Précédent (A la dérive)

Elle avait rassemblé des vivres dans un sac, pris son sabre et était sortie sans bruit de la maison. Elle avait regardé le soleil se lever sur la falaise toute proche et lorsque les premiers rayons l’avaient entourée, elle était partie.
Quelques secondes plus tard, elle apparaissait sur les quais Alchimistes de Range Harbor non loin de son appartement.

Que la téléportation était simple ! Comme de respirer. Elle n’arrivait pas encore à assimiler totalement la portée de son pouvoir, mais il lui offrait des possibilités immenses, tellement variées que s’en était grisant. Mais il y avait des limites bien sûr. Et elle préférait autant ne pas disposer d’un pouvoir sans barrières, rien que d’y songer elle en avait des frissons. Lia lui avait appris que les mages thaumaturges comme elle, disposaient aussi de pouvoirs télépathiques et télékinésiques en plus de la téléportation. Pourtant, elle ne paraissait pas dotée de ces deux facultés et ses essais pour les révéler n’avaient rien donné de concluant. Elle n’avait pas cherché plus loin, pour le moment, son pouvoir de téléportation était amplement suffisant.

Elle regarda autour d’elle. Le décor de la Spiazza n’avait pas tellement changé depuis la dernière fois qu’elle y avait mis les pieds, cela faisait deux ans maintenant que le Flaming Heart avait vogué de port en port, parcourant la plupart de îles de L’Apartadiza et durant cette période, ils avaient veillés à ne pas trop s’approcher de Range Harbor. Car, comme tout le monde le sait, les pirates n’y sont pas vraiment les bienvenus. Elle remonta les quais qui s’activaient lentement à mesure que les hommes reprenaient le travail ; se mettant lentement à charger et décharger des cargaisons diverses ; vérifiant l’état de leurs navires et reprenant leurs affaires l’œil brillant. Sasarei dépassa les boutiques donnant sur le port et s’enfonça dans un quartier d’habitations médiocre, laissant la mer derrière elle. Elle prit la deuxième rue à gauche et s’arrêta devant un petit immeuble en pierre de trois étages. Elle leva la tête vers la fenêtre de son appartement, deuxième étage à droite et se rendit compte que la lumière était…allumée !!!?

La jeune femme entra brusquement dans le hall, traversa le couloir à pas vifs et tambourina à la porte du propriétaire.

Au bout d’une bonne dizaine de minutes à cogner furieusement contre la porte, celle-ci finit par s’ouvrir sur un quinquagénaire chauve et ventripotent, encore ensommeillé. Le vieux Curtis –car tel était son nom- cligna des yeux plusieurs fois, comme s’il voulait s’assurer qu’ils resteraient désormais bien ouverts et fixa d’un air ahuri la responsable du tapage qui venait de le sortir de son lit douillet.

Il avisa une jeune femme aux cheveux flamboyants, visiblement très énervée et poussa un soupir.

- Vous voulez quoi ? Grommela-t-il d’une voix rauque.

- Curtis ! M’auriez-vous déjà oubliée ?, gronda Sasarei, Ou peut être que vous êtes encore en train de cuver ?!!

L’homme remonta négligemment son pantalon sur son ventre bedonnant, faisant mine de réfléchir.

- Je n’vous connais pas, conclut-il après un rapide tour de sa petite mémoire.

Il s’apprêtait à refermer la porte, lorsque Sasarei le saisit par le col de son T-shirt crasseux et le tira vers elle. Il était plus grand que la jeune femme mais ses yeux affichaient une rage telle que Curtis sentait ses jambes flageoler. Son visage à quelques centimètres du sien, elle entreprit de lui remémorer leur rencontre.

- Je suis Sasarei Holkaìn et il y a deux ans, je vous ai payé grassement pour l’appartement du deuxième, porte de droite. La somme était amplement suffisante pour couvrir trente mois de loyer et rien qu’en prenant la bourse que je vous ai donnée, vous aviez les yeux qui brillaient et vous étiez prêt à vous prosterner devant moi et à me dérouler le tapis rouge, pourvu que je continue à louer cette piaule!! Ma tête vous revient-elle mieux maintenant ?!! Cracha-t-elle.

Effrayé, Curtis se remémorait en effet vaguement l’époque où cette fille était passée. Et il hocha la tête pour lui montrer qu’il se rappelait d’elle.
Il se souvenait qu’avec l’argent, il avait pu retenir sa femme près de lui encore quelques mois, en lui offrant des cadeaux. Et puis sa femme avait fini par le quitter.

- Bien. Alors auriez-vous l’obligeance de m’expliquer pourquoi mon appartement est occupé !!!Fit-elle en haussant un peu plus la voix à chaque mot.

- Mais vous n’avez jamais occupé cet appartement, dit-il d’une voix faible.

- Je le paye !!!!hurla Sasarei en le lâchant, le projetant du même coup contre sa porte. J’en fais ce que bon me semble ! Si j’ai envie de le laisser vide deux années entières, en quoi cela vous regarde-t-il ??!!!

Folle. Cette nana était complètement folle, pensa Curtis. Il avait affaire à une folle furieuse. Il fallait qu’il s’en débarrasse. ‘Mais comment ?!’ Telle était la question qui fusait dans son cerveau de mollusque. Il bredouilla quelques paroles incompréhensibles, essayant de calmer la colère de la jeune femme. Avant de lui dire ce qui c’était passé.

- Écoutez, je suis navré pour vous, mais cet appartement n’est plus libre maintenant, le laisser vide était une grande perte d’argent pour moi et aujourd’hui, il est occupé par une famille avec trois enfants. Je ne peux pas leur dire de partir.

- Alors j’exige que vous me restituiez mon argent, déclara Sasarei, SUR LE CHAMP !!!!!

- Mais mais mais…calmez-vous enfin. Je… je ne peux pas vous le rendre, dit-il soudain pris de sueurs froides, parce que… euh… je l’ai… enfin…vous voyez, je l’ai… déjà dépensé, avoua-t-il.

C’en était trop pour la jeune femme, elle se massa les tempes en respirant bruyamment, comme pour contenir sa colère… Le coup partit d’une traite et Curtis ne vit rien venir. Le poing droit de Sasarei l’atteint en pleine mâchoire avec une force insoupçonnée pour une femme de ce gabarit et le vieux propriétaire s’écroula au sol, inconscient.

- Putain ce que ça fait du bien !

Sasarei contempla un instant le bonhomme chauve qui gisait pitoyablement à terre et s'estimant vengée pour s’être fait arnaquer, tourna les talons et quitta l’immeuble sans un regard pour ce qui aurait du être son toit.

Elle marchait lentement, tournant au hasard dans des rues qu’elle ne reconnaissait pas, admirant le quartier alchimiste. Sans but précis, elle marchait pour réfléchir. Pour résumer il lui fallait un endroit où crécher et un boulot. Elle aurait pu reprendre ses activités de chasseuse de primes, se signaler au commissariat le plus proche et récupérer des avis de recherche. Mais l’idée de passer ses journées à traquer les criminels de bas et hauts étages ne l’enchantait pas vraiment.

Avec ses compétences, elle pouvait aussi se convertir en agent de transport via téléportation. Erkk!! Un boulot stable et peinard, rien que d’y penser ça lui donnait la chair de poule. De toute façon elle ne connaissait pas assez bien la ville pour répondre aux attentes des clients. Ou alors mercenaire, ça c’était quelque chose qui lui convenait. Jamais une mission pareille, jamais les mêmes instructions, du danger de temps à autre et une bonne rémunération. L’idée la fit sourire, restait un problème. Où et comment se faire engager comme mercenaire… Un gargouillis mécontent venu de son ventre l’interrompit et elle remit ses réflexions à plus tard. Elle leva les yeux du dallage de la rue et avisa un établissement au nom évocateur ‘La panse remplie’. Voilà qu’on lisait dans ses pensées, elle se dirigea vers le bâtiment et poussa la porte avec entrain.

Elle fut surprise de constater que l’intérieur de l’établissement était bien mieux tenu que ce qu’elle avait imaginé et que la clientèle était hétéroclite. Elle n’avait pas le souvenir qu’alchimistes, mages et technopolitains se côtoyaient aussi facilement mais après tout, le port n’était pas si loin. Haussant les épaules, elle choisit une table vide et s’installa en attendant que l’on vienne la servir.

Après un repas assez copieux qui lui remplit le ventre tout en vidant considérablement sa bourse, Sasarei décida de dilapider ses dernières pièces en investissant dans un bon verre de rhum. Elle avait vidé la moitié de son gobelet lorsqu’un homme d’un âge indéterminé vint s’asseoir en face d’elle. Il avait des cheveux courts poivre et sel et une petite natte, un air digne vaguement hautain et des cernes creusaient ses yeux bridés autant que les rides se chargeaient de son visage. Il portait une robe de moine usée (certains auraient dit un kimono) attachée par une ceinture et une cape sombre enveloppait ses épaules décharnées.

Sasarei n’avait jamais vu de néféri auparavant, mais son père lui en avait parlé. Ils étaient paraît-il très durs en affaires.

Penser à son père en ces circonstances la fit grincer des dents et le vieux dut prendre cela pour lui car il leva la main en signe d’apaisement.

- Je m’appelle Lê Dei Tiên, dit-il avec un fort accent. Et je pense que vous êtes la personne qu’il me faut.

- Qu’est ce qui vous fait croire que je vais vous aider vieil homme ? rétorqua Sasarei avec nonchalance.

Lê plongea une main dans la manche démesurée de son habit et en sortit une bourse rondelette qu’il posa sur la table, bien en évidence avant de continuer son laïus.

- Ceci, vous convainc-t-il de ma bonne foi ?

Sasarei qui avait failli en recracher sa gorgée d’alcool, avait désormais du mal à détourner les yeux du petit tas d’argent posé près d’elle. Elle s’arracha pourtant à sa contemplation et fixa le vieil homme. Peut être qu’il n’était pas si mauvais que ça finalement. Elle s’appuya sur ses coudes et pencha la tête vers son interlocuteur, désormais attentive à la conversation.

- Je vous écoute Lê, que puis-je faire pour vous ?

Suite [Mission (Im)possible?]