Zack s’était plongé dans un film noir, très noir. Et Seth venait de partir sur la pointe des pieds, la laissant endormie. Mais son sommeil était léger. À peine fut-il parti que le froid la réveilla. La chaleur de son corps avait disparu. Elle était seule.
Elle voulut ne pas y penser. Elle ferma les yeux. Ferma l’esprit. Oublia.
*
Le sommeil est une distorsion temporelle. En quelques heures, les rêves déroulent sous nos pas des dizaines de jours d’aventures, des centaines de détails et d’informations mentales, on vit parfois des milliers de choses en une seconde. Puis au réveil le temps s’estompe. On se souvient de la veille et la nuit disparaît dans un nuage vaporeux pour devenir un vide. Le sommeil est années, et néant.
*
Elle s’éveilla sous la lumière laiteuse et froide d’une matinée d’hiver. Dehors, dans le ciel bleu pâle, le soleil était bas et blanc. Elle s’étira.
Les gestes s’enchaînèrent machinalement. Ses jambes se déplièrent sur le lit, pivotèrent, touchèrent le sol. Son corps se redressa et elle fut debout. Alors qu’elle marchait jusqu’à la cuisine, ses bras nus se balancèrent le long de sa chemise de nuit bleu ciel. Sa main ouvrit un placard, les doigts de son autre main s’enroulèrent autour de l’anse d’une tasse. Un mouvement de coude ferma le placard, puis amena la tasse jusqu’à la machine à café. Les doigts lâchèrent l’anse pour presser le bouton. S’adossant au bar, elle dénoua ses cheveux.
« Bien dormi ? »
La voix de Zack avait émergé du canapé.
Elle ne l’avait pas vu, habillé de noir, perdu sous ses cheveux noirs sur le cuir noir. Elle sourit.
« Ça va. »
Mais elle se sentait lasse. On n’était que samedi matin et déjà le week-end lui apparaissait comme un immense vide à remplir. Seth ne serait pas là. La Néféri Expo n’aurait lieu que le week-end suivant. Et surtout, la sortie de l’extension End of Times d'Anarchy Empire n’était prévue que pour dimanche soir. Bref, un désastre.
Elle avala une gorgée de café, puis y trempa sa biscotte couverte de confiture d’orange. Les gouttes sombres s’écoulèrent un instant le long des copeaux acidulés, puis elle mordit.
« Et toi ? Tu t’es endormi avant la fin du film ou t’as pu le voir en entier ?
- J’ai vu la fin, évidemment. C’était tellement génial… Tu m’diras, de la part d’une réa comme Ytsero, j’aurais dû m’en douter. Mais là c’était vraiment cool quoi.
- Ça parle de quoi ?
Zack se mit à raconter. Il analysa rapidement, avec enthousiasme, ce qui lui avait plu. Depuis qu'il était à nouveau prêt à bosser, Calypso l'écoutait toujours attentivement, pour cultiver sa motivation. Alors ils discutèrent un moment.
Et puis soudain Zack se leva, comme frappé d'une révélation.
« Faut que je passe à la banque. J'ai pas encore posé le chèque de papi et mamie.
- ...Celui de notre anniversaire ? … Tu sais que c'était y'a genre... six mois ?
- Ouais, ouais je sais. Mais j'l'avais paumé et j'l'ai retrouvé hier en rangeant mes DVD donc...
- Je vois. » Elle sourit. « Dépêche-toi, la banque ferme à onze heures le samedi. »
Il ramassa son chèque sur la table et le fourra dans sa poche.
« À t'aleur !
- Pense à prendre du riz à la supérette.
- Dac ! »
Et la porte claqua.
Elle posa son café sur la surface boisée du bar, lisse comme une plaque de verre. D'un geste elle rassembla les miettes de pain, elle les fit glisser dans sa main, puis alla les lâcher au-dessus de la poubelle, où elles tombèrent comme une pluie crépitante sur l'emballage des pâtes de la veille. Si poétique...
Le jour était levé maintenant. Calypso alla s'installer devant l'ordinateur. Elle posa son café à côté du clavier translucide, et effleura l'écran pour qu'il s'allume.
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