Suite de ça

**

J’ai joué le jeu de la duperie. J’ai trompé et menti, alors suis-je au final meilleur que ceux qui me répugnent ? Et pourtant, je crois bien que cette nuit-là, ma vie a pris un tout nouveau tournant par le choix que j’ai fait. Car j’ai choisi de sauver une vie au prix de la mienne.

La marée montait et descendait. L’écume collait à la peau des deux naufragés échoués sur une plage d’une petite île d’Howl Frontier. Ils avaient survécu à la noyade grâce à une planche en bois que Drake avait décrochée de la coque en sautant du pont. Kendan n’avait rien vu, déjà aveuglé par l’eau piquante de la mer lors de son plongeon. Drake avait pu le rattraper in extremis avant qu’il ne sombre définitivement. La tasse, ils l’avaient prise de nombreuses fois à cause des vagues hurlantes d’une tempête qui s’était aussitôt abattue sur eux. Était-ce une punition pour la trahison de Calahaan ? Mais seul ce dernier croyait en cette possibilité absurde. Le regret l’avait pris, tandis qu’ils s’éloignaient du bateau sur leur bois flottant. Cependant, au fur et à mesure de leur traversée dangereuse, et que Drake sentait le cœur battre entre les côtes de l’hybride, il avait vite compris qu’il n’était pas si en faute que ça.

Et maintenant, le froid les assaillait, le froid de Howl Frontier, de son rude climat qui n’était fait que pour les barbares du grand nord, ces hommes et ces femmes à la peau sombre et aux cheveux d’or. Vivants, ils l’étaient bien heureusement, mais pour combien de temps ? À demi éveillé, Drake pria pour que l’île fut déserte. Dans leur état, s’ils tombaient sur des pirates ou autres brigands, ils ne pourraient jamais se défendre. Ils finiraient esclaves s’ils avaient de la chance, ou bien c’était la mort qui les attendait.



Une nouvelle vague déferla sur eux, ce qui réveilla l’ex-pirate définitivement. Avec difficulté, il tenta de se mettre debout, mais il ne réussit qu’à s’enfoncer maladroitement dans le sable vaseux. De petits crabes et autres mollusques passaient sous son nez comme pour le narguer. Alors Drake plongea ses mains dans le sable mouillé, se créant des prises assez solides pour l’aider à se mettre debout. Quand ce fut fait, il chancela d’abord, puis son regard fit le tour de la plage où ils avaient échoué. La brume caractéristique de cette région du globe couvrait toute sa surface ; Calahaan ne distingua qu’un début de forêt qui s’étendait aux limites du rivage.
Son attention se reporta sur l’autre naufragé qui gisait, encore inconscient. D’un geste, il repoussa les cheveux mouillés qui lui collaient au visage, de même que pour ses vêtements qui lui donnaient l’impression d’être nu. Un soupir de soulagement sortit de sa bouche lorsqu’il vit la poitrine de l’hybride se soulever. Deux rescapés, deux chanceux ressortis vivants d’une tempête qui avait été si cruelle. Drake avait du mal à en croire ses yeux.
Il s’assit sur un rocher, ne sachant trop quoi faire de son compagnon d’infortune, à part attendre qu’il ne s’éveille à son tour. De toute manière il était trop épuisé pour porter un homme sur plusieurs mètres, mieux valait d’abord se reposer un peu.

Spoiler:

Oui, malgré les étranges pattes d’animal que possédait Kendan, Drake le considérait plus comme un homme que tous ceux qu’il avait côtoyés jusque-là. Les autres avaient prouvé à quel point l’espèce humaine pouvait user de la bestialité et de la stupidité à son gré. Cet étranger du Nexos n’avait rien demandé ; apparemment voulait-il juste mourir, comme l’avait constaté l’ex-pirate en le voyant prêt à commettre un acte désespéré. Il avait pu le stopper à temps avant que l’irréparable ne soit fait. Le grand brun avait senti qu’il venait de faire une bonne action, et ça l’avait aussitôt déchargé des actes qu’il avait perpétré en étant un pirate. Oh, il n’avait tué personne pour l’instant, mais sans doute l’aurait-il fait s’il avait continué dans cette voie.
En somme, Drake avait sauvé la vie de Kendan, qu’il a mise ensuite en danger à cause de ses fréquentations, pour finalement la protéger de nouveau en se sacrifiant lui-même.
Un sourire d’auto-moquerie étira ses lèvres. Son existence s’annonçait compliquée !

Quand Kendan reprit connaissance, il était allongé sur une sorte de natte de fortune constituée de branchages et de feuilles. C’était la chaleur si douce du feu qui brûlait juste à côté de lui qui l’avait poussé à s’éveiller enfin de sa torpeur de naufragé. Il essaya de tourner la tête pour le regarder mais rien que ce simple geste lui faisait un mal de chien. En fait, la douleur lui vrillait tout le corps, ce qu’il comprit quand il tenta de s’asseoir. Malgré cela, il ne voulait pas demeurer aussi vulnérable. Autant être mort s’il devait rester couché sur le sol.
Un craquement mit tous ses sens d’hybride en alerte. Il ne savait pas si cela venait des crépitements du bois qui brûlait, ou des pas d’une silhouette qui s’approchait maintenant vers lui. Ses yeux ayant été irrités par l’eau salée de la mer, Kendan dut les plisser pour arriver à y voir un peu plus clair. Il reconnut l’homme qui l’avait sauvé des griffes des étrangers… Quelle ironie. Cet homme qu’il avait détesté, puis légèrement apprécié pour l’avoir défendu contre ses compagnons, puis qu’il avait de nouveau détesté après qu’il l’ait trahi sur le bateau. Non, vraiment, il ne savait pas quel comportement adopter dès à présent envers lui. Il avait envie de feuler afin qu’il ne s’approchât pas plus de lui, et pourtant, il n’en fit rien.
Les souvenirs refluaient comme les vagues de la marée qui remonte. Cet homme l’avait bel et bien sauvé de la noyade. Et désormais qu’ils étaient loin des autres individus malhonnêtes, Kendan n’avait vraisemblablement plus rien à craindre de lui… Il se crispa tout de même lorsque le grand brun s’assit de l’autre côté du feu, et un grognement remonta des profondeurs de sa gorge quand il commença à parler.

− Bien dormi ? demanda Drake avec un sourire qui se voulait avenant.

N’ayant aucune réponse de la part de l’hybride, Drake leva les yeux au ciel et soupira, se rendant compte que, malgré l’épreuve qu’ils avaient traversée, rien n’avait changé.

− C’est vrai… Tu ne peux pas me comprendre.

Il ramena ses genoux contre lui et dessina du bout du doigt quelques formes dans le sable. Ils étaient toujours sur la plage mais un peu plus en hauteur, afin d’éviter de se faire mouiller par la mer. Le jour baissait et le temps s’était rafraîchi, ce qui n’empêcha pas Drake de garder son optimisme. Il sentait que cela allait s’arranger à un moment ou à un autre, et il aurait aimé partager ce sentiment avec son nouveau compagnon d’infortune.

− Bon, c’est pas grave si tu ne comprends rien à ce que je dis, reprit l’ex-pirate après avoir pris une bouffée d’air marin, je vais quand même te parler, parce que sinon je vais me sentir seul, et je t’avoue sans honte que la solitude ne me plaît guère.

Il tourna la tête à son tour vers Kendan qui affichait une expression des plus circonspecte.

− Voyons, tu pourrais au moins me montrer un peu de reconnaissance… Et me faire un beau sourire !

Drake tenta de lui faire comprendre son message en mimant un sourire, ses doigts étirant sa bouche, mais le résultat ressembla plus à une grimace ridicule qu’à un véritable sourire. L’hybride le dévisagea avec consternation.

− D’accord… Je ne suis pas très au point pour communiquer avec les autres espèces, mais ça viendra. Ah, je sais ! Il faudrait que je t’apprenne à parler ma langue ! On a tout le temps pour ça, vu qu’on a atterri sur une île visiblement déserte. Du moins, je l’espère.

Il s’allongea brusquement sur sa propre couche de fortune, passa ses bras sous sa tête, et regarda le ciel étoilé d’un air songeur.

− C’est si bon de se sentir enfin libre…

Il reporta son attention de nouveau sur Kendan, qui s’était à moitié allongé également.

− Ça doit l’être surtout pour toi. J’ai hâte d’entendre ton histoire une fois qu’on pourra se comprendre.

Il se mit sur le flanc et releva ses genoux contre lui.

− Il faut dormir maintenant… On a bien besoin de récupérer.

Ce ne fut pas difficile pour l’Angsälvor de saisir. Il imita donc son compagnon en se pelotonnant sur sa natte.

Petit à petit, les choses commençaient à prendre forme entre Drake et Kendan. Il n’était pas évident pour deux personnes venant chacune d’un monde bien différent de se faire tout de suite confiance. Mais, finalement, les efforts de Drake pour communiquer avec l’hybride payèrent. Pendant un certain temps – imprécis mais visiblement très long – l’ex-pirate apprit à son compagnon l’art du langage dit « civilisé ». L’astarnaïa était la langue de l’amour, estimait Drake, très fier de pouvoir l’enseigner à quelqu’un. Et de son côté Kendan ne comprenait pas toujours tout ce que voulait dire son professeur… Mais peu importe ! Drake ne se décourageait aucunement, et il s’étonna même de voir son nouvel ami progresser à une vitesse tout à fait honorable. Le prétendu « sauvage » avait plus de jugeote qu’on ne pouvait le croire.
En échange de cet enseignement, Kendan accepta de montrer à Drake tout ce qu’il savait de la nature et comment il fallait s’en servir pour survivre. La plupart des plantes qui poussaient ici n’étaient pas vraiment de la même espèce que celles qu’on trouvait sur Ekthranexos, toutefois les plus utiles étaient à portée et d’autres possédaient, vraisemblablement, les mêmes propriétés. Il lui montra aussi comment fabriquer un arc, des flèches, une lance avec un silex bien aiguisé au bout. Il posa des pièges pour capturer les lapins qui pullulaient sur l’île. Bref, malgré le temps toujours maussade, sa fraîcheur, la proximité de la mer qui pouvait parfois rugir violemment contre les côtes et la plage, ils n’étaient pas sans ressources. Leurs connaissances se complétaient et les aidaient à ne pas succomber à la solitude qui, parfois, pesait sur leurs épaules. Kendan se sentait toujours loin des siens, ce qui le conduisait certaines fois à s’enfermer dans un mutisme profond que son compagnon ne parvenait jamais à défaire tout de suite.
Drake, lui, aurait bien voulu d’une présence féminine à ses côtés. Pourtant, il se surprit de constater au bout d’un moment que ce n’était pas aussi pénible que ça. Sa nouvelle amitié avec Kendan était si enrichissante qu’elle palliait le manque du confort, de la chaleur, d’une bonne bouteille de rhum… et du shampoing au citron ! L’ex-pirate avait réussi à concocter une mixture à base d’algue et d’essence d’épines de pin. Il n’aurait pas pu supporter de se sentir sale trop longtemps. Ce n’était pas vraiment du savon, mais ça pouvait faire comme si. Quant à Kendan, il avait refusé de se frictionner de ce mélange dont l’odeur le répugnait, au grand dam de Drake. De toute manière, l’hybride ne puait pas ; il sentait plutôt une odeur animale qui n’était ni bonne, ni désagréable. En somme, il avait de la chance.

Un matin, Kendan découvrit Drake en train de faire quelque chose d’étrange, une chose qu’il ne ferait jamais lui-même puisqu’il n’avait aucun poil sur le corps (à part à sa queue, sans mauvais jeu de mot). Un lapin dans la main, il s’approcha furtivement de lui, et alors qu’il allait le surprendre, le grand brun se retourna brusquement vers lui, un grand sourire aux lèvres.
− Tu n’es plus aussi discret qu’au début, mon ami, dit-il avec malice.
L’hybride fronça ses sourcils (plus que d’habitude) et, dépité, il alla s’asseoir en face de son compagnon.
− Qu’est-ce que tu fais ? demanda-t-il péniblement au bout de quelques secondes.
Drake daigna le regarder alors qu’il s’affairait toujours à sa tâche : se raser avec un des silex taillés. Sa barbe avait bien poussé depuis leur arrivée sur cette île, et bien que ça reposait sa peau de laisser les poils pousser, il préférait quand même un simple bouc qu’une épaisse barbe de bûcheron. Mais ce n’était pas ce détail qui étonnait le plus Kendan. Il lorgnait plutôt les grosses mèches brunes tombées aux pieds de Drake.
− Ça s’appelle « se raser », répondit celui-ci tout en enlevant les derniers poils récalcitrants du bout des ongles. Ça veut dire que je prends soin de moi.
− Comme une femme ? s’étonna très innocemment l’hybride.
L’ex-pirate faillit s’étrangler avec sa propre salive. Il parvint à se ressaisir, mais il ne put s’empêcher de rire même si c’était une moquerie à son encontre. Il fixa Kendan d’un air indulgent.
− Là d’où je viens, c’est devenu monnaie courante pour un homme de prendre autant soin de lui qu’une femme. Ça ne veut pas dire qu’il en est une, non… Comment t’expliquer…
Il se doutait bien que ces nouvelles notions n’étaient pas très évidentes pour l’Angsälvor.
− Et toi, reprit-il, tu ne te fais jamais beau ? Pour une petite amie, par exemple ? Une jolie demoiselle à qui tu voudrais plaire ?

Il lui fit un clin d’œil évocateur et la première réponse de Kendan fut un levage de sourcil perplexe.
− Je sais pas. Non. Chez nous, pour plaire à une fille, on enlève tout ce qu’on porte sur le dos pour lui montrer tout ce qu’elle pourrait avoir en nous acceptant.
Le silex tomba des mains de Drake, qui était désormais bouche bé.
− Attends… Tu veux dire que vous vous baladez complètement nus devant les femmes pour les séduire ?
− Ouais. J’ai pas utilisé les bons mots ?
− Si si…
Le grand brun posa son menton sur sa main.
− Mais pourquoi tu t’es coupé les cheveux ?
− Hein ? Euh… Parce qu’il le fallait, diantre ! Je me suis promis de laisser mes cheveux pousser quand j’aurais mon propre bateau. Et ce n’est pas demain la veille… Alors, en attendant, je coupe.
Il se passa les mains dans son épaisse chevelure, l’air circonspect.
− D’ailleurs… Ce n’est pas trop affreux ? Qu’est-ce que tu en penses ?
L’hybride haussa les épaules.
− Chez nous, plus tu as les cheveux longs, plus tu es admiré par les autres.
− Oui, bon, chez toi, c’est chez toi ! s’emporta Drake en se levant brusquement. On en reparlera quand on aura quitté cette île…
Un craquement dans les bois. Kendan bondit sur ses pattes, les sens en alerte. Les bruits redoublèrent d’intensité, angoissant un peu plus les deux hommes à mesure qu’ils se rapprochaient d’eux. Les buissons et les talus semblaient prendre vie sous leurs yeux. La forêt vibrait d’une présence qu’ils n’avaient pas crue possible, jusqu’à maintenant. Et cette présence se postait désormais face à eux, imposante… mythique.

[HS : Ouais genre j'ai fait du pseudo Disney... ah ah]

Ils étaient quatre. La brise marine dansait dans leurs longs cheveux, chacune de couleur différente. Des feuilles virevoltaient autour d’eux comme de petits oiseaux. Cette vision aurait pu être magnifique si Drake n’avait pas senti la menace émaner d’eux. Elle vibrait dans l’air et ne semblait pas prête de s’amoindrir. Il n’arrivait pourtant pas à décrocher son regard de ces nouveaux venus, malgré le fait que lui et son compagnon devaient se dépêcher de décamper.
Drake les étudia de pied en cap. Quatre mâles, le visage bien humain, la colère étirant leurs traits, des torses nus, et le normal s’arrêtait là. En dessous, un corps de cheval, épais, au pelage lisse, de longues pattes se terminant par des sabots qui martelaient dès à présent le sol avec fureur. L’ex-pirate n’en croyait vraiment pas ses yeux. Kendan se rapprocha de lui et le tira par la manche de sa chemise pour le sortir de son ébahissement.
− Ce sont des… balbutia Drake en continuant à les fixer. Ce sont des… impossible.
− Des impossibles ?
Cela eut le don de le réveiller un peu. Il se tourna vers l’hybride.
− Non, pas des impossibles. Je voulais dire… Ce sont des centaures.
Kendan pencha la tête légèrement sur le côté, puis il regarda à son tour ces fameux centaures.
− Je croyais qu’il n’y avait que des créatures de ce genre sur Ekthranexos, reprit Drake.
− Des créatures… comme moi ?
− Vraisemblablement, c’est le cas. Ce sont aussi des hybrides, mi-hommes, mi-animaux.

L’un d’eux parla, sans doute le chef. Il paraissait encore moins content que ces intrus osent discuter sans se soucier de leur présence. Son visage était dur, marqué par la vie sauvage, comme les autres d’ailleurs, mais celui-ci plus particulièrement. D’un geste de sa part, son voisin de droite arma l’arc suspendu jusqu’alors à son bras et le pointa vers les deux hommes. Comme ils se tenaient sur une butte couverte d’herbe haute, les centaures n’avaient pas remarqué les pattes postérieures de Kendan. Et donc ils ne se doutaient pas qu’ils avaient affaire également à un hybride. Cela aurait pu se passer autrement si ça avait été le cas.
Drake agrippa le bras de son ami.
− Cours ! hurla-t-il.
Sans plus tarder, ils firent volte-face et entendirent les flèches siffler tout près d’eux. Les centaures se mirent évidemment à leur poursuite, et Drake comprit vite qu’en courant sur la plage, ils étaient trop à découvert. Il fallait atteindre la forêt pour tenter de les semer. Et il constata aussi, avec une certaine amertume, que Kendan était beaucoup plus rapide que lui. Il filait à une vitesse impressionnante, obligeant ainsi l’ex-pirate à faire un effort. Heureusement, cet effort paya puisqu’ils purent s’enfoncer dans le bois et zigzaguer entre les arbres. Derrière eux, le son des sabots battants la terre restait inexorablement proche, toutefois ils tinrent bon, et parvinrent même à se cacher dans un renfoncement naturel de terre. Collés l’un à l’autre, haletant, ils se forcèrent à calmer leur respiration, sinon les centaures les repéreraient aussitôt.

Ils passèrent tout près d’eux, si près que Drake entendait parfaitement les grognements de frustration qu’ils émettaient à ne pas pouvoir leur mettre la main dessus. Il espérait qu’ils n’avaient pas non plus la capacité de les sentir à des kilomètres, ce serait le pompon. Quelques minutes intenses de recherche passèrent. Ne trouvant rien, les centaures rebroussèrent chemin. Les deux compagnons soupirèrent de soulagement. Ils restèrent recroquevillés l’un contre l’autre un instant, histoire de se rassurer un peu et de laisser le temps aux autres d’aller assez loin.
Ce fut Kendan qui vérifia s’il était sûr pour eux de sortir de leur cachette. Les centaures n’étant plus en vue, ils se hâtèrent de descendre la pente juste en dessous du renfoncement. Drake s’arrêta à un moment pour humer l’air frais et la bonne odeur de la forêt.
− On ne s’est jamais aventuré aussi loin, se rendit-il compte tout en jetant un coup d’œil circulaire. Je ne sais pas s’il est très prudent de revenir au camp. Ils pourraient très bien y être et nous attendre.
Kendan approuva d’un hochement de tête silencieux. Ils continuèrent leur route. En fait, Drake était ravi de pouvoir enfin découvrir l’intérieur de l’île. Maintes fois il avait voulu en faire le tour pour en estimer la superficie, mais le courage lui avait manqué parce qu’il n’avait pas connaissance de la faune locale. Désormais, ils savaient tous deux à quoi s’en tenir.
− Qu’est-ce qu’on va faire ? demanda l’hybride un quart d’heure plus tard. Le camp est perdu ?
− Je suppose qu’il faudrait vérifier… Mais j’ai également envie de savoir ce qu’on peut trouver à l’opposé de notre camp. Pas toi ?
Kendan haussa les épaules et évita agilement une racine malicieuse.
− On pourra toujours en construire un autre, enchaîna le grand brun comme pour une répondre à une question qu’ils se posaient tous deux.
Un grondement éclata dans le ciel. Ils levèrent la tête et des gouttes d’eau s’écrasèrent sur leur visage.

La pluie se prolongeant, ils se retrouvèrent trempés. Les arbres n’étaient pas assez touffus en cette période de l’année pour leur permettre de s’abriter. Ils continuèrent donc de marcher, marcher, marcher, jusqu’à ce qu’enfin, la mer leur apparut. Ils tombèrent sur un bout de plage, du même genre que le leur, mais un bout de plage qui n’était pas désert. Drake faillit jurer. Un bateau aux allures de drakkar avait accosté et des hommes à la peau bistre et aux cheveux clairs et longs s’affairaient tout autour.
− Bieeeen, cette île n’est définitivement pas déserte ! s’exclama brusquement Drake en levant les bras au ciel.
Évidemment, sa voix attira l’attention de ces hommes, qui se retournèrent tous vers eux dans un seul ensemble, l’arme déjà au poing. Kendan coula un regard à son ami.
− Qui sont-ils ?
− Des Octantes, grommela Drake en baissant les bras, tellement bas qu’on aurait dit qu’il perdait espoir. Les barbares venus du nord. Que Diable font-ils ici ?
− On ferait peut-être mieux de…
− On ne peut rien faire. Ils nous pourchasseraient jusqu’à l’épuisement.
− Eh, vous ! lança quelqu’un en tikhvine. Restez où vous êtes !
Drake était si désemparé qu’il leva les mains sans qu’on le lui ordonne. Kendan fit de même, le copiant plus par habitude et non parce qu’il se sentait vraiment en danger. Les Octantes les encerclèrent, épées et arcs en main. Ils se séparèrent ensuite en deux rangs pour laisser passer l’origine de la voix. Et c’est là que Drake se dit que la journée n’était pas complètement gâchée, et qu’il ne mourrait sûrement pas en vain, après avoir vu la beauté qui se dirigeait tout droit vers eux.