Dans ce futur hypothétique, Djazz a 31 ans, Billie 36. Tous deux mariés et parents, et possèdent une entreprise de fabrication de véhicules de luxe et de compétition, reconnus mondialement comme parmi les meilleurs sur le marché des constructeurs spécialisés. Nous sommes en l'an 271.Djazz entra en première dans la cour, leva le bras pour saluer les quelques ouvriers qui prenaient la pause cigarette de dix heures et alla se garer à l'emplacement qui lui était réservé. La voiture de Billie était déjà là, et il avait encore oublié de fermer sa vitre. Djazz descendit, laissa glisser une de ses mains gantées sur la ligne pure de la carrosserie de son bijou décapotable et leva la tête vers le bâtiment des bureaux sur la façade duquel s'étalaient en lettres sobres mais percutantes « Dickinson Bros. Motors Company ». Un sourire étira ses lèvres rouges puis elle se mit en marche vers le secteur de fabrication situé dans les hangars ouest. Ses talons noirs claquèrent sur le pavé, elle évita quelques flaques d'eau, arriva enfin devant les immenses portes grandes ouvertes et commença sa tournée d'inspection en commençant comme d'habitude par le pôle A.
Les ouvriers déjà au travail étaient penchés sur les moteurs qu'ils manipulaient avec minutie. Les sons métalliques et leurs voix résonnaient contre les immenses murs de pierre et sur la charpente de bois et d'acier trempé. Les chariots allaient et venaient sur les rails au sol. Djazz s'approcha d'un groupe de mécaniciens penchés sur un quatre-temps. Ceux-ci levèrent la tête, se redressèrent et soulevèrent légèrement leurs casquettes en guise de salut auquel la jeune femme répondit par un sourire.
« Z'êtes pas en bleu aujourd'hui patronne ? »
« Nope, aujourd'hui je reçois un client Gillinghan. Je toucherai l'huile demain ! »
Djazz tourna sur elle-même, cherchant quelque chose du regard.
« Où en est-on sur le drag rod de Müller ? »
«Il est passé en carrosserie ce matin. »
Djazz laissa les mécaniciens à leur montage et continua tranquillement sa tournée. Après avoir déambulé dans tous les pôles pour saluer ses ouvriers et constater l'avancée des fabrications, elle déboucha devant le drag rod commandé par Ted Müller, pilote de course, ami et collègue de longue date de Djazz. Deux carrossiers polissaient les pare-choc avants tandis que deux autres nettoyaient les flancs au chiffon doux. Le tout était parfaitement chromé et les nuances de gris subtilement teintées d'or par le soleil. Djazz leva un sourcil. L'un deux s'en aperçut et se redressa.
« Les graphistes ne nous ont toujours pas fait parvenir les décalcos. C'est pour ça qu'on a pas fini. »
« Mmmh... bon. Amenez-la au salon. Je m'en occuperai moi-même ! » répondit-elle en lançant un clin d'oeil.
« Bien, patronne. »
Les ouvriers remirent leurs gants en daim et commencèrent à faire monter le véhicule sur une plate forme roulante tandis que Djazz sortait des ateliers en suivant les rails dans le sol. Elle traça entre les wagonnets qui circulaient dans la grande cour, retenant d'une main son chapeau melon à cause du vent, l'autre enfoncée dans la poche de son trench-coat jouant avec le trousseau de clés. Un coup d’œil à la grande horloge sur la façade des bureaux lui indiqua que le client Gillighan n'allait pas tarder. La jeune femme pressa le pas et fit irruption dans le hall dallé. Les réceptionnistes la saluèrent à leur tour, Djazz récupéra son courrier, le coinça sous son bras et s'engouffra dans l’ascenseur en enlevant ses gants.
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Les Dickinson raccompagnèrent Lord Fillsbury jusqu'à sa voiture garée sur le parking des visiteurs, où le chauffeur attendait patiemment. Ils achevèrent leur conversation enjouée par des politesses, puis Lord Fillsbury serra la main de Djazz, celle de Billie et s'engouffra à l'arrière de son véhicule tandis que le chauffeur prenait place au volant.
Billie sortit un étui à cigarettes de sa poche, le tendit à Djazz et ils allumèrent leurs cigarettes tant bien que mal à cause du vent.
« Quel est le programme pour cet après-midi ? » demanda-t-il en rangeant son briquet.
« Mph... puf... je vais d'abord régler cette histoire de motif pas imprimé pour le drag rod de Teddy, puis... je vais bosser sur la conception des véhicules de la prochaine superproduction des studios Attic. »
« Oui, j'ai jeté un œil au contrat ce matin ! T'as déjà des idées ? »
« Moui... ce qui est bien c'est qu'ils me laissent quasiment carte blanche pour démarrer, enfin je vais bosser en collab avec leurs concept artists évidemment, mais j'aime beaucoup l'univers dans lequel s'inscrivent les lignes directrices. »
« Ouais, si j'ai bien compris en jetant un coup d'oeil au dossier, ils veulent un genre de post-apocalyptique, de l'hybride diesel/cyber rouillé avec une pointe de steam pour l'esthétique ? »
« En gros ouais, je peux jouer à fond la carte du post-apo parce que le scénar met en place une histoire de fiction en reprenant la réalité historique... »
« Ouais, ça se situe un peu après la Jonction non ? »
« Ouaip, mais du coup pour les véhicules principaux ils ne veulent pas utiliser d'effets de synthèse, donc je vais devoir les penser pour qu'ils soient réalisables et manipulables... »
Djazz trépigna en faisant tomber la cendre de sa cigarette. Billie tira sur la sienne en observant sa sœur d'un air rieur.
« T'es excitée comme une puce, toi. »
« Ouiiiii ! »
« J'arrive toujours pas à croire que tu diriges une entreprise, sale gosse ! »
« Beuh ! Tu peux parler ! »
« Hé hé. Avoue que tu serais pas allée loin sans moi. »
« C'est bien pour ça qu'on partage les parts. Au moins avec nous deux, je suis sûre que mes employés et mon bijou sont en sécurité. »
Billie approuva d'un signe de tête et se mit à observer Djazz les sourcil froncé. Soudain il tendit les bras vers elle, réajusta son foulard et le col de son manteau, puis satisfait passa un bras autour de ses épaules et ils retournèrent dans le bâtiment, jetant au passage leurs mégots dans une des vasques de sable prévues à cet effet.