>>>Début<<<

Résumé des épisodes précédents : Le sage Yhuk’ta Shwarin veut botter l’ignoble fessier du vil Lê Dei Tiên, son rival de toujours. Celui-ci avait chargé la pirate aux cheveux de feu, Sasarei Holkain, de voler un objet précieux au vieil homme, mais elle a été arrêtée à temps dans son brigandage par Yhuk même. Son petit-fils, le très sexy et enflammé Jayke Moireathan, se retrouve embrigadé dans cette sombre vengeance alors qu’il passait simplement récupéré un étui à couteau le lendemain du forfait raté.
Les voici désormais dans un champs, un peu à l'écart de la Lisière, attendant que Lê montre le bout de sa perfide moustache… (si vous vous souvenez de rien… bin z’avez qu’à relire bande de feignasses !)


Décidément, Jayke n’aimait pas les téléportations. Savoir que son corps se désintégrait pour se reformer quelques secondes plus tard comme si de rien n’était n’avait rien pour le rassurer. Et si jamais un jour il réapparaissait avec un morceau en moins ? Cette simple idée le fit frissonner de la tête aux pieds. Il préféra se concentrer sur le nouvel environnement où ils allaient évoluer, celui-là même où un terrible combat devait se dérouler. Il avait hâte.
Son grand-père se tourna vers lui après que Sasarei ait de nouveau disparu. Il avait choisi de porter son masque de sérieux mais ses traits étaient si intensément crispés que Jayke lui donna plutôt un air… constipé. C’était sans doute ses rides profondes qui accentuaient cet effet fort comique.

− Bon, fils, ce combat est entre lui et moi, donc toi et Sasarei n’intervenez que si nécessaire. J’ai déjà donné quelques instructions à notre nouvelle amie pirate, maintenant c’est à toi de m’écouter.
− Quelle amie pirate ? s’indigna le grand brun, c’est pas ce que je pourrais appeler une amie ! Plutôt une petite c…
− Ah ah, cesse de grogner voyons, tu l’auras bien un jour. * clin d’œil complice *
− * petrificatus totalus * …………
− Concentration, petit faucon fougueux, lança brusquement Yhuk en claquant l’épaule de son petit-fils du dos de la main (bin oui, il pouvait pas le faire sur sa tête, il n’est pas assez grand mouhohohoho * baf *)

S’étant à peu près remis des paroles malicieuses de son grand-père, Jayke se pencha vers lui dans une attitude de confidences afin qu’il lui explique tout ce qu’il prévoyait pour l’affrontement à venir. Yhuk semblait être devenu un chef de bataille, stratégique et méthodique dans le plan qu’il avait conçu, tandis que le jeune Kwanaïn hochait la tête tout en l’écoutant. Ou du moins, en faisant semblant. Pour lui l’intérêt d’un combat était surtout de taper fort et aux endroits les plus sensibles. Certes il n’était jamais bon de se lancer tête baissée dans une rixe (même si rien ne valait le son de l’acier s’entrechoquant), donc Jayke imprima dans son esprit au moins le plus essentiel de ce que disait Yhuk. Ce dernier, dès qu’il eut terminé son palabre, s’en retourna vers Satinka pour finir de préparer le terrain (et tripoter un peu au passage, pour se donner de la chance).
Le grand brun décida d’arpenter le champs où ils se trouvaient afin d’en connaître chaque coin et recoin. Pas question pour lui de battre en retraite, ce n’était certainement pas son genre, mais plutôt de prendre le terrain comme un avantage. De larges buissons l’entouraient, tels une barrière naturelle, et un bout de forêt s’étendait juste à côté, parfait pour se cacher et faire enrager l’ennemi (non non, ce n’est toujours pas de la lâcheté ! simplement un moyen de faire durer le plaisir). Un grand sourire étira les lèvres du Kwanaïn.



L’air vibra, puis Sasarei apparut, tenant une autre personne par la main qu’il n’arrivait pas bien à discerner. La pirate s’affala dans l’herbe, épuisée par cette dernière téléportation, et Jayke comprit que l’inconnu n’était autre que Lê Dei Tiên. Tout son corps se raidit, tout comme celui de Yhuk qui se tenait à gauche de la jeune femme et qui avait aussi assisté à l’atterrissage.



Tout alla très vite. Lê se rendit compte qu’il était tout droit tombé dans un piège en reconnaissant la silhouette familière de son vieux rival. Malgré le voyage éclair qu’il venait de vivre, il eut la force de se relever et de pointer Yhuk du doigt, criant :

− TOI !

− And the show must go on… murmura Jayke.

Ainsi se réjouissait la voix off, tandis que deux hommes s'apprêtaient à s'entre-tuer.

On ne savait pas vraiment la raison de leur détestation mutuelle. Leur querelle semblait obsolète après toutes ces années, après tant de temps écoulé depuis leur première rencontre et la mort de Namtha (le meilleur ami de Yhuk, tué par Lê Dei Tiên – Ndlr)... Et pourtant ils se faisaient face, à la vie à la mort, visiblement prêts à aller jusqu'au bout s'il le fallait. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'ils se haïssaient.
Leur haine était de celles qui se construisent sur la durée, année après année, rencontre après rencontre. Chaque fois qu'ils s'étaient croisés, l'un avait infligé à l'autre des blessures indélébiles, et jamais ils n'avaient pu se comprendre, jamais ils n'avaient pu se pardonner, car l'aigle qui vole librement ne saisira jamais pourquoi le chien aime sa laisse. Lê Dei Tiên était le chien, le cerbère du Royaume de Taiho, et Yhuk'ta Shwarin était l'oiseau de proie, l'aigle indompté d'Aïn'rê, qui jamais ne cesserait de s'échapper vers de nouveaux horizons.

« J'aurais dû me douter, » cracha Lê à l'adresse de Sasarei, « qu'une femme aux cheveux rouges comme le diable ne serait capable de rien d'autre que la trahison ! »

Puis il se tourna vers Yhuk :

« D'ailleurs, tu ferais bien de te méfier, Shwarin, elle serait capable de changer de camp encore une fois pendant la bataille ! »

Le vieux Kwanaï'n ne broncha pas, se contentant de vérifier d'un coup d'œil si Sasarei allait bien. Lê Dei Tiên avisa Jayke et Satinka :

« Je vois que tu es toujours aussi lâche : incapable de te battre en duel seul à seul !
- Détrompe-toi, l'interrompit Yhuk, ils ne participeront pas au combat. Tout ceci se déroule entre toi, et moi.
- Pour une fois...nous sommes d'accord ! »

À ces mots, le Néféri se mit à esquisser de grands gestes avec les mains : il dessina un cercle dans l'air, puis y traça une série de symboles avec une rapidité effrayante. Le vieux Lê avait beau être un immonde personnage, les techniques invocatoires qu'il pratiquait restaient impressionnantes, et d'une rare qualité esthétique : seuls les plus expérimentés des invocateurs de Taiho savaient faire surgir leurs créatures ainsi, depuis des motifs simplement tracés dans l'air. C'était une pratique exigeante qui ne s'acquérait qu'auprès des plus grands magiciens du Royaume.
Yhuk, lui, ne savait pas comment concentrer l'énergie magique dans l'air, sa magie était un fluide bien trop évanescent. Il était forcé de tracer ses cercles invocatoires à même le sol, et c'était plus laborieux... Mais heureusement, il avait anticipé :
Un peu partout sur le sol du champ de bataille, il avait dessiné des cercles invocatoires, et n'aurait plus qu'à les utiliser le moment venu. Tout était donc déjà en place pour la contre-attaque. Ainsi, alors que la créature de Lê Dei Tiên (une reptilicorne) venait de surgir d'entre les airs, une créature invoquée par Yhuk jaillit de terre pour lui faire face.

Les membres engourdis et le crâne vrillé d’un terrible mal de tête, Sasarei tentait tant bien que mal de se relever pour voir ce qui se passait. Outch !!J’ai l’impression d’avoir une machine technologue dans le crâne… Comment on fait déjà ?? Ah oui…un pied devant l’autre. Elle tituba un instant sur ses jambes avant de se stabiliser et de lever les yeux, une main plaquée sur sa tempe douloureuse.

Lê c’était éloigné d’elle en s’approchant de son ennemi et les deux invocateurs avaient commencé leur énième affrontement au milieu de la plaine. Jayke et Satinka se tenaient en retrait, prêts à intervenir en cas de besoin. Sasarei n’avait jamais vu de combat entre invocateurs et il fallait bien avouer que cette pratique lui paraissait vraiment étrange. Comment pouvait-on se battre sans même se toucher ? Les chimères se combattaient entre elles, poussées par leurs invocateurs, mais eux ne faisaient pour ainsi dire, rien. Pas de corps à corps, pas d’armes qui s’entrechoquent, pas de parade-riposte ou même d’égratignures. Rien qui ressemblait à un vrai combat de son point de vue. Même si elle avait conscience que celui qui relâcherait sa concentration, n’invoquerait pas sa chimère à temps ou arriverait à la limite de ses forces serait tué.

Et soudain, elle comprit. C’était une bataille de l’esprit, concrétisée par la lutte des chimères invoquées. Deux esprits, deux modes de pensée différents, deux cultures différentes, qui se haïssaient mutuellement depuis des années. D’un côté Yhuk, de l’autre Lê et la force mentale de ces deux vioques déciderait du vainqueur.

Sasarei contourna les deux combattants afin de rejoindre Jayke et Satinka. Elle avait besoin de se reposer mais seule et éloignée des autres, elle risquait de se prendre une chimère perdue. En restant près de Satinka, elle pourrait être réveillée en urgence et protégée durant son sommeil et puis elle avait l’impression que Satinka l’aimait bien. Elle passa donc le plus loin possible des deux chimères qui ne faisaient pas dans la dentelle. La reptilicorne avait surpris et chargé plusieurs fois l’ours, mais la résistance de celui-ci avait fait la différence et la reptilicorne était maintenant plaquée au sol par l’ours qui était sur le point de lui briser les cervicales d’un coup de patte. Juste avant qu’elle ne disparaisse, au grand étonnement de l’ours qui découvrit quelques mètres plus loin la nouvelle créature invoquée par Lê. Le papylion adulte, poussa un rugissement féroce et se précipita sur l’ours en grognant. Il était doté d’une crinière et d’une dentition impressionnante, ses ailes chamarrées entièrement déployées ondoyant dans sa course. Sasarei n’avait jamais vu de telles créatures et pourtant elle avait fait plusieurs escales à Ekthraxenos avec Ethan, mais là, c’était carrément délirant.
Elle décida de ne pas traîner dans le coin, et de rallier les autres au plus vite.

Jayke se tenait debout, près de Satinka, les bras croisés sur le torse. Le combat entre les deux vieux ennemis avait commencé depuis plusieurs minutes… et ça le faisait bâiller. Les techniques qu’utilisait son grand-père n’étaient pas inintéressantes, maaaaaais, ça n’avait rien à voir avec un VRAI combat, celui où les armes s’entrechoquent, où le sang coule à profusion, où les cris bestiaux des adversaires s’entendent à des kilomètres à la ronde. Bon, il avait certes souvent tendance à exagérer, voir à enjoliver les choses, mais quand même, Jayke s’était attendu à quelque chose d’un peu plus palpitant.
Satinka avait remarqué son ennui, et comme toujours, elle tenta d’user de sa sagesse pour lui faire entendre raison.

− Yhuk est incroyable, tu ne trouve pas ? lui lança-t-elle en espérant qu’il réponde positivement.
− J’avoue que je n’ai jamais eu l’occasion de regarder un affrontement entre des chimères. C’est vrai que c’est inédit et que sur le coup, papy m’impressionne… Mais franchement, ils pourraient y mettre un peu plus d’énergie !

La vieille femme lui jeta un regard consterné.

− Tu sais très bien qu’ils n’ont plus la vigueur de ta jeunesse, Jayke. Et pourtant je peux t’assurer qu’ils sont très performants… Surtout Yhuk, ajouta-t-elle en posant une main sur sa bouche afin d’étouffer un pouffement (de fangirl).

Le jeune kwanaïn fit la grimace, s’efforçant d’occulter les dernières paroles de l’Octantine. Son attention se reporta sur le combat, vague de magie surpuissante balayant toute la zone. Il ressentait les vibrations du pouvoir des invocateurs effleurer sa peau, et il en frissonna, peu habitué à cette sensation. Son pouvoir à lui était bien plus concret et difficile à maîtriser si on ne savait pas contrôler ses émotions, alors que celui de son grand-père était d’abord un savoir-faire qui se construit au fil du temps et avec l’aide d’une force mentale puissante. Le feu brûlait naturellement dans ses veines tandis que la magie invocatrice se renforçait par la pratique. L’apprentissage était bien évidemment de rigueur pour ces deux aptitudes, même si les méthodes n’étaient pas les mêmes. Mais le plus surprenant dans les invocations était le changement d’une créature à une autre.
La reptilicorne (que Jayke trouvait vraiment laide) se transforma en une sorte de papillon géant sous la patte massive de l’ours de Yhuk. Le jeune homme aurait pu imaginer une lutte de même envergure entre son compagnon à quatre pattes, Keane, et une bête pareille, c’était plus facile mais tout à faire étrange. Mais pour cela il n’aurait pas eu besoin de contrôler son animal, puisqu’il avait sa propre conscience et qu’il se débrouillait souvent très bien sans lui. Ne pas le savoir près de lui l’attrista.

Son esprit déconcentré par la disparition de son ami loup, Jayke ne vit pas que le combat avait dérivé un peu plus loin de la zone qui lui avait été assignée. Une ombre gigantesque l’enveloppa et il n’eut que le temps de repousser brusquement Satinka sur le côté avant que l’ours ne s’abatte sur lui. Il vit brièvement, avant de finir presque écrasé, que Sasarei avait rejoint la vieille femme. Elle l’aida à se relever et ensemble elles s’éloignèrent pour éviter plus de blessés collatéraux.

Le souffle de Jayke commençait à manquer. Le poids du plantigrade n’était pas supportable pour un être humain, et heureusement qu'il ne s’appuyait pas complètement sur le jeune homme. Mais celui-ci se sentait quand même roulé.

Une lumière les entoura et le corps massif de la bête se fit petit à petit immatériel. Quand elle eut disparu, Jayke roula sur le côté, respira fortement plusieurs secondes, puis tourna la tête vers son grand-père qui venait de révoquer sa créature.

− Tu pourrais faire gaffe, bordel !! s’exclama-t-il avec fureur.
− Fils, les accidents arrivent tous les jours.

Le vieil homme ne put rien dire de plus, car Lê avait profité de cet imprévu pour repasser à l’attaque, maintenant que son rival était sans défenses. Heureusement, l’esprit de Yhuk était bien plus vif qu’on ne pouvait le prévoir : il murmura rapidement des incantations et une nouvelle chimère apparut pour barrer la route du papylion.

Yhuk regarda sa créature monstrueuse s'écraser sur la frêle silhouette du vieux Lê. Un nuage de poussière s'éleva... Puis tout s'évapora.

Les invocations s'étaient succédées, le combat s'était intensifié, et la haine avait montré son vrai visage. Il est des sentiments dont on ne contrôle pas l'ampleur ni les conséquences. Et Yhuk réalisait peu à peu que, pour la première fois depuis des années, il avait tué un homme.


Yhuk se retourna vers la petite troupe de ses acolytes.
Ils l'avaient aidé, par moments, le prévenant juste à temps avant qu'une créature sortie de l'air ne l'attaque par derrière, ou faisant diversion auprès d'un monstre encombrant. Ils avaient été utiles. Mais face à l'ampleur du combat, ils avaient fini par ne plus chercher qu'à protéger leurs vies. Un rhinocéros devenu incontrôlable avait foncé sur tout ce qui bougeait ; un dragon avait embrasé, par ses gerbes de flammes, le pré qui servait de champ de bataille ; et cent autres dangers s'étaient abattus sur les innocents spectateurs qu'étaient Jayke, Sasarei et Satinka.
Et à présent ils le regardaient sans vraiment comprendre. Étaient-ils choqués de ce qu'il venait de faire ? Peut-être. Mais il s'en fichait. Il avait défendu sa vie, défendu son honneur. Il avait fait ce qu'il avait à faire. Il ne leur présenta donc qu'un visage neutre, ni satisfait ni désolé. C'était fait, voilà tout.

« Satinka, tu veux bien nous raccompagner ? » lâcha-t-il en guise de conclusion, comme si, une fois la besogne morbide accomplie, il n'y avait plus qu'à rentrer chez soi.

Suite Retour à la case départ