[HRP : ATTENTION VIOLENCE, NE PAS LIRE APRES UN REPAS. L'AUTEUR DECLINE TOUTE RESPONSABILITE EN CAS DE VOMISSEMENT/HRP]
Le poing du Mi-Han lui heurta violemment la mâchoire et la tête de Sergueï partit sur le côté, souillant à nouveau le mur avec un épais filet de salive et de sang. Son bourreau était de petite stature et il frappait comme un vieillard, probablement plus habitué à battre les jeunes filles qu'à torturer les soldats. Mais au bout d'une demie-heure de ramassage, la moindre pichenette lui enflammait la peau. Sergueï était dans un état épouvantable : son visage ravagé était tuméfié et couvert de sang, ses lèvres fendues et enflées, et l'un de ses yeux avait tellement gonflé qu'il l'avait privé de la vue. Ses côtes étaient bleues par endroit, et Sergueï n'avait pas besoin de doctorat pour se rendre compte que plusieurs d'entre elles étaient brisées. Gonfler son ventre pour reprendre sa respiration lui causait des douleurs fulgurantes, alors que ses bourreaux se riaient de ses gémissements.
Ses tortionnaires étaient deux. Le premier avait devant lui divers documents en papier jauni ; il faisait semblant de s'y intéresser, tout en répétant mécaniquement la même série de questions.
« Quel est ton nom ? Que faisiez vous ici ? Où se situe ta base ? Quels sont les noms de tes officiers ? Combien sont-ils ? » Et ainsi de suite. Malgré les coups du deuxième homme, Sergueï n'avait pas parlé, sauf pour répondre « Va te faire foutre » à chacune de ces questions. Et il continuait de se montrer provoquant, espérant ainsi qu'ils perdraient patience et abrégeraient ses souffrances en lui logeant une balle dans la tête. En tout cas il ne lâcherait pas un mot à ces fils de putain, dussent-ils le couper en morceaux. Il était mort de toute façon, un mort en sursis. Autant en profiter.
« Va-y doucement, il faut quand même qu'il parle », prévint l'interrogateur.
Le tortionnaire retint le poing qu’il s'apprêtait à abattre à nouveau et cracha au visage de sa victime.
« Parler pour quoi faire ? » lança-t-il rageusement.
Pour quoi faire, en effet ? Puisque leurs questions n'avaient manifestement aucune importance à leur yeux, beaucoup moins que le sang, la déchéance, la détresse humaine, et le désespoir croissant des victimes. Cette raclée n'avait aucune utilité, sinon le divertissement qu'elle offrait à la faim perverse des Mi-Han.
L'interrogateur se leva doucement de sa chaise ; craintif, l'autre recula. Il s’approcha si près de Sergueï que leurs visages se touchaient presque. Il le regarda dans les yeux, et Sergueï y lu sans peine le sadisme et la soif de sang.
« Je me fiche de ses réponses, je veux qu'il puisse me supplier de l'achever. »
Sergueï racla sa gorge et lui cracha en plein visage, sans un mot, juste un sourire dément au coin de la lèvre.
L'interrogateur ne le frappa pas ; il s'essuya avec son mouchoir, sortit sa matraque, et la fit tinter contre le grillage de fer rouillé auquel Sergueï était attaché. D'un doigt impérieux, il montra à son camarade le boîtier qui faisait passer le courant dans la grille ; il tourna le bouton.
C'était comme si le corps de Sergueï tout entier était passé au fer rouge mais de l'intérieur, bandant ses muscles, tirant la peau à tel point que cela faisait saillir ses veines. La douleur s'estompa et Sergueï s'affaissa, les poignets meurtris par les liens et le poids de son corps qu'ils supportaient.
L'interrogateur lui souleva le menton avec l'extrémité de sa matraque, et c'est là que Sergueï vit qu'il tenait dans son autre main : un magnétophone et neuf médailles militaires. Le Mi-Han sourit et activa l'appareil.
Au travers des grésillements, Sergueï fut forcé d'entendre ce qui était arrivé à ses compagnons. La plupart résistaient au début de l'interrogatoire, puis ils finissaient par tout avouer et lorsque les tortures continuaient malgré tout, ils insultaient, hurlaient, invoquaient les Saints et, finalement, suppliaient que tout s'arrête. Ce monstre avait accordé le plus grand soin à enregistrer les hurlements de douleur et les suppliques ; chaque son le remplissait d'extase, à la limite de l'excitation sexuelle.
Une nouvelle vague de folie, Sergueï ne les comptait plus, tenta de s'emparer de son cerveau. Sergueï résista, serra les dents, des larmes de sel et de sang coulaient le long de ses joues. Parmi ces hommes il y en avaient qu'il appréciait : Jensen, peintre et père de quatre enfants ; Amaury, toujours de bonne humeur et qui avait toujours le mot pour rire, Moreau, ancien cuistot qui lui avait livré de nombreuses astuces pour rendre les plats unique, Stan qui ne cessait de lui parler de sa merveilleuse petite amie qui faisait de la couture. Et maintenant le seul souvenir terrestre qu'il restait d'eux, c'était leur douleur et l'humiliation dans la mort. Il leva les yeux vers le Mi-Han, échangea mentalement leurs rôles ; cela l'aida à ne pas craquer.
Il fixa sa volonté. Sur quoi ? Il n'en savait trop rien. Sa fierté peut-être, son éducation, la conviction que, quoi qu'il en soit, il demeurait supérieur à cette engeance.
« Tu es résistant, soupira l’interrogateur, plus que les autres. Cela mérite une récompense, as-tu faim ? »
Il lui tendit alors une gamelle garnie à ras-bord du même ragoût puant qu'on leur servait derrière les barreaux. À une exception près cependant : il n'y avait pas de doigt humain dans celui des prisonniers. Sergueï écarquilla les yeux, pâlit. Son cœur s'était arrêté de battre. Non, pas ça.
Cette région était redoutée au dessus de tous les autres territoires. Les contrées voisines parlaient de démons bouchers qui dévoraient les enfants, et même les officiers les plus aguerris de l'OMCU en perdaient leur réserve spartiate. Sergueï pensait qu'il ne s'agissait que de rumeurs, alimentées par la superstition des autochtones. Il n'en était rien. Le cannibalisme, un mot qui faisait froid dans le dos ; dérive sauvage et primitive dont la finalité était de prendre la force de son ennemi en mangeant sa chair.
« Tu as aimé tes repas ? »
Le sourire cruel du Mi-Han secoua à nouveau la conscience de Sergueï.
« Aimé » n'était pas le mot mais lorsqu'on leur apportait leur collation, il se jetait sur ce maigre repas, nettoyait l'assiette et ses doigts pour ne pas perdre la moindre miette. Lorsque l'heure du festin approchait, il s'en léchait les babines.
Va te faire foutre Moreau.
La brèche était ouverte, la bête noire de la démence s'y glissa silencieusement et lui tritura les neurones. Pour être aussitôt repoussée par un cri de rage et de tristesse, un rugissement qui n'avait rien d'humain et qui fit éclater les Mi-Han de rire.