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 Les Liaisons anodines

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A. J. Grégoire de Sillery

A. J. Grégoire de Sillery


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MessageSujet: Les Liaisons anodines    Les Liaisons anodines  EmptyDim 16 Oct - 12:17

- Cette introduction se déroule à Stern Road, chez Maxine -

Le soleil se levait. Une obscurité douce régnait encore dans la chambre. Sur le lit, Maxine s’éveillait. Un homme, debout dans la cuisine, préparait le petit déjeuner. Il lui apporta son thé au lit, accompagné de petits gâteaux.

« Merci Grégoire.
- De rien. J’ai seulement volé de la nourriture dans ton placard, ce ne fut pas un effort démesuré ! »

Elle rit :

« Je disais ‘merci’ pour hier soir…
- Ah ça ! C’est plutôt moi qui devrais te remercier. Tu me permets d’échapper à mon monde, et de m’amuser dans ton lit. D’ailleurs… tu es la seule avec qui je peux véritablement prendre du plaisir.
- Vraiment ?
- Tu sais, dans la société où je vis, il n’y a guère que les prostituées qui savent baiser gaiement – mais c’est seulement pour le profit qu’elles en peuvent tirer. De l’autre côté se tiennent les ‘dames’, moins vénales mais trop prudes, hypocrites, incapables de prendre le plaisir que je leur tends, incapables d’assumer leurs désirs, elles cherchent immédiatement à légitimer les faiblesses de leurs corps, et alors elles parlent de mariage, pire ! elles parlent d’amour – et je me lasse bien vite de ces demoiselles faussement effarouchées. Mais toi…toi ! Oh toi tu es une femme, tu me clames tes envies plutôt que de les refouler, et tu ne demandes aucune rémunération, si ce n’es le plaisir que je peux te donner, et que tu me rends à ton tour.
- C’est, en somme, un échange de bons procédés.
- Plutôt un échange de bons plaisirs, procédant de procédés subtils.
- De plaisants procédés, auxquels je procède avec plaisir. »

Il sourit.
Maxine appréciait ces échanges, ces paroles dérisoires jetées au vent, qui n’avaient d’intérêt que ludique. C’était Grégoire qui lui avait appris le plaisir des jeux de mots, et elle ne s’en lassait pas.

« Ah ! s’exclama soudain Grégoire, il faut absolument que je te raconte quelque chose !
- Quoi donc ?
- Une scène qui se déroula l’autre jour, alors que j’étais dans le salon du Marquis de Bancourt.
- Je t’écoute. »

*

La scène se déroule dans le salon littéraire du Marquis de Bancourt. De nombreux convives sont là, et prennent la parole tour à tour devant l’assistance pour déclamer des poèmes ou se livrer à des duels de mots d’esprit. Chaque parole prononcée est écoutée de tous.
Grégoire, ici connu sous le nom d’Amadys Justinien Grégoire de Sillery, est parmi les convives. La Comtesse de Corissante fait son entrée. Le maître de maison s’approche pour l’accueillir.


MARQUIS DE BANCOURT

Madame, c’est un honneur pour moi de vous recevoir dans mon modeste salon.

COMTESSE DE CORISSANTE

Monsieur, croyez-le bien, c’est un honneur pour moi d’être reçue dans ce ‘modeste’ salon – bien que la modestie, si l’on en croit certains dires, ne soit pas la première de ses qualités.

MARQUIS DE BANCOURT

Parlez-vous de la modestie du salon, ou de celui qui le tient ?

COMTESSE DE CORISSANTE

Je parle des propos que tient celui qui tient le salon.

MARQUIS DE BANCOURT

Et quel genre de propos vous a-t-on racontés ?

COMTESSE DE CORISSANTE

On dit du galant homme qu’il déclame sans complexe
Le nombre des conquêtes qu’il fait sur le beau sexe :
Il aime flatter les dames…pour pouvoir les compter !

MARQUIS DE BANCOURT

Et cependant Madame, ces conquêtes sont nombreuses,
Ne serait-ce pas la preuve que c’est un habile homme ?

COMTESSE DE CORISSANTE

C’est surtout bien la preuve que c’est un métronome
(Elle mime avec son doigt)
Qui va de droite, à gauche, sans tenir le bon bout,
Et tombe de chaque côté, car ne tient pas debout !

Rires discrets.
Le Marquis de Bancourt, humilié, se tait. Un homme se lève pour intervenir, c’est Grégoire de Sillery.


MONSIEUR DE SILLERY

Madame, je le concède, j’admire votre esprit,
Vos vers sont audacieux, je dirais même exquis.
Mais ce sont vos discours qui ne tiennent pas debout :
Vous prétendez que l’homme que visent vos remarques
A touché chaque cible…sans savoir bander l’arc ?

COMTESSE DE CORISSANTE

Celui de Cupidon ?

MONSIEUR DE SILLERY

Celui que vous voudrez.

COMTESSE DE CORISSANTE

Je prétends simplement que quelque fois l’archer
Se prépare longtemps avant que de bander
Mais qu’une fois tendu, laisse la flèche filer
Et ne prend pas le temps qu’il faudrait pour tirer.

Grégoire se retient de rire. Les convives sourient et s’amusent. Le Marquis rougit.

MONSIEUR DE SILLERY

Madame, voilà une information concernant les archers dont je n’avais point connaissance. Et je suis heureux que vous l’ayez portée à mon attention.

COMTESSE DE CORISSANTE

Ce fut avec plaisir.

MARQUIS DE BANCOURT (honteux et furieux)

Madame, je crains qu’après ceci vous ne soyez plus la bienvenue en ces lieux.

COMTESSE DE CORISSANTE

Tant mieux.
J’ai moi-même un salon,
Dans ma propre maison,
Que je tiens tout à l’heure.
J’y invite d’ailleurs
Tous ceux qui le voudront.
Sur ce, je vous salue, Marquis.

Elle s’incline, puis sort.

*

« Et tu es allé à son salon ? demanda Maxine.
- Évidemment ! C’était fort distrayant. Je crois qu’elle m’a trouvé à son goût.
- Vous avez couché ?
- Oh, à peine… »

Maxine éclata de rire.

« Comment peut-on coucher ‘à peine’ ?
- Comme ça ! »

Et il se jeta sur elle en l’embrassant.

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Greta de l'Hesperanz

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MessageSujet: Re: Les Liaisons anodines    Les Liaisons anodines  EmptyMar 18 Oct - 18:03

*La scène a lieu plusieurs mois après le récit de Grégoire au sujet du marquis de Bancourt.*

Invitation

Greta descendit à la hâte les marches de l'entrée. Le cocher ouvrit la porte du fiacre, elle monta dedans et s'installa confortablement, resserrant contre ses jambes les pans de sa robe carmin délicatement damassée. Elle tenait son éventail replié contre son ventre corseté. Elle annonça sa destination au cocher qui prit place et fit démarrer l'attelage.

La voiture quitta la propriété, s'engagea sur la route pavée, traversa Sperandei, passa devant le Consulat et stoppa devant le perron d'une riche demeure. Greta descendit, le cocher cravacha les chevaux et le fiacre repartit.
La jeune femme se dirigea vers la porte et fit jouer le heurtoir. Un valet lui ouvrit et l'introduisit dans un petit salon où elle s'installa.

« Annoncez mademoiselle de l'Hesperanz. Madame de Corissante m'attend. »
« Elle m'en a informé. Elle est à sa toilette, je vais la prévenir. »

Le valet sortit de la pièce pour revenir quelques minutes plus tard, priant Greta de le suivre. Elle se fit mener dans le salon de réception de la comtesse. Celle-ci l'attendait et la salua chaleureusement.

« Mademoiselle de l'Hesperanz ! Je suis heureuse que vous ayez répondu à mon invitation.
- Je suis toujours flattée que vous pensiez à moi.
- Enfin, ai-je vraiment besoin de vous envoyer un billet pour que vous preniez part à mes réceptions ? L'amitié que j'ai pour vous n'est plus à démontrer.
- Et elle est réciproque. Cela faisait longtemps que nous n'avions pas goûté ensemble, ma chère...
- Trêve de courtoisie, Greta, nous sommes entre amies pas dans un salon ou la parole doit être aussi soignée que la tenue. Alors, comment se porte votre père ? »

Greta sirota un peu de chocolat chaud que la servante venait d'apporter.

« Voyez-vous Cassandre, on pourrait presque le croire éternel. Il ne pratique plus son art autant qu'avant, se consacrant à d'autres affaires mais sa vivacité d'esprit est à l'épreuve du temps.
- Mais, et vous même ? Nous n'avons pas eu le plaisir de vous voir ces derniers temps et plusieurs de ces dames s'en plaignent.
- Parmi « ces dames », se trouvent les quelques vipères qui se montrèrent médisantes envers moi il y a quelques semaines dans le boudoir de l'une d'entre elles ? »

Cassandre et Greta rirent. Aucun nom cité pourtant toutes deux savaient exactement qui se trouvait accusé.

« En effet, vous me semblez bien renseignée !
- Il est évident que certaines personnes n'ont pas apprécié que ces femmes de qualité me reprochent des « activités » dont elles-mêmes ne se privent pas. On m'a fait part des échanges empoisonnés entre madame de Portanger, madame de Honcourt et mademoiselle du Verrefoix.
- Je fais partie des personnes qui n'ont pas apprécié leurs dires et si vous cherchez vengeance, je puis vous aider. Je tiens salon demain ici-même et je vous y invite expressément. Je puis les convier et m'arranger pour que vous puissiez les humilier, proposa la comtesse dont le visage dessina un sourire mesquin.
- Il serait moins dangereux d'en prier une seule. Je sais des choses sur mademoiselle du Verrefoix, et il me semble qu'elle est celle des trois qui est pourvue du moins d'esprit. Il me sera facile de la piquer.
- A votre guise ma bonne amie, j'ai hâte de la voir s'écrouler sur ses fondations de reste maigres et tordues.

La discussion cessa le temps que les deux femmes se délectent de leur chocolat.

"J'ai entendu dire que vous êtes apparue chez monsieur de Bancourt il y a quelques jours, et que monsieur de Sillery lui avait fait ravaler ses mots ? Questionna Greta en prenant une meringue.
- Vos ouï-dires sont avérés, répondit Cassandre avec un soupçon de fierté. Monsieur de Sillery est un homme de beaucoup d'esprit et, si je puis me permettre, il se trouve habile dans d'autres domaines, virtuosité que beaucoup de ces messieurs devraient lui envier.
- Je peux confirmer, dit Greta en riant. Il se trouve que quelques jours après le soir où vous nous avez présentés le gentilhomme m'a démontré l'étendue de ses capacités.
- Juste ciel, j'avais oublié que je vous avais présentés moi-même il y a quelques mois !

Les deux femmes discutèrent encore un moment, planifiant la revanche de Greta sur Héloménie de Verrefoix. Puis cette dernière prit congé de son amie, se retira et rentra chez elle.


Dernière édition par Greta de l'Hesperanz le Sam 29 Oct - 22:23, édité 1 fois
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A. J. Grégoire de Sillery

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MessageSujet: Re: Les Liaisons anodines    Les Liaisons anodines  EmptySam 29 Oct - 20:17

*le même jour que le post ci-dessus*

« Monsieur ? » appela le maître d'hôtel en poussant doucement la porte.

L'entrée du maître d'hôtel interrompit l'habillage de Monsieur de Sillery, le valet suspendant son geste alors qu'il ajustait les collants de son maîre. Grégoire baissa les yeux sur le valet en question :

« Je vous en prie, Saturnin, poursuivez ! »

Le valet reprit immédiatement son ouvrage, mécontent de sa propre distraction. Grégoire se tourna alors vers l'homme qui venait d'entrer :

« Qu'y a-t-il, Lacloche ? »

C'était là le véritable nom du maître d'hôtel, porté par son père et son grand-père avant lui, mais Grégoire le trouvait si cocasse pour un homme de maison, qu'il ne pouvait s'empêcher de rire intérieurement chaque fois qu'il le prononçait, et tout particulièrement, il fallait l'avouer, lorsqu'il le faisait venir en le sonnant, justement, avec une petite cloche.

« Un billet est arrivé, dit Lacloche. De la part d'une certaine Mademoiselle de l'Hesperanz, mais fermé du sceau de la Comtesse de Corrissante.

- Vraiment ? Ces deux-là deviennent décidément des amies fusionnelles, au point de mêler leurs signatures... Je ne saurais dire si c'est une bonne chose. »

Il prit le billet, l'ouvrit, le lut silencieusement.

« Saturnin, déclara-t-il à son valet tandis que celui-ci lui faisait enfiler sa veste, si l'habilleuse n'est pas remise de sa toux demain, vous la remplacerez encore une fois ! Mlle de l'Hesperanz me convie à une réception très habillée chez la Comtesse. D'ailleurs, Lacloche, comment va-t-elle ?

- La Comtesse ?

- Non, l'habilleuse !

- Ah, euh... mieux, monsieur, bien mieux. Les soins de votre ami hypocrate ont beaucoup soulagé son mal.

- J'en suis ravi ! Tout cela est bien, très bien... Vous pouvez disposer Lacloche. »

Lacloche sortit.
Grégoire, après une courte pause où il observa son valet lacer ses souliers, déclara :

« Eh bien, Saturnin ? Est-ce bientôt fini ?
- Quelques instants encore, Monsieur.
- Ah, qu'il me tarde que cette pauvre Joséphine aille mieux ! Elle est aussi habile que vous êtes lent – sans vouloir vous vexer, car vous avez d'autres talents... »

Le valet hocha humblement la tête, sans faire plus de cas de la remarque, concentré sur sa tâche qui consistait à finir d'ajuster les manches à froufrous de Monsieur. Ayant fini, il recula d'un pas :

« Voilà. »

Content, Grégoire pivota pour se contempler dans un miroir, miroir dont la netteté trahissait les origines cyberpolitaines malgré son cadre tout en dorures.

« Parfait ! déclara-t-il. Faites préparer le fiacre.

- Quelle couleur, Monsieur ?

- Pardon ? Le fiacre est noir, nous n'en avons qu'un. C'est le cabriolet qui est ivoire... Ou bien en avons-nous un nouveau ?

- Je parlais des chevaux, Monsieur.

- Ah, oui, les chevaux, bien sûr !... Eh bien... Blancs ! »

Le valet acquiesça en s'inclinant. Puis sortit.

Resté seul, Grégoire s'effondra dans un fauteuil.
Devant ses yeux, des rais de lumière traversaient la pièce, depuis la fenêtre jusqu'aux pieds de la commode, faisant briller des milliers de poussières en suspension. Il laissa aller ses doigts à jouer avec la lumière, puis murmura pour lui-même : « Vraiment, cette demoiselle de l'Hesperanz m'inquiète... Je fais bien d'aller chez Eloïse dès aujourd'hui, nous aurons de quoi parler. »
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Greta de l'Hesperanz

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MessageSujet: Re: Les Liaisons anodines    Les Liaisons anodines  EmptyMer 2 Nov - 16:50

Greta se tenait devant le grand miroir en pied, indécise. Suzanne attendait son avis pour sortir la robe de l'armoire.

"La violette. La plus foncée, celle avec les dentelles noires."

La femme de chambre saisit l'étoffe délicatement et aida Greta à la revêtir. La jeune femme qui s'attendait à passer un bon moment, était un peu déçue : Héloménie de Verrefoix avait décliné l'invitation de Cassandre. Elle devrait donc attendre pour prendre sa revanche. Elle avait demandé à Vasken de l'accompagner mais celui-ci était reparti pour une destination inconnue, afin de régler quelque affaire louche.
Il y aurait bien sur monsieur de Sillery, mais l'apprécierait-il comme la dernière fois ?
Allons, ne doute pas. A chaque fois que tu as voulu un homme, tu l'as eu, non ? Alors pourquoi en serait-il autrement avec lui ?
La logique de Greta était très simple. Si une femme a plu une fois et qu'elle ne plait plus la deuxième fois, c'est qu'elle n'est plus bonne qu'à se marier.

Les dessous bien ajustés et la robe passée, Greta demanda à sa femme de chambre de sortir. Une fois seule elle s'observa sous toutes les coutures dans le miroir, rajusta quelques détails, se coiffa en chignon bouffant, quelques mèches bouclant sur ses tempes et mit des bijoux. Après avoir parachevé son maquillage, la jeune femme se dirigea vers une petite étagère vitrée, l'ouvrit à l'aide d'une clé en or.

Étaient alignées deux dizaines de fioles finement ciselées, ornées de dentelles et de perles, dont les contenus projetaient de multiples couleurs. Greta saisit le plus délicatement du monde une bouteille en forme de cœur. Lorsqu'elle l'ouvrit, le liquide translucide rouge vif laissa échapper une légère fumée. Les particules s'élevèrent dans l'air, formèrent un cœur avant de retomber par le goulot. Greta en mit une goutte sur ses doigts et en effleura la base du cou. Elle créait toujours ses parfums elle-même.

Saisissant l'éventail assorti à sa tenue au passage, Greta sortit et monta dans le fiacre pour se rendre chez Cassandre.
Elle arriva la première, à la demande de son amie pour avoir le temps de discuter un peu en privé.
Puis les autres invités arrivèrent petit à petit, l'ambiance était agréable. On échangeait des mondanités, des jeux de mots, on mangeait les pâtisseries et buvait du vin.

Un gentilhomme s'approcha d'elle, un grand sourire aux lèvres :
"Mademoiselle de l'Hesperanz, votre présence me ravit !
- A vous entendre mon cher, on jurerait que c'est vous qui m'avez invitée !
- Heu..."
La jeune femme piocha un grain de raisin dans une coupe.

"Greta !
- Oh, bonjour Renata ! Comment allez-vous ?
- Oh, très bien.
- Et monsieur ?
- Le pauvre homme a rendu l’âme il y a trois jours...
- Oh ! J'ignorais, mes condoléances.
- Ne vous en faites pas, personne n'a su avant hier, il est mort dans notre manoir de province. J'ai fait mon deuil comme il se devait.
- Bien sur... et maintenant ?
- Maintenant ? Hé bien maintenant de désespoir je m'abandonne dans diverses paires de bras !"

Les deux jeunes femmes éclatèrent de rire avant de faire tinter leurs verres.

"Au souvenir de monsieur !
- Qu'il repose en paix, moi je ne dors plus !"

Elles repartirent d'un rire clair avant de se séparer pour vaquer à diverses occupations.

Greta avait entamé une partie de cartes avec une marquise et deux comtes et ne vit pas monsieur de Sillery entrer. Cassandre vint lui chuchoter à l'oreille :

"Monsieur de Sillery est arrivé, veux-tu que je vous présente ?
- Nous nous connaissons déjà un peu mais pourquoi pas...
- Oh ! J'oublie toujours que c'est moi qui vous ai présentés ! Viens !"

Elles ne se tutoyaient qu'en privé. En arrivant devant Grégoire, Cassandre prit la parole :

"Monsieur de Sillery, comment allez-vous ? Vous connaissez mademoiselle de l'Hesperanz il me semble ?"

Les Liaisons anodines  Imag0310
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A. J. Grégoire de Sillery

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MessageSujet: Re: Les Liaisons anodines    Les Liaisons anodines  EmptyDim 20 Nov - 19:42

Le fiacre allait bon pas. Grégoire, la tête appuyé contre le cadre de la fenêtre, regardait passer les rues du Sperandei. Il avait le regard à la fois vague et pointu que seuls peuvent avoir les habitués d'un lieu : ils ne s'étonnent de rien, mais notent le moindre changement. Ainsi Grégoire voyait que le parvis de la villa des Gantnoire était bordé de nouveaux arbres exotiques, que le pavé de la rue des Moines aurait eu besoin d'un renivellement, et mille autre détails frivoles... Mais ses pensées étaient plus profondes.

Il songeait à ce qu'il pensait de Greta de l'Hesperanz. « Une femme de caractère, aux mœurs indépendantes » lui avait-on dit lorsqu'il l'avait rencontrée pour la première fois, et cette description ne lui avait pas déplu car il aimait les femmes qui savent ce qu'elles veulent. Mais depuis ce jour une ombre était venue assombrir le tableau. Une ombre ? Un simple nom. Il l'avait entendu par hasard au fil d'une conversation de salon, et il n'y aurait pas même prêté attention s'il n'avait pas été associé au nom de Greta. Mais il l'avait clairement entendu :
« Greta de l'Hesperanz et Vasken Unklargeburt, oui. On dit qu'ils sont amants...
- Pire, on dit qu'ils sont amis! »
Depuis cet instant, Greta était devenue suspecte.

Grégoire, contrairement à la plupart des aristocrates de son milieu, ne méprisait pas Vasken pour sa débauche et sa déchéance – ceux qui ne voyaient en lui que cela avaient simplement peur de finir de la même façon. Ce qui le dérangeait, au-delà des provocations insolentes de Vasken, au-delà de ses mots qui d'ailleurs l'amusaient, c'étaient ses actes : ses contacts avérés avec des milieux plus qu'irrecommandables, ses trafics et ses réseaux, qui contribuaient à promouvoir le crime et le vol au rang d'une institution presque incontournable. Les conclusions de Grégoire sur son compte étaient les suivantes : l'immoralité, pourquoi pas, l'illégalité, passe encore, mais quand les deux se mêlent pour servir le vice, la cruauté et l'égoïsme, alors il devient du devoir de tout honnête homme de s'y opposer.

Mais, pensera maintenant le lecteur, en quoi les relations de Mlle de l'Hesperanz avec un tel individu peuvent-elles indisposer Grégoire ? Est-il amoureux d'elle ? Veut-il la protéger ? Croit-il au contraire qu'elle pourrait lui faire du mal ? Non pas. S'il craint pour quelqu'un, ce n'est ni pour Greta, ni pour lui-même... mais pour Cassandre de Corrissante. Étant la meilleure amie de Greta, cette jeune femme subissait nécessairement son influence et, par conséquent, celle de Vasken. Le lecteur pense à présent : c'est Cassandre que Grégoire veut protéger, c'est donc d'elle qu'il est amoureux ? Non plus ! Car pour une fois, Grégoire n'est pas amoureux.
Il est simplement l'ami d'Eloïse, la cousine de Cassandre, et Eloïse s'inquiète pour sa petite cousine.

Grégoire et Eloïse avaient grandi ensemble. Comme frère et sœur, ils avaient joué enfants à se poursuivre entre les haies des jardins, et avaient lu ensemble leurs premiers romans d'aventures. Si Grégoire savait qu'il était un personnage, il aurait voulu que le lecteur sache la chose suivante : au moment où il avait rencontré Cassandre, il ne savait pas encore qu'elle avait un lien de parenté avec Eloïse (autrement il n'eut probablement jamais couché avec la petite cousine de celle qu'il considérait comme sa sœur).

Bref, pendant que toutes ces pensées interpersonnelles traversaient l'esprit de notre cher Grégoire, le fiacre avait atteint son but. Plus encore, Grégoire était descendu du fiacre, avait donné congé à son cocher et, élégamment, avait gravi les marches du perron.Et même : notre ami avait été introduit dans la fête par le majordome qui avait annoncé « Monsieur Amadys Justinien Grégoire de Sillery ! » Puis il s'était mêlé au badinage ambiant.

À présent il était à peu près sorti de ses sombres considérations, et il vit bientôt venir vers lui Cassandre, malheureusement accompagnée de Greta comme il l'avait craint.

LA MARQUISE DE CORRISSANTE

Monsieur de Sillery, vous connaissez mademoiselle de l'Hesperanz il me semble ?

GREGOIRE DE SILLERY (avec un sourire d'amertume)

Oh, nous ne nous connaissons que trop!

GRETA DE L'HESPERANZ (un peu contrariée)

Trop ? Sachez que ce n'est pas assez à mon goût.

GREGOIRE DE SILLERY (repérant l'alexandrin prononcé par Greta, moqueur)

Moi qui croyais que vous n'aimiez que les voyous !

GRETA DE L'HESPERANZ (légèrement déstabilisée par ce refus d'entrer dans un échange courtois)

...N'en êtes-vous pas un ?

GREGOIRE DE SILLERY

En privé seulement,
Et jamais pour l'argent.

Ne rimer qu'avec lui-même, voilà qui signifait assez qu'il ne voulait rien avoir à faire avec elle.

GRETA DE L'HESPERANZ (exaspérée)

Pourquoi m'attaquez-vous ?
Et de quoi parlez-vous ?

GREGOIRE DE SILLERY

Votre rime est si pauvre qu'elle en est misérable.
Je parle de Vasken, ce clown infréquentable,
de ses intrigues sombres qui vous rendent détestable.
(repassant à la prose)
Vous êtes une femme agréable, Greta, à bien des égards. Mais il est des personnes qu'il vaut mieux éviter, surtout lorsqu'on prétend avoir des amis respectables. Cassandre, je vous l'avoue, c'est pour vous, surtout, que je me permet ces mots. Votre cousine et moi-même nous inquiétons...
Voyant l'expression de reproche de Cassandre, il dit encore : Puis-je vous entretenir un instant ?
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Greta de l'Hesperanz

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MessageSujet: Re: Les Liaisons anodines    Les Liaisons anodines  EmptyMar 22 Nov - 18:19

Aux derniers mots de Grégoire, la jeune femme sentit la fureur monter en elle. Ses veines se remplirent d'un sang noir, sa peau se cuirassa. Le poison monta au bord de ses lèvres. Les yeux venimeux de Greta se plantèrent dans ceux de Grégoire. Ils recelaient une haine subite que le jeune homme du sentir car il tourna un regard peu assuré à Cassandre. Celle-ci, qui connaissait bien Greta, détourna les yeux et se concentra sur le napperon de la table.
Greta jeta un coup d'oeil rapide au couteau d'argent posé près d'un gâteau, à portée de sa main.

S'il n'y avait pas eu les invités, elle aurait cédé à la pulsion de violence. Mais Greta savait garder son calme et contenir les émotions alors elle ferma un instant les yeux, respira lentement et se planta devant Grégoire.

"Pardonnez-moi Cassandre. Monsieur de Sillery, rassurez-vous, vous n'allez pas subir la pauvreté de mes rimes, je ne mettrai pas mon esprit au service de vos oreilles. Tout d'abord, je ne prétends pas avoir d'amis respectables puisque c'est un fait."

Elle regarda Cassandre qui écoutait attentivement. Son regard se fit plus doux mais sitôt que ses yeux verts se plantèrent à nouveau dans ceux de Grégoire, ils se chargèrent de foudre. Elle reprit calmement.

"Ensuite, je ne vous exprimerai pas ce que le clown infréquentable pense de ceux qui le méprisent, vous vous en moquez et ce serait profondément malpoli ici. Sachez que je fréquente qui bon me semble."

Un groupe de jeunes femmes passa, saluant nos trois "amis". Chacun répondit d'un sourire tout à fait enjoué, comme si Grégoire et Greta venaient d'interrompre une discussion sur les fleurs de pommier au printemps. Sitôt passées, mademoiselle de l'Hesperanz mit le point sur le dernier i. La fermeté de sa voix et la dureté de son regard étaient déstabilisants. Elle ne risquait pas d'être distraite et de perdre ses mots parce que la colère occupait son esprit dans tous les coins.

"Dernière chose, monsieur. Après je ne vous importune plus. Je comprends bien que vous craignez pour Cassandre..."

Sa voix se radoucit à ce moment là. Elle esquissa même un petit sourire.

"... je sais très bien ce que je lui dois, je sais à quel point son amitié est précieuse pour moi et c'est pour cette raison que jamais, jamais je ne la mêlerai à d'autres affaires que celles nous concernant toutes deux, ni elle ni mes autres amis. Les intrigues de cour entre nous ne dépassent pas le stade de la plaisanterie."

Cassandre confirma, car c'était vrai. La dispute avait l'air de l'embêter. peut-être aurait-elle préféré une suite d'échanges courtois. Tant pis. La colère de Greta s'était apaisée. Elle n'impliquait personne dans ses affaires privées, et surtout pas Cassandre non seulement pour ne pas lui nuire, mais surtout pour ne pas se voir titrée de manipulatrice ou de sorcière. Et puis, quoi ! Ça ne regarde personne...

Bon, évidemment, Vasken ne lui rendait pas la tâche facile, encore qu'il ait cessé de se montrer depuis quelques temps. Et quand il s'agissait de lui, Greta se surprenait à détester ce qu'elle était ! En un mot, la préciosité.
Si elle préférait les belles phrases et les tasses de thé, elle pouvait toujours le quitter mais cette option était définitivement rayée de la liste. Quitter Vasken pour les beaux yeux d'une cour gorgée d'ambroisie ? Plutôt mourir.

Elle salua d'une froide politesse Grégoire, s'excusa à nouveau auprès de Cassandre et se dirigea vers la sortie. Elle en avait assez eu pour ce soir et il valait mieux pour son amie que ce soit Grégoire ou elle, les deux éléments dans la même salle risquant de s'entrechoquer et de faire des étincelles une nouvelle fois.

Et puis elle avait mal à la tête. Elle ne put s'empêcher de rire intérieurement en repensant à ses préparatifs : et dire qu'elle avait passé des heures dans sa chambre pour voir si le gentilhomme serait séduit une seconde fois ! Hé bien, raté. A la réflexion, il se serait peut-être montré ennuyeux...

Toujours à ruminer sur les éventuels traits de caractère de Grégoire, elle se dirigea vers la porte qui débouchait sur le hall d'entrée.
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A. J. Grégoire de Sillery

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MessageSujet: Re: Les Liaisons anodines    Les Liaisons anodines  EmptyMar 6 Déc - 17:57

Greta venait de s’échapper. Elle marchait à présent vers la sortie, fendant la foule, adressant à chacun des sourires, prétextant certainement à ceux qui se désolaient de son départ prématuré, une indisposition quelconque.

Grégoire se réjouissait. En affirmant qu’elle n’impliquait et n’impliquerait jamais Cassandre dans ses affaires, Greta de l’Hesperanz venait d’avouer que certaines d’entre elles étaient louches. Il avait donc eu raison !

« Mr de Sillery, dit Cassandre cassante, sachez que je n’apprécie pas la manière dont vous vous êtes comporté. »

Grégoire sortit soudain de sa victorieuse rêverie.

« Comment ? Mais je…

- Vous avez employé votre esprit,
d’ordinaire si brillant,
à des mesquineries,
indignes de votre rang. »

Il la regarda, incertain. Il avait pourtant fait le bon choix. Certes, Mlle de l’Hesperanz était manifestement attachée à Cassandre par une honnête et tendre amitié, et semblait déterminée à ne jamais lui nuire mais…

Avant qu’il n’eut le temps de se défendre, Cassandre était partie. Rattrapant Greta d’un pas leste, juste avant qu’elle ne sorte, elle l’entraîna vers un couloir où elles disparurent toutes deux.

Grégoire de Sillery, quelques instants plus tôt accompagné de deux belles jeunes femmes, se retrouvait seul – et, il faut le dire, un peu penaud – au milieu de la salle de réception. Il haussa les épaules : « Allons ! Deux de perdues… »
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