Précédent Lê Dei Tien Plus rapide que la lumière, rendez-vous tous ou ce sera la guerre?



Et c’est ce que la vieille fit, ils se tendirent les mains et "atterrirent" à leur point de départ ; la boutique de Yhuk. Sasarei se sentait comme envahie d’une immense lassitude. Le vol, l’opportunisme, les batailles, la mort. Tout cela lui était familier, presque indispensable, tout en lui paraissant totalement vide de sens. Tout, et toute sa vie plus particulièrement, lui paraissait beaucoup moins intéressant depuis qu’il n’était plus à ses côtés…

Ils entrèrent en silence dans la boutique et s’assirent autour de l’âtre éteint. Elle entendit vaguement le vieil indien proposer une tisane à la cantonade et préparer quatre tasses sans que personne n’ait répondu.
Sasarei se sentait à la fois hébétée et complètement détachée de ce qui était arrivé. Il fallait qu’elle se ressaisisse ; c’est ce que lui aurait fait.

Une tasse fumante apparut dans son champ de vision et son esprit revint à la réalité. Elle leva la tête, Yhuk lui souriait, mi-confiant, mi-penaud. Comme si il redoutait ses réactions. Elle lui prit la tasse des mains, avala une bonne gorgée du breuvage fumant et adressa un mince sourire au vieux.

- Au fait, j’espère que vous n’oublierez pas de me payer pour mes services !

« J’espère que vous n’oublierez pas de me payer pour mes services ! »

Yhuk soupira. Quelle remarque terre à terre... À peine sortait-on d'une grande épopée, que déjà les basses considérations matérielles refaisaient surface, quelle tristesse ! Comme d'habitude, il fallait que le naturel revienne au galop, et le naturel des hommes blancs – qu'ils soient par ailleurs mages, alchimistes, ou technotrucs – était irrémédiablement matérialiste.

« Voici ta récompense », dit-il simplement en sortant de son manteau la pierre de Blihic’ qu'il lui avait promise.

Elle prit l'objet, et l'examina quelques secondes avant de le fourrer dans sa poche : « Merci. »

Au moins n'avait-elle pas éliminé de son langage toute trace de politesse.
Yhuk inclina la tête pour signifier qu'il ne faisait là que remplir sa part du contrat, puis le silence et l'immobilité retombèrent sur le groupe.
Il prit une gorgée de thé. Le liquide était chaud, réchauffait son corps de l'intérieur, réchauffait aussi ses mains à travers la mince épaisseur de sa tasse de bois [en exclusivité mondiale : > le bol de Yhuk <], et il était presque surpris de cette sensation pourtant si familière. Oui, il était étrange de retrouver ses habitudes après un moment d'exception. Le combat avait duré plusieurs heures [et avait été grandement censuré par les narrateurs pour cause de flemme], il avait dépensé une immense quantité d'énergie magique, il avait été blessé [si si ! il s'est écorché avec une écharde de sa baguette magique !], et il avait tué – éliminé de la surface de la terre – son ennemi juré, Lê Dei Tiên, l'invincible Général des armées Taiho.
Et pourtant tout était exactement comme avant. Sa maison était en ordre, comme il l'avait laissée, et il prenait le thé comme il l'avait pris le matin même. Seul l'avancement du soleil dans sa course marquait une différence. Je ne devrais pas m'étonner : quels que soient les grands événements qui ponctuent l'histoire du monde ou la vie des hommes, tout fini toujours par se fondre dans le temps en une grande et inexorable similitude...
Son regard s'égara sur le visage de Jayke, qui semblait absorbé dans la contemplation de son thé, et qui le mélangeait scrupuleusement depuis plusieurs minutes en affichant une expression si concentrée qu'elle en était comique, les yeux plissés, les sourcils froncés, et les lèvres contractées en une moue consciencieuse. Décidément ce jeune homme était toujours un peu décalé : à quoi pouvait-il bien penser ? Avait-il été choqué de ce qu'il avait vu ? Ou bien impressionné ? Certes, il était impossible qu'il ait jamais assisté à un affrontement de cette ampleur auparavant, mais il avait pu connaître d'autres batailles, d'autres morts peut-être... Si tel était le cas, Jayke était plutôt discret sur le sujet car, bien qu'il fit souvent allusion à ses voyages, à ses aventures, jamais il n'avait raconté de grands affrontements où la mort aurait plané au-dessus des participants. Pourtant Yhuk sentait confusément que son petit fils avait déjà vécu de telles choses ; même s'il ne lui en parlait pas, cela se voyait, ne serait-ce que dans sa manière de tourner stupidement sa petite cuillère dans son thé...

[HRP : désolée pour les nombreuses conneries qui émaillent le texte vers le milieu; mon cerveau a dû être déconnecté de manière impromptue avant de capter à nouveau le signal *=*]

Jayke contempla d'un regard lointain le paiement s'effectuer entre son grand-père et Sasarei. C'était comme si elle ne faisait pas attention à l'importance de la bataille qui s'était jouée quelques instants plus tôt. En même temps, elle ne savait rien de l'histoire entre Yhuk et son grand rival, et lui-même devait bien avouer qu'il n'en connaissait pas suffisamment pour affirmer le comprendre. Cependant, ce qu'il avait compris concernait les enjeux de la bataille. Vengeance, mais aussi honneur et courage qui ne faiblissaient pas malgré les années.

Désormais tous assis devant une tasse fumante (enfin, Yhuk avait son bol à lui), le silence pesait sur leurs épaules comme une chape de plomb, un silence après le combat, la fureur de vaincre était retombée. Jayke se sentit alors étrangement serein. Il n'y avait plus de quoi s'inquiéter. Quoi ? S'était-il soucié du sort de son grand-père ? Avait-il eu peur pour sa vie ?
Il ne l'admettrait jamais devant lui (ni devant l'autre gourdasse aux cheveux rouges).
Tête baissée, il touillait consciencieusement sa tasse, fasciné par le sucre qui se mélangeait au liquide ambré. Il ne savait pas trop quoi penser. Peut-être devait-il dire quelque chose ? Signifier ses sentiments par rapport à ce qui s'était passé ? Il ne savait pas comment faire. La maladresse était une part de son être.
Finalement, il soupira, but une gorgée de thé qu'il trouva fort amer, même après tout le sucre qu'il avait mis dedans. Ses yeux croisèrent ensuite ceux de son grand-père et il comprit que le vieil homme l'observait sans doute depuis un bon moment. Ca ne lui plut pas vraiment. Il n'aimait pas qu'on le fixe, parce qu'il y avait toujours derrière de tels regards des pensées qu'il n'était jamais bon de savoir. Mais il choisit de ne pas se mettre en colère pour la simple et bonne raison que cela ne servirait à rien.
- Tu m'as vraiment impressionné, papy, dit-il enfin d'un air neutre, le nez dans sa tasse.
- J'en suis ravi, fils. Tu comprends désormais que la vieillesse n'est pas la fin de tout.
- Ouais. J'espère être aussi performant que toi à ton âge... Si je survie jusque-là.
Yhuk fronça les sourcils.
- Il n'y a aucune raison du contraire. Pourquoi es-tu toujours aussi pessimiste ?
- Je ne suis pas pessimiste ! s'indigna le jeune homme. C'est juste... logique d'avoir peur de mourir trop tôt.
- Dis-moi, ton métier ne te fait pas courir de tels risques, au moins ?
- Je suis armurier, papy. Les risques existent bel et bien.
- Si tu sais te protéger correctement, alors tu pourras les éviter, clarifia Yhuk en levant une main pleine de sagesse.
- Bon, c'est pas tout ça, mais je vais vous laisser en famille ! s'exclama brusquement Sasarei, qui ne s'était pas manifestée jusque-là.
Elle se leva et après s'être assurée que tous ses biens étaient dans ses poches, elle salua les deux hommes et s'en fut d'un pas vif. Quand elle eut disparu derrière la porte, Yhuk arqua un sourcil à l'adresse de son petit-fils.
- Tout compte fait, elle n'est pas aussi polie que je l'aurais espéré.
- C'est une pirate, railla Jayke en se levant à son tour, pour elle rien ne vaut l'appât du gain.
- Tu pars aussi ? s'étonna Yhuk en le voyant prendre ses affaires.
- Oui, j'ai une commande à terminer avant demain matin. Cette histoire n'aura fait que me retarder dans mon travail. Je sens que Lewis va m'accueillir avec son fléau préféré.
Il grimaça tout en ajustant le fourreau de sa dague à sa ceinture.
- Mais...
- Quoi ?
- Rien. Rentres bien, fils.

Jayke aussi aurait voulu dire quelque chose. Mais il n'en avait tout simplement pas la force.