouent au guerrier et se donnent des allures mystérieuses, mais au moindre bobo ils accourent pour se fourrer dans les jupes de leur mère, dont les froufrous sont plus doux que la lame de l’épée. Oui, Drake était un enfant, un gosse égocentré qui ne pensait qu’à ses désirs – mais qui avait désormais des désirs d’homme….pensa-t-elle avec un sourire.

- Tu avais oublié que je devais passer ?

Il sauta soudain sur ses pieds, fit volte face, et déclama, une main sur le cœur :

- Je n’oublie jamais une dame !
- Ha ! ha ! Mais dans ce cas… – elle s’approcha de lui en le fixant dans les yeux et appuya son doigt sur son torse – pourquoi me fais-tu la cour ?



- …N’est-ce pas ce que l’on fait lorsqu’une dame nous rend visite ?
- Certes…sauf si autre chose est prévu.
- On avait…prévu autre chose ? ^^’
- Pf, tu oublies tout ce qui ne se rapporte pas au sexe, c’est lassant !...

Drake esquissa une moue boudeuse – il n’aimait pas trop qu’on le réduise à un tas d’hormones : ses ambitions de séducteur le hissaient vers un rôle moins trivial. Maxine se détourna de lui pour aller fouiller dans son sac – qu’elle avait posé sur le bureau pendant l’assaut de Murielle précédemment conté – et en extirpa un petit paquet.



Puis elle se retourna vers Drake et lui tendit le colis.

- Tu es mon postier ! Αναφέρεστε* ?


*Anaphéresté ? Tu te souviens ?

Drake regarda fixement Maxine durant quelques secondes.
Puis ce fut comme un déclic.
Maxine - Colis - Hérakléo... Intercepter des marchandises sur le port de Epeïros !
Le Capitaine corsaire se frappa le front du plat de la main, honteux d'avoir oublié un détail aussi important. Un détail ? Non, carrément un travail qui permettra à son équipage de manger autre chose que de la morue en boîte pendant des mois !
Et puis la demande de son amie... Comment avait-il pu... ! Ce n'était pas digne d'un capitaine tel que lui d'occulter ce genre de choses, surtout si ça venait d'une jolie femme !
Il avait subitement envie de se flageller.

- Maxine... Oui, je me souviens. Pardonne-moi de ce pas avoir fait le rapprochement plus tôt. C'est que j'ai la tête ailleurs, en ce moment, répondit-il finalement, l'air grave.

La jeune femme parut surprise par son brusque changement de comportement.

- Qu'est-ce qui t'arrive tout à coup ? Ne t'inquiète pas, ce n'est pas si grave. C'est justement pour ça que je suis venue te voir. Pour te le rappeler en te rapportant le fameux colis.

Elle lui fit un petit sourire rassurant en lui remettant le petit paquet sous les yeux. Il le prit délicatement pour le poser ensuite sur son bureau, bien en évidence, histoire de ne plus l'oublier, et ce sans l'avoir examiné plus attentivement préalablement. Son savoir-vivre lui interdisait de se mêler de la vie privée de Maxine.
Or la curiosité de celle-ci fut bien plus forte, sans doute parce que c'était dans sa nature de journaliste, et elle se rapprocha du corsaire alors qu'il notait quelque chose sur un parchemin.

- Que veux-tu dire par "j'ai la tête ailleurs, en ce moment" ? Tu pense à une autre femme ? lâcha-t-elle sur le ton de la plaisanterie.

Mais cela ne dérida même pas le grand brun qui demeura les yeux dans le vague.

- Non... Mais j'ai juste l'impression que quelque chose va bientôt se passer... Quelque chose que je ne vais pas apprécier. Une rencontre peut-être.

Il resta silencieux un instant, et ce fut juste quand Maxine voulut poser une main compatissante sur son épaule qu'il se retourna brusquement, la faisant aussitôt sursauter. Il lui prit gentiment un bras et l'entraîna vers la porte de sa cabine, un faux sourire aux lèvres.

- Bon, c'est pas tout ça mais je dois aller livrer un colis ! On se revoit dans quelques mois alors.

Un peu interdite face à ce soudain revirement de situation, Maxine se laissa faire jusqu'à ce qu'ils arrivèrent près du pont d'embarcation. La nuit paraissait encore plus noire que lors de son arrivée. Aucune étoile n'y brillait et la lune était cachée par de gros nuages qui passaient paresseusement dans le ciel. Tout le reste de l'équipage devait jouer aux cartes dans les cales et on entendait juste le grésillement assourdi de leur voix à travers les planches de bois du pont principal. Drake lâcha Maxine pour la laisser continuer seule. Mais celle-ci demeura sur place, toujours troublée par le rejet étrange que lui faisait son ami corsaire, lui qui avait été si "romantique" juste un peu avant. Elle décida alors de l'observer calmement, attendant qu'il s'explique, et même s'ils ne se disaient pas tout, elle s'avouait ne pas aimer qu'on lui cache des choses. Sans doute était-ce encore sa nature de journaliste qui revenait au galop.
Comme rien ne se passait, la jeune femme soupira, cessa de croiser les bras, et prit subitement le col du grand brun dans ses mains pour l'attirer vers elle. Ses lèvres se posèrent contre toute attente avec beaucoup de douceur sur celles de Drake et un long baiser s'ensuivit, au plus grand étonnement de ce dernier. Il avait sortit ses mains de ses poches mais ne savait pas trop quoi en faire, trop dérouté par ce qui se passait.
Finalement, il entoura la taille fine de la journaliste de ses bras, et se laissa aller dans cette tendre effusion.
Il n'y avait certainement aucun sentiment derrière tout ça. Ce n'était que l'altruiste consolation que pouvait lui offrir une bonne amie.

Maxine se dégagea doucement une minute à peine plus tard. Drake la regarda ensuite s'éloigner dans la grande rue qui s'allongeait face au Leborean. Il paraissait encore plus songeur qu'avant et son état absent dura bien un long moment.

Ils avaient tout vu. Kendan, Frey, Benach (enfin là il avait plutôt "imaginé" la scène grâce aux commentaires plein de sanglots d'émotions de Léon), Léon donc, et Murielle. Celle-ci fulminait. Cette sale petite brunasse avait osé consoler Drakinouchet à sa place ! Elle la maudissait et en même temps elle-même de n'avoir pas su profiter d'une occasion si unique. Bah, elle trouverait bien un moment pour se rattraper quand ils repartiraient en mer, mouhahahaha (ceci est la transcription des pensées intérieures de Murielle).

- Du, Geilsau !*

Le cri soudain interpella Drake qui se dirigea alors vers plusieurs silhouettes qui s'agitaient un peu plus loin. Il découvrit aussitôt pourquoi Frey avait hurlé une insulte si parlante. Le pauvre médecin tentait vainement de se débarrasser de Murielle qui s'accrochait à lui comme une moule à son rocher. Vaine tentative surtout parce qu'elle avait réussi à lui déboutonner sa veste blanche et qu'elle commençait très sérieusement à le caresser d'une façon peu... catholique.
Fou furieux, l'elfe blond lançait des jurons à tout va et n'allait pas tarder à arracher un des bras de la vieille femme si on ne l'aidait pas tout de suite à la faire lâcher prise. Mais il n'était pas prêt de se voir offrir de l'aide : Kendan avait reculé de trois bon mètres, ne souhaitant pas être une nouvelle victime des intentions lubriques de Murielle, Benach avait tout bonnement disparu et Léon hurlait plutôt de rire en tapant du poing par terre, véritablement amusé par la scène.
Il ne s'arrêta que quand il vit approcher le capitaine, une larme au coin de l'oeil.

- :'D Cap... Capitaine ! Mumu elle est si frustrée qu'elle a fini par s'en prendre à ce pauvre Frey !

- Ca prouve à quel point la situation est désespérée pour elle, ajouta Kendan dans un sourire qu'il ne put empêcher de faire apparaître.

- Scheisse Kuh ! ** Mais lâche-moi !!!!

Drake pouffa à son tour et du coup immédiatement foudroyé du regard par le médecin.

- C'est vrai que d'habitude ils ne s'entendent pas vraiment. Elle a même dit que même si Frey était le dernier homme sur Blend Awake, elle ne risquait pas de lui sauter dessus. Ahlalala, Murielle... Comment peux-tu mentir aussi ouvertement ? dit-il entre deux rires.

- Elle ne pourra pas mentir plus longtemps... PARCE QUE JE VAIS LA TUER !!! rugit le docteur.

À ses mots, il réussit à trouver une faille dans l'étreinte trop efficace de la comptable de l'équipage et en profita pour l'envoyer brutalement finir dans un rouleau de cordes quelques mètres plus loin. N'y pouvant plus, Drake se joignit au fou rire contagieux de Léon, suivit presque étonnement par Kendan.

- J'ai... J'ai horreur de l'avouer mais... Frey, ne fais pas ça, j'ai besoin d'elle ! fut-il juste capable de dire tout en se tenant les côtes.

- Franchement, je ne crois pas qu'elle elle ait besoin de ses jambes... continua le médecin sur sa lancée meurtrière, les yeux brillants d'une lueur dangereuse.

Le corsaire riait de plus en plus fort.
Voilà ce qu'était son univers.
Et jamais il ne voudrait le quitter. Pour tout l'or du monde, jamais il ne laisserait cette nouvelle famille. Parce que grâce à eux, il oublia ne serait-ce que durant un temps de penser au sombre pressentiment qui l'avait pris quelques jours plus tôt.


[* Truie en chaleur / ** Sale vache ... Oui, Frey a un langage très fleuri ]