Toni est allongé en caleçon sur la table basse de son petit salon. Sa peau a réchauffé le marbre, parce que ça fait un moment qu'il gît là en reniflant. Il craque nerveusement allumette après allumette et laisse tomber mollement les petits bâtons de bois brûlé sur le tapis.
"Mmmh..."
Il tend la main vers une bougie de cire collée à même l'accoudoir d'un fauteuil en cuir et passe ses doigts dans la flamme qui vacille. L'appartement n'est éclairé que par les diverses chandelles allumées un peu partout. Dehors, dans la nuit froide, il pleut à verse. Mais le battement de la pluie est couvert par la musique électronique crachée par les enceintes posées à même le sol.
"J'aime pas la pluie, j'aime pas la pluie, j'aime pas la pluiiiie..."
*scratch*
"Tu m'écoutes, Anastasiya ?"
Toni tourne la tête en direction du vivarium faiblement éclairé posé plus loin sur une pile de gros livres poussiéreux.
"дорогая Настя ?"
"Tu fais encore fi de l'électricité, Toni ?"
"AAAH"
Toni sursaute si fort qu'il en tombe de sa table basse.
"Ha, ha, ha ! tu as cru que ta salamandre s'était mise à parler ?" se moque Giulia en éclatant de rire.
"Mais frappe avant d'entrer !"
La jeune femme appuie sur le bouton électrique.
"Nooon ! Argh mes yeux !" Toni se tordit sur le sol. "Je ne veux que la lumière du feu ardent pour mes yeux !"
Giulia lève les yeux au ciel.
"C'est ainsi que les ampoules fonctionnent, idiot."
Elle pose un gros sac en papier sur la table encombrée devant le bar séparant le coin cuisine du salon.
"Ew, tu pourrais nettoyer de temps en temps. Et t'as encore rien à manger, heureusement que je t'ai fait des courses."
"Giuletta, tu es un ange merveilleux."
Toni s'est approché d'elle et commence à vouloir la serrer contre lui. Elle le repousse gentiment mais fermement.
"Dégage, Toni. Je fais pas des câlins à des garçons de douze ans."
Toni se renfrogne. Il a pas douze ans, d'abord ! il en a trente-deux. Fronçant les sourcils, il se laisse tomber sur le canapé pendant que Giulia range les courses dans le frigo vide, et recommence à craquer compulsivement les allumettes.
"Par pitié, Toni ! Un jour tu vas foutre le feu à ton appartement !"
"Oui..."
Il se relève, marche vers elle et allume un briquet à deux centimètres de son visage, les yeux brillants, le sourire au lèvres. Elle pousse un petit cri de frayeur et frappe la main de Toni qui lâche l'objet.
"T'es trop con, putain ! j'me casse, je commence le taf dans une demi-heure."
Elle reprend son boa et se dirige vers la porte à petits pas énervés, enroulant l'étoffe autour de ses fines épaules. Elle ouvre la porte, et lance : "au fait ! le patron t'attend. Traîne pas." Puis elle claque la porte et disparaît.
Toni écoute le bruit de ses talons s'anéantir dans la cage d'escalier et chouine.
"Mais, il pleuuut..."
Il se décide enfin à entrer dans sa chambre. Anastasiya est en train de dormir sur le lit défait, sa peau jaune et noire se détachant sur les draps blancs. Toni s'habille sans se presser, se coiffe, plante un bonnet-casquette cyberpolitain sur sa tête mauve et sort de chez lui.
Dans la rue, les enseignes se reflètent sur le macadam détrempé. La pluie bat sur les bras nus de Toni. Il rentre la tête dans les épaules, les mains dans les poches, et s'en va en direction du tram.