Libéré… Ca avait été simple finalement, il avait de la chance d’être tombé sur le flic le plus crétin du BAI, l’affaire étant désormais close, il était temps de rentrer. Non pas chez lui, mais au manoir des d’Alimbertes à Sperandei. Après trois jours sans nouvelles, la famille devait se poser des questions, surtout que la mission qu’ils lui avaient confiée originellement était simple et sans complication possible.

Hivrenuit sauta dans une rame de tramway en direction du quartier Alchimiste afin de gagner du temps, il était déjà au moins 19h00 et il tenait à arriver à temps pour le dîner. A pied ce trajet lui aurait sans doute pris au moins 3 bonnes heures, mais cette nouvelle invention dont les rames s’enfonçaient jusque dans Gian lui permettait de le réduire à une durée d’une heure en marchant bien. Le paysage changeait rapidement, les hautes façades victoriennes du centre-ville bordant des avenues où marchait une foule chamarrée laissait la place à des commerces plus modestes, repères de trafiquants divers, et finalement à des taudis miteux. Au fur et à mesure de sa course, le wagon se vidait, et lorsque Hivrenuit descendit au terminus, dans un semblant de gare bordée par deux ridicules champs et une bicoque, ils n’étaient plus que deux. Lui et le chauffeur. Les alchimistes habitant Gian n’empruntait pas le tram, que ce soit par manque de moyen, de nécessité ou de confiance, et les technologues ne se rendaient pas dans cette partie de la ville. C’en était à se demander pourquoi ils avaient poursuivi la ligne aussi loin, « Pour désenclaver ce bidonville sordide » avait prétendu la STT, mais le but était évidemment tout autre, et pas clair. Il faudrait en parler à la famille.
Il traversa Gian en vitesse, par des raccourcis et des chemins connus uniquement des assassins et des voleurs qui les empruntent à la nuit tombée pour échapper au patrouille de la garde, passa la porte de marbre qui marque l’entrée dans le quartier d’Alestra, et enfin poussa la porte d’une échoppe d’hypocrate qu’il referma à clef derrière lui. Elle était vide à cette heure, mais l’ordre et la propreté qui y régnait confirmaient qu’elle était régulièrement entretenue. Hivrenuit contourna le comptoir, attrapa une lampe à huile abandonnée sur une étagère qu’il alluma et enfin souleva la trappe qui menait à la cave. Là encore tout était rangé, les caisses étaient empilées et au sec, aucun rat ne prit la fuite à la vue de la flamme et les marches de l’escalier n’avaient pas la teinte grisâtre de la poussière. Hivrenuit descendit lentement, et se dirigea vers le fond de la salle jusque devant une lourde porte en chêne. Il sortit une clef de sa sacoche, la glissa dans la serrure, poussa l’huis et s’engouffra dans le couloir ainsi révélé, non sans refermer soigneusement après lui. Il marcha une vingtaine de minutes dans un dédale de galeries dallées faites de pierres de taille fixées au mortier avant de déboucher sur un petit escalier en colimaçon qu’il grimpa quatre à quatre. L’escalier débouchait dans le hall du manoir familial, derrière le grand escalier, et caché par lui aux visiteurs entrant par la grande porte. Hivrenuit monta au premier étage, frappa à la première porte sur sa droite, et entra.

Comme tous les samedis soirs, la famille était réunie au complet autours de la table de la salle à manger. Même Isabella avait réussi à se libérer de ses contraintes conjugales pour participer à cette réunion hebdomadaire qu’ils étaient habituellement les seuls à manquer. Ils venaient manifestement de s’installer et un certain désordre régnait dans la salle. Les bavardages particuliers sur des affaires secondaires emplissaient encore l’air lorsque son entrée inattendue imposa brusquement le silence.

« Bonsoir, déclara-t-il seulement
- Bonsoir, répondit son père. Ton couvert est mit, ajouta-t-il comme une invitation à tous les membres de la famille à s’asseoir. »

Hivrenuit s’avança et tira sa chaise située à l’extrémité de la table, du côté de la porte, en face de sa sœur, ils étaient en effet les plus jeunes conviés au dîner hebdomadaire de la famille. Les domestiques s’avancèrent pour servir les entrées, puis se retirèrent, et alors commencèrent les discussions sérieuses. Arcturus, le père d’Hivrenuit, présidant l’assemblée annonça :

« Nous étions censé parler ce soir en premier lieu des familles Sevastianev et Liekaterinev, ces technopolitains Septemtrionins dont la mafia ridicule contrôle la majeure partie du crime organisé dans technopolis, mais le retour inopiné d’Hivrenuit me laisse penser qu’il serait peut-être intéressant de l’entendre d’abord puisque sa dernière mission avait justement pour objet les revendeurs d’armes dans Consortium et que si elle a prit tant de temps, il se pourrait bien qu’il ait des informations sur le sujet. »

Hivrenuit avala la bouchée qu’il mâchait jusque-là et se tournant vers le reste de l’assemblée précisa :

« A vrai dire, ma mission ne m’a pas amenée le moins du monde à approcher des Liekaterinev. Et mon retard est uniquement dû au fait qu’un ahuri du BAI avait l’estomac plus solide que je ne le pensai et qu’il m’a surpris pendant que j’essayais de retrouver un psychopathe blond télépathe, j’ai passé les trois derniers jours en cellule, mais l’affaire c’est réglée sur un non lieu et les soupçons se sont détournés vers un commissaire véreux.
- Je vois… Et qui était ce psychopathe ?
- Pas la moindre idée, mais il était véritablement dangereux et agressif, je crois avoir compris au BAI qu’il a un rapport avec l’affaire du Seaforce… Toujours est-il que je ne pense pas que ce soit une bonne idée de le laisser dans la nature : il représente une véritable menace.
- Seul, questionna Cesare sur un ton dubitatif.
- Oui, parce qu’il est incontrôlable et qu’il a un potentiel destructeur énorme : l’affaire du Seaforce le démontre justement !
- Alors c’est entendu, Hivrenuit tu t’occupes du psychopathe blond. Quant à nous reprennons sur les Sevastianev, ils possèdent de nombreuses… »

La porte claqua sur les talons d’Hivrenuit rentrant chez lui avant de se remettre en quête du tueur. Il sorti cette fois par la grande porte, traversa le jardin, et sorti de la propriété d’Alimbertès par l’arrière, dans une ruelle bordée de part et d’autre par de hauts mur. Accompagné par un chat curieux, il traversa Sperandei Azura puis Alestra dans l’autre sens, repassa la porte de marbre, et poussa enfin la porte d’un taudis miteux vu de l’extérieur mais sommes toute très confortable et fonctionnel. Ne cherchant même pas à deviner de quoi les autres avaient bien pu parler après son départ, il se coucha et s’endormit en rêvant du sourire d’Aleksei.