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Devant la panique qui avait saisi l’ensemble des quartiers civilisés de la Citadelle, Hivrenuit avait renoncé à trouver une planque calme où laisser l’excitation retomber. Toutes les rues étaient agitées de bousculades effrénées, de chocs entre badauds curieux ou effrayés courant dans des directions opposées, de policiers appelant au calme et d’allumés criant à l’anarchie, porte- voix au milieu du désert. Dans cet océan de passions tumultueux, le bon sens froid du tueur peinait à conserver la trajectoire fixe qu’il s’était fixée vers le cœur de Highway District, là où peut-être ils pourraient trouver une atmosphère moins effervescente. Il n’était plus temps désormais de songer à la discrétion, la vitesse et l’efficacité seules sauraient les sortir de ce foutoir.

Dans son dos, Drake haletait tout en lançant de fréquent coup d’œil par dessus son épaule (la sienne, pas celle d’Hivrenuit). Pour une raison obscure, son comportement s’était modifié depuis qu’ils étaient arrivés à la Citadelle : moins enclin à faire le pitre, il était au contraire devenu très nerveux et tentait de se dissimuler derrière son habituel sourire détaché, beaucoup moins naturel qu’à l’habitude. Ce changement brutal d’attitude inquiétait Hivrenuit au plus haut point, si bien qu’à la première cyber-cabine accessible qu’il aperçut, il s’empressa de le pousser à l’intérieur et referma la porte sur eux.

« Pourquoi tu passes ton temps à te retourner ? Quelqu’un nous suit ?

- Je ne me retourne pas, rétorqua sèchement Drake, et c’est toi qui regarde sans arrêt derrière nous !

- Moi ?... »

La réponse de Drake ne le laissait pas simplement perplexe, il commençait à se poser de sérieuses questions sur la santé mentale de son partenaire improvisé. A vrai dire, il ne l’avait jamais cru tout à fait sain d’esprit, mais ses dernières réactions montraient qu’il ne s’agissait pas d’un bête décalage avec les modes de réflexions habituellement considérés comme normaux : le problème était plus profond. N’ayant aucune envie de s’improviser médecin pour un cas comme celui de ce dégénéré, il décida de laisser couler, mais se promis de toujours garder un œil sur lui.

« Ok, continuons alors… »

Sous le regard interrogatif de Drake qui semblait penser que c’était plutôt lui le fou, Hivrenuit ouvrit la cabine et reprit son chemin en direction de Highway District.

Ils arrivèrent bientôt à ce qui se rapprochait le plus des bas-fonds de la Citadelle, remplis de tout ce que la société contre nature des cyber produisait de débauches et de perversions. Au grand désespoir de Hivrenuit, Drake s’y trouva comme un poisson dans l’eau, reprenant son habituelle attitude de gamin insolent et de coureur de jupons. Il dû littéralement le tirer hors des bras d’un travesti exubérant qui s’apprêtait à lui glisser la main dans le pantalon, et plus tard l’empêcher de tripoter l’étrange anneau qui pendait de l’oreille d’un monstre de 200 kilos au moins, tout compte fait, il le préférait en paranoïaque.

Lorsqu’ils entrèrent dans le vaste bar-discothèque « Jack Rabbit Slim’s », sous les projecteurs verts fluos, et les rythmes barbares de leur musique de sauvage, Drake recommença son manège inquiet. Manifestement, il ne supportait pas les milieux qu’il ne connaissait pas, où il n’était pas en parfait contrôle de la situation. Compréhensible. Hivrenuit ressentait un peu la même impression dans tout ce que la Citadelle comptait de couloirs aseptisés, mais là il était à son aise. Ce bar, c’était leur planque dans la Citadelle, tout ici appartenait aux d’Alimbertès et à la secte. Calmement, il se dirigea vers le fond de la salle en prenant garde à la fois que Drake reste avec lui, et que les débiles profond qui se trémoussaient sauvagement ne lui vomissent pas sur les pompes. Il eu la surprise de reconnaître sur la piste de danse le policier crétin du BAI, mais sommes toute, sa place était ici plus qu’ailleurs… Il poussa la porte qui donnait accès aux locaux du personnel, puis se dirigea rapidement vers les escaliers, et le deuxième étage. 3ème porte sur la gauche : « responsable clientèle », il ouvrit et salua :

« Bonjour Albion, comment vont les affaires ? »

Le dénommé Albion se retourna dans son fauteuil, mis fin à sa conversation téléphonique en quelques paroles de politesses, puis répondit :
« Bonjour Hivrenuit, les affaires avancent tranquillement. Y a-t-il quelque chose que je puisse faire pour toi ?

- C’est si gentiment proposé… Et bien oui, je ne suis pas venu pour le charme de ta présence : nous cherchons un certain psychopathe blond, probablement lié à l’affaire du SeaForce, qui s’est selon toute probabilité réfugié à la Citadelle. Tu as ça ?

- Ca pour l’avoir… répondit Albion en souriant, si c’est bien le psycho qui t’as filé dans les doigts à Consortium, j’ai bien peur qu’il ne soit actuellement recherché par bien d’autres personnes que toi… »

Albion tourna vers eux l’écran de son ordinateur, et lança la lecture de plusieurs vidéos de qualité diverses reconstituant la scène qui venait de se dérouler à l’Institute District.

Toujours aussi nerveux, Misha avait pourtant suivi son acolyte dans les méandres de la Citadelle. La foule de gens hétéroclites, il l’appréciait, mais les espaces clos et enfumés des bâtiments du quartier où ils se trouvaient, il détestait. À chaque instant, il avait cru qu’on le fixait, lui, rien que lui, toujours lui. Il se serait presque senti dans son élément si les coups d'oeil alertés d’Allan ne l’avaient pas inquiété un peu plus. Qu’est-ce qu’il croyait ? Que Drake avait la faculté de se fondre dans un tel décor au point que la plupart auraient pensé qu’il avait sans doute vécu ici toute sa vie ? Eh bien, c’était mal barré. Drake n’était pas infaillible, Drake avait ses faiblesses. Et Drake ne supportait pas ça.
Cependant, il se devait de tenir le coup. Il n’avait pas fait tout ce foutu chemin pour revenir plus fou qu’avant !
Misha tenta de se reprendre, et il y parvint quand ils arrivèrent à leur destination. Son masque de nonchalance joyeuse reparut sur son visage quand il croisa les yeux du susnommé Albion. Lui et Allan parlèrent sans préambule, quand, tout à coup, Misha se rendit compte d’un truc qui ne collait absolument pas avec le scénario initial : Albion avait appelé Allan « Hivrenuit ».
D’abord, il ne réagit pas. Puis, petit à petit, la colère, la frustration et l’incompréhension l’envahirent. Il se sentait « roulé », comme disaient les jeunes d’ici. Trahison, disgrâce… Non, attendez, n’avait-il pas lui aussi joué la carte du menteur ?
Alors il se mit à rire. Son gloussement saccadé monta de plus en plus dans sa gorge, et, bientôt, il ne pouvait plus se contrôler. Albion et Hivrenuit l’observaient comme s’il était dingue. Mais, oui, c’est ce qu’il était, dingue ! Taré ! Siphonné du cerveau ! et j’en passe… Il se retrouva par terre, plié en deux, les larmes lui montant carrément aux yeux. Finalement, après deux trois minutes non-stop de fou rire, il se calma. Il leva la tête vers les deux autres et les regarda tour à tour, puis il s’assit contre le mur qui leur faisait face, un vague sourire aux lèvres.
− Qu’est-ce qui t’as pris ? lui demanda enfin Hivrenuit, autrefois Allan, un mec dont il ne savait presque rien, en fait.
− Tu m’as bien eu…
− Pardon ?
− Misha.
− Qui ?
− Je m’appelle Misha… SURPRISE !
Il se releva à la vitesse de l’éclair et s’il avait été une balle en caoutchouc, il aurait rebondi dans toute la pièce tellement il était excité. Or, Hivrenuit n’afficha, au contraire de lui, que son éternel air impassible.
C’était pourtant une révélation du feu de Dieu ! se disait Misha.
− Pffff, t’es pas drôle.
Un étonnant sourire en coin s’esquissa sur le visage de l’alchimiste blond.
− Je m’étais douté que tu avais le sens du mystère, comme moi.
Il se détourna vivement vers Albion, laissant un Misha pantois et la bouche entr’ouverte.
− Je suppose qu’on a raté ces vidéos ?
− Hein ? Ah, merde !
Albion relança la lecture. Misha se rapprocha, s’étant remis entre temps, poussé par la curiosité de voir enfin, ou du moins d’apercevoir, le visage de celui qu’ils cherchaient. Il ne fit pas attention aux autres séquences, il était simplement obnubilé par cette tête blonde. Brusquement, Albion mit sur pause, et l’image fixe leur révélait un jeune homme maigre, au regard fou, tourné vers la caméra qui avait filmé une des scènes. On le discernait mal à cause de la mauvaise qualité de la vidéo, les pixels crépitant autour de lui et effaçant à moitié sa figure. Toutefois, c’était assez pour que Misha se rende compte d’un autre fait, qu’Albion éclaircit à voix haute :
− Dites donc… Misha, vous ressemblez vraiment à ce garçon, vous savez ?
Misha ne répondit rien, car Misha était trop fasciné et effrayé à la fois pour dire quoi que ce soit.
− Un badaud l’a filmé avec son cellphone, précisa Albion.

La soudaine surexcitation de Drake, ou plutôt de Misha, l’avait pour sa part laissé assez froid. Comme d’habitude… Au contact de cet énergumène branché sur du 220 Volts, il ne se passait pas une seconde sans qu’une nouvelle crise de folie ne manque de le tuer, de frayeur ou de désespoir. Mais il avait pour l’instant d’autres chat à fouetter : si le psychopathe blond qu’il poursuivait était la cause de tout ce bordel, il n’aurait aucune chance de lui mettre la main dessus ici, il fallait donc tenter de se tirer de ce merdier, en espérant que lui saurait en faire autant. Mais ce n’était que partie remise…

Sortir donc… Avec un mec complètement inconscient, en qui il n’avait qu’une confiance très limitée, et qui, pour couronner le tout, ressemblait à s’y méprendre au terroriste après qui courrait tout ce que la Citadelle comptait de flics. Il avait une profonde envie de le planter là au bon soin de la famille. Heureusement pour sa gueule de balafrée, Albion proposa une solution avant qu’il n’est le temps de formuler la sienne :

« Si vous êtes venu récupérer la gueule d’ange qui fait actuellement la une des médias, vous êtes arrivés trop tard, et, vu votre accoutrement, vous aurez du mal à sortir, donc j’ai quelque chose à vous proposer : on a un livreur qui va arriver d’ici une heure au maximum, et qui repart dans la foulée pour Consortium sans passer par l’ae-tram, si tu vois ce que je veux dire… A priori il peut vous prendre si on allonge la monnaie. »

Hivrenuit n’était qu’à moitié convaincu, surtout qu’il ne comprenait pas bien ce que signifiait le fait de ne pas passer par l’ae-tram, mais il ne pouvait pas se permettre de perdre plus de temps. Il acquiesça donc et tourna un sourcil interrogateur vers Misha.

Perdu dans ses rêveries habituelles (ou du moins ses questionnements absurdes à propos de la Citadelle), Misha n’avait même pas entendu la proposition d’Albion, ni remarqué le regard scrutateur de son compagnon d’infortune qui n’avait pas franchement cillé face à la révélation de sa véritable identité.
− Hein ?
− Tu n’as rien écouté de ce qu’Albion vient de dire, n’est-ce pas ?
Misha crut déceler une pointe de désapprobation mêlée d’agacement dans la voix de Hivrenuit. Pour faire bonne figure, il prit un air trop sérieux pour être vrai, voire légèrement constipé comme il se le rappelait de son vieux professeur, là-bas, dans son pays natal. Les mains derrière le dos, il se balança doucement d’avant en arrière sur ses pieds.
− Euh, mais si, si, j’ai tout écouté.
− Vraiment ? fit Hivrenuit en levant un sourcil perplexe. Tu peux nous en faire un résumé alors.
− Euh, oui, tout à fait, oui.
Il fit mine de réfléchir, prenant une pose sur tel ou tel côté, se caressant le bout du menton d’un air furieusement pensif, ouvrant la bouche, la refermant, et ainsi de suite durant plusieurs minutes. Ce fut, contre toute attente, Albion qui finit par perdre patience.
− Écoutez les gars, je ne peux pas vous garder éternellement ici. Il va falloir se décider.
Il tenait son cellphone car il venait juste de recevoir un appel.
− Le livreur ne va plus tarder et il est tout aussi pressé que moi. Alors ?
Hivrenuit se tourna vers Misha et lui lança un tel regard que l’ex-pirate céda et avoua tout.
− Non bah en fait j’ai rien écouté… C’est grave ?
Hivrenuit soupira légèrement, se massa subrepticement entre les deux yeux, puis se concentra de nouveau sur son compagnon.
− En gros, un livreur va arriver et va nous permettre de repartir ici sans passer par les « voies » habituelles. Pour ce faire, il va falloir payer. Tu as compris ?
− Eh, je suis pas un demeuré !
Misha, tout de même vexé, croisa les bras et fit une moue boudeuse.
− Bon, est-ce que tu es d’accord avec ce plan, oui ou non ?
− Ouais. Ça m’a l’air cool.
Comme par hasard, ce fut à ce moment-là qu’on choisit de frapper à la porte du petit bureau. Albion l’ouvrit, révélant un homme en uniforme de travail (un t-shirt avec col, un short et une casquette avec le nom de l’entreprise qui l’employait inscrit dessus). Il adressa un bref salut de la tête à Albion et regarda fixement les deux autres hommes sans rien dire. Puis il se rappela pourquoi il était là avant tout et alors apparut un colis dans sa main, plus une plaquette d’information. Il donna le colis à Albion et lui demanda de signer le reçu de livraison.
− J’ai un colis à faire livrer, moi aussi, lui signifia Albion d’un air entendu.
− Euh, j’ai pas d’argent, moi, intervint Misha, toujours en finesse, et après avoir illustré son propos en retournant carrément ses poches.
− Je m’en occupe, indiqua Hivrenuit.
Tandis que l’alchimiste blond et le livreur s’entendaient sur le prix, Misha fut pris de curiosité sur l’ordinateur d’Albion. Celui-ci le remarquant, il s’approcha de l’ex-pirate et commença à lui expliquer un peu à quoi cette étrange boîte pleine de couleurs et de lumières servait.
− Ah, je vais te montrer un truc marrant que m’a envoyé un ami sur Résocia.
Il cliqua sur un lien et une image s’ouvrit dans une autre fenêtre.



− HOLLY MOTHER OF SHIT !!
Tout le monde sursauta, même Hivrenuit. Misha s’était réfugié en un clin d’œil dans un coin de la pièce, et il se tenait prostré tel un enfant atteint d’une maladie mentale tout en murmurant des choses incompréhensibles. N’y pouvant plus, l’alchimiste blond prit sa voix la plus menaçante pour lui dire :
− Misha, si tu continues comme ça, je vais te laisser ici et tous les gentils policiers qui recherchent notre homme ne feront qu’une bouchée de toi dès qu’ils te verront. C’est ce que tu veux ?
Il y eut un reniflement, puis un petit son qui ressemblait sans doute à un semblant de réponse :
− Nan…
Misha se releva lentement, contourna prudemment l’ordinateur d’Albion, puis se fila tel l’éclair hors de la pièce, à la suite du livreur.

[ HS : milles excuses pour ce retard... Anyway, Hivrenuit je te passe bien évidemment la suite, c'est à toi de nous amener là où se passera enfin l'action \o/ ]

Quand le livreur habillé comme un plouc passa la porte, Hivrenuit avait déjà atteint le degré 0 de la motivation, il ne voulait plus rien faire, et surtout pas avec Misha. C’est donc avec un allant tout relatif qu’il marchanda avec le livreur leur retour au sol, et il s’en tirèrent, après mention de son curriculum vitae, pour un aller simple sans frais.

Cet échange n’avait en tout et pour tout prit qu’une petite minute, et pourtant, Misha avait réussi à, une fois de plus, se servir de son cerveau débilitant pour faire chier le monde. La voix remplie d’une patience infinie, il lui exprima le fond de sa pensée, et dès lors ils purent tous sortir de la pièce dans la joie et la bonne humeur. Hivrenuit se plaça tout de même derrière son acolyte arriéré de manière à être mesure de faire face à n’importe quelle action stupide en un temps minimum. Le livreur s’arrêta bientôt, en plein milieu du couloir, devant une porte marquée d’une tête de mort et d’un éclair rouge sur laquelle s’imprimait les mots : « Danger de mort ». Assez d’accord avec l’écriteau, Hivrenuit ne pouvait qu’approuver le choix du plouc en ce qui concernait le lieu de l’arrêt, mais sa curiosité piquée questionna tout de même :

« Nous sommes pressés je vous rappelle, est-il vraiment nécessaire de faire une pause alors que nous sommes parti il y a 5 mn ?

- Ce n’est pas une pause, nous sommes arrivés, répondit le livreur, ou plutôt presque arrivés, si vous voulez bien prendre mes mains…

Comprenant enfin quel serait le moyen de leur retour, Hivrenuit saisi sans hésitation la main qu’on lui tendait, tandis que Misha, plus circonspect, faisait de même. Le vendeur ferma les yeux, ils l’imitèrent, et sentirent progressivement leurs corps se décomposer dans les limbes, puis instantanément ils se matérialisèrent au sommet de la Cathédrale Saint-Jean.

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