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 Milles et une histoires [ Yhuk'ta / Argana ]

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Argana Shester

Argana Shester


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MessageSujet: Milles et une histoires [ Yhuk'ta / Argana ]   Milles et une histoires [ Yhuk'ta / Argana ] EmptyMar 6 Oct - 1:17

Cela faisait plus d’un mois entier que le navire mage errait sur les flots. Cela faisait plus d’un mois que celui-ci n’avait pas accosté. Cela faisait plus d’un mois que l’équipage n’avait pas remit les pieds sur terre et ils savaient tous que cette sensation leur serait tout à fait bénéfique.
Et cette sensation, ils n’allaient pas tarder à la retrouver.
La terre était à présent à l’horizon et l’on voyait déjà se dessiner les courbes irrégulières d’une vaste île. Cette douce vision était agréable pour les marins qui déjà sentaient leurs cœurs battre à l’idée de sentir le sable chaud sous leurs pieds nus, les galets qui jonchaient les rues des villes, l’odeur des arbres et de la végétation en général…
On allait bientôt jeter l’ancre.

A bord du bateau, les derniers préparatifs s’achevaient avec empressement : plus qu’une heure avant de revenir sur le planché des vaches. Et ça sentait la joie. Ça sentait les quelques jours de repos. Ça sentait déjà l’amour tendre et le goudron des chambres qui accueillaient pour un court laps de temps les membres de l’équipage.
C’est que quand on part à la conquête des flots, il y a toute une mer ou même un océan qui vous sépare de la terre et, par extension, de la chair.

Milles et une histoires [ Yhuk'ta / Argana ] Sanstitre-1

Assis sur le toit de la cabine de son père, les jambes ballantes dans le vide, l’air amusé, un sourire espiègle, un jeune garçon roux observait attentivement l’excitation que provoquait l’approche de la terre. Il savait pertinemment à quoi était due toute cette agitation et son petit sourire en était la preuve.
Argana, quant à lui, essayait de visualiser la figure des braves gens qu’il allait rencontrer, avec qui il pourrait parler.
Ici, sur ce bateau, il connaissait déjà tout le monde et durant ce voyage il s’était bien souvent ennuyé. Il avait tenté de faire le pitre à de nombreuses reprises, mais ses petits tours n’agaçaient plus personne et le peuple ne lui prêtait plus attention. Résultat des courses, le gamin boudait et tirait une petite mine qui le rendait plus calme que de coutume. Et évidement, sur le bateau, on ne s’en plaignait pas. On ne le gronda même pas pour sa fainéantise… D’ailleurs, on était tous très occupés pour se soucier du petit rouquin.

On arriva enfin. Les hommes se précipitèrent hors du bateau.
Le capitaine et deux de ses fils sortirent en dernier, laissant le petit frère seul sur le navire. Bien entendu, le père et ses deux frères savaient qu’Argana n’allait pas rester sagement assis, à attendre leurs retour, mais ils savaient aussi que le petit n’allait pas vagabonder très loin.
Et comme prévu, l’enfant daigna descendre d’un bond assuré de son poste et prit les chemins des commerces, là ou il y avait beaucoup de monde !
Cela semblait le ravir. Plonger dans la foule, se perdre dans la masse, se laisser emporter par la marche de tous ces gens qui ne le voyaient pas se faufiler parmi eux.
Il adorait slalomer, éviter, se courber, se redresser, s’écarter, trottiner, faire volte face, un petit saut par ci, rebond par là… Bref, il aimait jouer de son agilité naturelle et de sa petite taille pour se frayer un chemin aléatoire dans cet océan compact de passants du dimanche.
Que faire d’autre ?
Parler à des gens.
Il s’arrêtait souvent devant les personnes qui faisaient leurs spectacles, réunissant ainsi une foule d’admirateurs qui avaient parfois la gentillesse de laisser quelques pièces. Argana trouvait cela fantastique et se laissait facilement charmer par la magie du geste, la poésie du moment, la technique du mouvement, la précision de l’action… Il n’avait pas vraiment de préférence pour une discipline particulière et tout l’attirait : le spectaculaire cracheur de feu, l’incroyable jongleur, l’hilarant clown, le mystérieux charmeur de serpent, la gracieuse contorsionniste (bien que pour cette dernière, il en restait toujours un peu étourdi et se massait inconsciemment ses articulations qui lui paraissaient tout à coup étrangement douloureuses), l’intrigante diseuse de bonne aventure… Enfin j’en passe.
Lorsque leurs démonstrations étaient finies, comme il n’avait pas de monnaie sur lui, il allait directement voir celui qui avait exécuté l’exploit et se mettait à leurs poser des tonnes de questions dont son âge permettait l’agaçant flux.

Milles et une histoires [ Yhuk'ta / Argana ] Arga10anbis2

Il passait donc la plus grande partie de ses journées de repos à arpenter la ville et à faire connaissance à gauche et à droite pour « avoir sa dose » de discutions en tout genre.
Le soir il rentrait au bateau ou l’on préparait un nouveau menu : le plat régional normalement, et il goûtait de cette manière à un peu de saveur de ce continent, ce pays, cette région, cette ville qu’il essayait de garder en mémoire.

Enfin, vint l’heure où il fallait repartir. Les marins, le sourire aux oreilles, les joues roses d’alcool et de nuits peu chastes, montaient à bord du navire avec, néanmoins, un petit pincement au cœur. Ils allaient repartir pour quelques semaines ou même quelques mois en mer… Personne ne le savait vraiment. Ça dépendait des affaires du capitaine.
C’était comme ça pour toutes les villes portuaires. Il n’y avait pas de raison pour que ce soit différent cette fois là, à Emerillion…
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Yhuk'ta Shwarin

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MessageSujet: Re: Milles et une histoires [ Yhuk'ta / Argana ]   Milles et une histoires [ Yhuk'ta / Argana ] EmptyMer 7 Oct - 23:16

Le soleil n’était pas encore levé.
Au-dessus du port de Mi-Lieux, un croissant de lune brillait faiblement, et le doux son du ressac berçait la ville endormie dans l’air frais de la nuit. Dans la petite chambre d’une auberge, un vieil homme ouvrit les yeux.

Il était quatre heures du matin, et Yhuk’ta Shwarin, soixante-huit ans, se réveillait déjà. Il dormait de moins en moins – à cause de la vieillesse, sûrement. Foutue vieillesse…cette chienne lui volait le peu de temps qui lui restait…mais il s’était résigné. Après tout, à quoi bon s’insurger contre le cours naturel des choses ? Il avait passé sa vie à lutter contre les hommes, il ne passerait pas sa mort à lutter contre le temps, cet ennemi invincible.
Il se redressa dans son lit et s’étira – ses vieux os craquèrent dans le silence. Une douleur perça dans le bas de son dos : il crut un instant que c’était son lumbago qui resurgissait mais – heureusement ? – il ne s’agissait que de rhumatismes.
Son regard endormi erra quelques instants dans l’obscurité. Il alluma une chandelle, la lumière éclaira la pièce, et il vit la lettre. Cette lettre, posée sur la table, cette lettre qu’il avait relue encore une fois la veille. Cette lettre qu’elle lui avait envoyée…il sourit. Puis il se leva, fit quelques pas, et la prit entre ses mains.
Ses doigts fins, creusés de craquelures, frôlèrent le papier qu’une encre noire avait couvert d’une écriture régulière et penchée. Des lettres joliment dessinées, mais parfois tremblantes – elle vieillissait, elle aussi.

« Salut mon Yhuk, comment vas-tu ?
Voilà quelques mois que je n’ai pas reçu de lettre de ta part. Deux hypothèses s’offrent à moi : soit tes missives se sont perdues en route, soit tu ne m’as pas écrit… J’opte pour la deuxième option, et ne t’en fais aucun reproche – comme on dit : pas de nouvelles, bonnes nouvelles ! Ainsi, je suppose que ce silence signifie que tu t’amuses très bien sans moi, et j’en suis ravie.
Cependant je me fais vieille – tout comme toi je présume – et comme tous les vieux du monde (dont nous nous moquions autrefois, et dont je me moque encore quand je suis devant mon miroir), je ressens l’envie qu’on m’accorde un peu d’attention. Voilà pourquoi je t’écris – tout simplement parce que je souffre d’un pathétique déficit affectif. J’irais même jusqu’à dire que tu me manques. La formule est ressassée et niaise, certes, mais au diable ! Je t’autorise à me pardonner cet écart de mièvrerie en le mettant sur le compte de ma probable sénilité précoce – quoique j’aie personnellement la sensation d’être d’une extrême lucidité…
Mais peu importe, mon état de décomposition mentale plus ou moins avancée ne t’intéresse probablement pas. Si je t’écris, c’est avant tout pour te dire que j’ai envie de te voir. De grâce, ne mets pas cette envie sur le compte de mes désirs charnels – car s’il est vrai que tes performances sexuelles sont au nombre des événements mémorables de ma longue existence, sache cependant, mon cher, que ce qui me manque le plus chez toi, c’est ta voix.
Tu te souviens de ces longues soirées que je passais, blottie contre toi, à écouter ta voix grave me raconter des histoires extraordinaires ? En ce temps-là, déjà, tu étais devenu l’individu bourru et peu bavard que tu es ; mais ces légendes apprises dans ta jeunesse semblaient te délier la langue, et alors tu pouvais parler pendant des heures…
Je voudrais tellement te revoir…
J’ai songé à venir vers toi, jusqu’en Hérakléo, mais le Centre d’Accueil des Immigrés (dont je suis désormais directrice adjointe !) a besoin de moi ici. Tu comprends donc que je ne puisse pas venir…mais toi ? Pourrais-tu me rejoindre ? Je suis sûre que tu aimerais Range Harbor : c’est une ville aux multiples visages, tout comme toi (vieux coquin), et les rues foisonnent de jolies filles (moi parmi elles, bien sûr). Tu te plairais ici…
Et puis tu sais, Yhuki, je me suis rendu compte qu’il y a dix longues années que nous nous sommes quittés. Le temps passe vite et…nous ne sommes pas éternels. Le fleuve de nos existences cessera un jour de s’écouler, et les heures qui paraissaient longues s’effondreront en poussière de temps…
Mais que vois-je ? Je me laisse emporter par un lyrisme intempestif ! J’en deviendrais presque sentimentale…quelle idée !
Sur ce, mon Yhuk, et je te salue (aussi bas que mes restes de souplesse le permettent), et je t’embrasse (où tu voudras),
Ta vieille Sat’. »


Le visage du vieil indien, sillonné de rides, affichait un sourire amusé. Satinka était toujours aussi drôle et touchante.
Il avait reçu cette lettre deux mois plus tôt, alors qu’il était encore en Hérakléo. Il avait répondu pour le moins succinctement : « J’arrive. »

Et désormais il était à Mi-Lieux, sur Emerillon, et son voyage jusqu’à Range Harbor touchait à sa fin. Il attendait simplement que passe un navire qui voudrait bien l’emmener là-bas. D’ailleurs, il avait entendu dire qu’un vaisseau appelé Le Dragonder avait accosté la veille, et repartirait en fin de journée, direction Range Harbor. Dès que l’heure serait décente, Yhuk’ta se présenterait au capitaine du bâtiment, et lui demanderait s’il pouvait faire la traversée à bord – moyennant rémunération, bien sûr.
« Bon, en attendant, il faut que j’enfile quelque chose de décent… » pensa Yhuk en jetant un regard dubitatif sur le pyjama informe qui couvrait ses vieux os.

Dehors, les premiers rayons du soleil étincelèrent sur la surface calme de l’eau.
Le jour se levait.
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MessageSujet: Re: Milles et une histoires [ Yhuk'ta / Argana ]   Milles et une histoires [ Yhuk'ta / Argana ] EmptyJeu 8 Oct - 3:09

Le ciel affichait une couleur rose pâle, grisonnant et tirant doucement vers un bleu ocré.
Il était tôt, très tôt mais déjà une certaine agitation négligée se faisait sentir sur les quais du port. Des hommes allaient et venaient d’un pas lourd et peu motivé, chargeant les dernières provisions, les dernières caisses, marchandises qu'on devait emporter sur d'autres rives.
Cette fois-ci, l'équipage allait mettre le cap vers Range Harbor et cela faisait bien longtemps qu’ils n’étaient pas allés là-bas mais de nombreuses commandes les poussaient à s’y diriger.
On devait larguer les amarres d’ici une demi-heure, une fois que le soleil aurait illuminé la voie.
On serra des nœuds, on tira des cordes, on ouvrit les voiles… Tout était presque prêt.

A ce moment là, un homme d’un certain âge s’approcha, portant pour unique cargaison un sac bien rempli, qu’il avait un peu de mal à porter sans que celui-ci ne glisse sur le côté.
Le capitaine, l’apercevant, se dirigea vers lui en tendant une main robuste et cornée, témoignant d’une utilisation laborieuse et lui souhaita la bienvenue avec un sourire resplendissant.
Cet homme était doté d’une barbe généreuse, noir de jais, qui lui recouvrait une grande partie du visage. Son front était obstrué par un grand beau chapeau ombrageant ses yeux d’un bleu d’azur. Il avait vraiment l’air d’un bon vivant prêt à se vider d’un cul sec une bouteille entière de vin rouge (c’est ce qu’il faisait parfois d’ailleurs).
Ils parlèrent un instant, côte à côte, réglant les formalités d’un voyage comme celui-là en regardant les marins terminer les préparatifs. Puis, voyant que l’ancien peinait avec son sac, le Capitaine lui demanda s’il ne voulait pas qu’on s’occupe de ses affaires pour alléger ses épaules, après quoi il s’éclaircit la voix pour se préparer à crier.

“ARGANA!!!”

Rien.

«Mais ou est ce qu’il est ce vaut rien ?! ARGANA!! Ah! Non mais je vous jure! »

Suite à ses appels tonitruants, un petit garçon à la chevelure flamboyante passa sa tête par-dessus la coque du bateau, cherchant du regard d’où provenait son nom que l’on criait si fort. Une fois le Capitaine en vue, le dénommé Argana sauta par-dessus la rampe et se laissa tomber sur plus de deux mètres de haut. Il atterrit avec une légèreté stupéfiante, comme s’il n’avait fait qu’un petit bond à partir du rebord d’une fenêtre. Cette démonstration révéla sa nature : un mage d’air, sans aucun doute !
Il approcha d’un pas rapide. Il était petit et jeune. Très jeune. Ses yeux gris vert se levèrent vers le grand et imposant barbu.

« Vous m’avez appelé, père ? »

Ainsi donc le Capitaine était le père de ce môme … La ressemblance n’était pas frappante.

« Occupe-toi du sac du vieux monsieur …

- Vieux ?! Qui est vieux ? »

Le père d’Argana s’arrêta net, comprenant tout à coup son idiote étourderie.

« Je ne voulais pas …

- De nos jours, plus personne ne nous respecte, nous les vieux ! Et pourtant, un jour vous serez comme nous! Un tas de chair en décomposition méprisé de tous! Mais moquez vous, allez-y....après tout, c'est de votre âge... »

Le « vieux » en question s’était subitement échauffé, apparemment frustré qu’on lui rappelle son âge d’une manière aussi grossière. Il proliférait ses quatre vérités d’une manière autoritaire et assurée, laissant le pauvre Capitaine sans voix.
Quand il eut fini sa correction, un petit silence se fit… Un silence qui, on s’en doute, parut une éternité pour le pauvre homme qui avait commit la faute ultime.
Il se décida néanmoins à reprendre la parole après s’être à nouveau éclairci la voix.

« Oui, donc Argana, occupe toi des bagages de …Monsieur Yhuk’ta Shwarin. Aller ! Dépêche toi ! »

Le gamin avait regardé la scène depuis le début et semblait abasourdi par la prestance de Yhuk’ta. Jamais il n’avait vu son père se faire mater de la sorte. D’habitude, c’était lui qui engueulait tout le monde.
Il sortit néanmoins de sa torpeur et attrapa le sac du nouvel arrivant en continuant à le fixer avec étonnement.

« Je vous laisse mon fils… Par contre, s'il vous ennuie, faites le lui savoir. Ce gamin est un vrai moulin à paroles et n’arrête pas de faire son pitre. »

Et sur ce, le paternel revint alors à ses activités, s’empressa de crier sur son équipage pour se libérer l’humiliation qu’il venait de subir, laissant son fils et son hôte seuls à seuls.
Yhuk’ta soupira, exaspéré, et baissa les yeux vers le gamin.
Celui-ci l’auscultait toujours mais cette fois, ses yeux pétillaient de la plus grande admiration et de beaucoup de respect. Et surtout, en silence.

Ce que pensait Argana à cet instant là ? Tout simplement que ce voyage allait être beaucoup moins ennuyeux que les précédents et il s’en réjouissait d’avance …

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Yhuk'ta Shwarin

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MessageSujet: Re: Milles et une histoires [ Yhuk'ta / Argana ]   Milles et une histoires [ Yhuk'ta / Argana ] EmptyDim 11 Oct - 14:37

Yhuk regarda le capitaine s’éloigner avec un soupir amusé. Il aimait bien jouer les vieux emmerdeurs, froncer les sourcils en râlant contre l’irrespect des jeunes générations, crier des tirades enflammées sur sa condition de vieillard impotent. Mais qui le connaissait bien savait que, s’il s’amusait à agir comme une caricature de vieil homme, c’était moins pour houspiller les jeunes gens que pour exorciser sa propre peur de vieillir.
Son regard, vif malgré les rides, se tourna vers le gamin qui portait son sac. Il devait avoir une dizaine d’années, tout au plus. Des cheveux roux en bataille, un regard vert clair – vert comme une jeune feuille de printemps, pensa Yhuk’ta. Le regard du bambin était vif, admiratif, et ses lèvres rosées, entr’ouvertes, semblaient vouloir dire quelque chose :

« Sui…suivez moi monsieur ! Je vais vous montrer votre cabine. »

Le petit Argana bomba le torse et fit signe au vieil indien de le suivre. Yhuk lui emboîta le pas avec un sourire bienveillant.
Ils traversèrent le pont, qui était désormais en pleine effervescence avant le départ. Jetés au beau milieu cette agitation, l’enfant et le vieillard devaient se frayer un chemin parmi les hommes, zigzaguer entre tous ces marins qui couraient à bâbord, à tribord, et qui sautaient de cordage en cordage en criant : « Fermez les écoutilles ! – Bordez la grand voile ! – Déployez le foc ! – Chacun à son poste, et levez l’ancre !! »
Yhuk, le visage désormais fermé, ne prêtait pas attention à tout ce capharnaüm, il prenait simplement soin de rester hors de la bousculade. Il se concentrait sur son guide qui, bien que frêle et ridiculement petit, semblait trouver son chemin au travers de toute cette confusion. Manifestement, Argana connaissait le navire comme sa poche, et Yhuk avait même un peu de mal à le suivre.
Quittant le pont et son ciel ouvert, ils pénétrèrent dans le bâtiment. Après avoir parcouru deux couloirs et gravi un escalier étroit et raide, ils arrivèrent enfin devant une porte – une porte en bois petite, basse, mais joliment sculptée.
Argana poussa le battant, entra, et s’approcha du lit pour y déposer délicatement sa cargaison. La pièce était un peu poussiéreuse, mais vivable.

- Voilà, dit Argana en ouvrant les bras, c’est ici. C’est votre cabine !
- Merci gamin, fit Yhuk’ta en lui ébouriffant les cheveux, avant de laisser son vieux corps tomber lourdement sur le lit. Argana resta là, debout, fixant le vieil homme de son œil vif, visiblement intrigué par son allure atypique.
- Dis, monsieur, tu viens d’où ?
- …comment ça d’où je viens ?
- Ben…j’veux dire…c’est quoi vot’ pays ?
Yhuk le fixa un instant, puis son regard se fit flou.
- Ça, gamin, c’est une bonne question…
- Vous savez pas d’où vous venez ? s’étonna Argana en levant un sourcil interrogateur.
- Oh, tu sais, je viens de partout, et de nulle part…c’est une longue histoire.
Les yeux du bambin s’illuminèrent.
- J’adore les histoires !
Yhuk sourit, se souvenant de ce que Satinka avait dit dans sa lettre, à propos des histoires qu’il racontait…
- Tu veux que je te raconte quelque chose ?
Argana hocha la tête vigoureusement.
- Et moi alors ?!? s’écria une voix.
Argana sursauta.
Yhuk plissa le front puis, réalisant soudain, se frappa le front du plat de la main : « Suis-je bête ! » Il ouvrit son sac et en sortit une petite tête, une tête réduite d’environ deux pouces de haut (cinq centimètres), et qui vociférait avec un zèle impressionnant :
- Je savais bien que t’allais m’oublier si tu m’mettais dans le sac ! J’te l’avais dit, espèce de vieux schnock sans cervelle ! Ta mémoire flanche, abruti ! T’es vraiment qu’un sale c… !
Le visage sans corps interrompit sa logorrhée agressive quand il vit deux grands yeux verts le fixer avec incrédulité.
- Oh ! Un gamin ! Bah, maintenant je comprends pourquoi tu m’as oublié, hein papi, tu t’es fait un nouvel ami, alors tu m’abandonnes…lâchement !
La tête se mit à faire semblant de sangloter.
Yhuk lui jeta un regard faussement désespéré. Au fond, tout cela le distrayait au plus haut point.
- Argana, dit-il avec un sourire, je te présente Tsantza. C’est mon djinn.
- Waaa, s’extasia Argana. Alors vous êtes un invocateur ?
- Oui gamin, c’est bien ça.
- Cooool, souffla-t-il, les yeux pleins d’étoiles.
Yhuk sourit, amusé de tant d’admiration. Cela lui rappelait l’époque où il était un guerrier adulé de tous…Une époque fort lointaine, égarée dans un coin de sa mémoire...
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Argana Shester

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MessageSujet: Re: Milles et une histoires [ Yhuk'ta / Argana ]   Milles et une histoires [ Yhuk'ta / Argana ] EmptyMar 13 Oct - 23:29

Le gamin était comme happé par la moindre parole de son aîné. Pour lui, une seule logique trottait dans sa petite tête d’enfant curieux : cet homme avait vécu, il avait donc des tonnes de trucs à raconter, des histoires plus merveilleuses les unes que les autres, des aventures dans lesquelles il avait joué un rôle, pour de vrai ! Un homme d’expérience, de savoir et de connaissances en tout genre… Waouh.
Argana frétillait sur place, il voulait être emporté par tous ses contes. Il voulait être émerveillé, étonné, terrifié, envoûté … Un vrai rêveur entre autre.
Mais il n’en perdait pas le nord pour autant.

« Et votre histoire ? » dit il avec un empressement qu’ont seul les enfants de cet âge. Yhuk’ta sourit avec tendresse devant l’impatience de son jeune auditeur.
Il s’apprêta donc à débuter son histoire quand les claquements sonores des lourds pas du Capitaine interrompirent son élan. L’apparition précéda le son de quelques petites secondes. Le père d’Argana se tenait fièrement dans l’encadrement de la cabine de son voyageur, regarda d’un air sévère le petit rouquin qui s’était retourné pour le voir arriver.

Milles et une histoires [ Yhuk'ta / Argana ] Illupapayhukargacopie

« Allez, file, laisse le Monsieur tranquille va ! T’as autre chose à faire. » grommela t-il à l’adresse de son fils en lui faisant un signe de la tête. Celui-ci prit un air boudeur, mais exécuta les ordres de son père. Non pas parce que celui-ci aurait eu une quelconque violence avec lui, non. Le Capitaine n’était pas ce genre d’homme, mais rien qu’à sa carrure, son impressionnante barbe et son timbre de voix grave, l’obéissance et le respect lui venaient naturellement. Argana n’avait jamais vraiment songé à contredire son père, cela lui paraissait ridiculement inutile… Et peut être dangereux.
Il sortit donc assez rapidement et s’empressa de rejoindre le pont où les nouvelles directives l’attendaient.
Le Capitaine, quant à lui, salua son hôte en se penchant légèrement et s’en retourna à ses activités, laissant Yhuk’ta Shwarin seul à écouter les échos de ses grandes enjambés.
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Yhuk'ta Shwarin

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MessageSujet: Re: Milles et une histoires [ Yhuk'ta / Argana ]   Milles et une histoires [ Yhuk'ta / Argana ] EmptyLun 26 Oct - 17:10

Déjà deux jours que le navire voguait en direction de Range Harbor.
Désormais on était en haute mer : de l’eau, encore de l’eau, toujours de l’eau à l’horizon. Le ciel était lavé de nuages, le vent soufflait doucement dans les voiles. Il n’y avait dans l’air qu’une odeur de sel.
Accoudé au bastingage, Yhuk contemplait la houle en silence.

« Eh monsieur ! »

Quelque chose – ou plutôt quelqu’un – venait troubler sa méditation.

« Monsieur Shwarin ! fit Argana en courant vers lui. Comme la mer est plate et le vent faible, père a dit qu’on n’avait pas besoin de moi ! Alors j’ai quartier libre jusqu’à nouvel ordre !
- Et alors ? maugréa Yhuk en ne quittant pas la mer des yeux – il n’était pas d’humeur.
- Ben…j’me suis dit que c’était le bon moment pour que vous me racontiez enfin une histoire !
- Ah, ça…, soupira le vieil indien. Il se retourna et vit le regard vert pétillant de l’enfant – quel enthousiasme pour un simple conte ! C’était attendrissant. Allez, soit ! Tu l’auras ton histoire. »

« Il était une fois un jeune guerrier. Il s’appelait F’talik. Il vivait dans une île oubliée au milieu de l’océan, une île peuplée de mages où l’on respectait encore les rituels les plus ancestraux. F’talik était un jeune homme beau, grand (?) et fort. Il était courageux et intrépide. C’était un invocateur promis à de brillants exploits. [– Un invocateur? comme vous ? – Oui, oui, comme moi. Tais-toi un peu et écoute l’histoire ! – Oui monsieur Shwarin…] C’est donc l’histoire de ce jeune F’talik que je m’en vais te raconter.
« Chez le peuple de F’talik on devient homme à seize ans. C’est pourquoi, lorsqu’il eut seize ans, F’talik dut accomplir les trois exploits. [C’est quoi les trois exp… ?] Les trois exploits sont trois épreuves que le jeune guerrier doit surmonter pour devenir un homme. Une fois ces trois épreuves accomplies, le nouvel homme peut choisir une femme parmi les jeunes filles de la tribu voisine. [Une fille ? Beuurk !]
« Le premier exploit consiste à vaincre son propre père à la course. F’talik s’acquitta aisément de cette tâche car son père n’était pas un grand sportif. Le second exploit consiste à vivre seul dans la forêt, sans abri et sans armes, pendant le temps qui s’écoule entre deux lunes. [Waaa… ! Et il a réussi ?] Le jeune F’talik surmonta sans encombre cette deuxième épreuve. Il se construisit un abri dans la forêt, il se fabriqua des armes en taillant des pierres, il se nourrit en chassant des animaux sauvages. Et il revint vivant en son village.
« C’est alors qu’il dut affronter la troisième épreuve, la toute dernière épreuve avant l’âge adulte. Cette épreuve était, entre toutes, celle que les jeunes redoutaient le plus. Ils en avaient peur car ils ne savaient pas réellement en quoi elle consistait. Tout comme ses camarades, F’talik ne savait qu’une seule chose à propos du troisième exploit : il fallait gravir la montagne qui se trouvait au centre de l’île ; une fois arrivé au sommet, on trouvait une grotte : et à l’intérieur… [Quoi ? quoi ?!] Quelque chose. [Un monstre ? Une chimère ?] Personne ne pouvait dire ce qui s’y cachait vraiment. Aucun des hommes qui en étaient revenus n’avait pu décrire ce qu’ils y avaient vu. On disait que la créature renaissait chaque fois qu’un nouvel adversaire se présentait au seuil de son domaine. Une chose était sûre : l’être qui était tapis au fond de cet antre était, en tout cas, effrayant…et il possédait une émeraude qu’il fallait ramener au village pour preuve qu’il avait été vaincu.
« F’talik prit donc son courage à deux mains : il prit ses armes, embrassa ses parents, et partit. Il mit trois jours à gravir la montagne. Là-haut se trouvait la caverne : il y entra. L’antre était profond et sombre, il fabriqua une torche puis s’aventura plus profondément. Bientôt, il fut tellement engagé dans la grotte qu’il ne voyait même plus la lumière de l’entrée. À mesure qu’il avançait, l’obscurité se faisait de plus en plus dense, et la galerie de plus en plus large, à tel point qu’il n’en distinguait même plus les parois. Il était comme perdu au milieu d’un espace sombre et sans limites. Mais il continuait d’avancer, bien décidé à trouver, même dans le noir le plus profond, le monstre qu’il devrait affronter. Mais aucun monstre n’apparaissait, et il avançait toujours, toujours sans savoir où il allait. Combien de temps marcha-t-il ? Lui-même ne le sait pas. Il s’arrêtait de temps à autre pour manger, puis recommençait à marcher. Il commençait à être fatigué. Peut-être dehors la nuit était-elle tombée ? Peut-être devrait-il s’arrêter et dormir ? Mais si la bête attaquait pendant son sommeil ? Non, il ne fallait pas dormir. Surtout que…s’il s’endormait, la torche finirait par s’éteindre ; et alors les ténèbres l’envahiraient, resserreraient autour de lui leur étreinte nébuleuse, l’entourant d’un voile impénétrable et d’une opacité sépulcrale... – F’talik avait toujours eu peur du noir. Alors il continua d’avancer.
« Jusqu’au moment où il se laissa tomber au sol, vaincu par la fatigue et le sommeil. Ses jambes ne réussissaient plus à la porter. Il s’assit donc, en tailleur, planta la torche dans le sol devant lui, et fit la seule chose qui pouvait l’empêcher de sombrer dans le sommeil : méditer. Il ferma les yeux, comme son père le lui avait appris, et se concentra sur l’objet de son angoisse, l’obscurité.
« Il resta longtemps dans cette position, paupières closes, silencieux.
« Et soudain il comprit. Il comprit qu’il n’y avait pas de monstre, ou plutôt que le monstre était déjà là. Oui, là, partout autour de lui. Le monstre, c’était cette obscurité, ce vide, ce silence qui l’enveloppait comme la mort. Le troisième exploit n’était pas un combat au corps à corps avec une créature bien réelle ; c’était une lutte, esprit contre esprit, avec un fantasme sorti de sa propre imagination – il devait vaincre sa peur. Vaincre sa peur des ténèbres.
« Il ouvrit les yeux.
« Tout était noir. Les parois de la caverne restaient invisibles, repoussées à l’infini dans l’obscurité. La torche flambait encore, éclairant quelques mètres autour de F’talik, et lui apportant un peu de chaleur. Il se leva, prit la torche entre ses mains, et souffla la flamme.
« Pendant une seconde, l’obscurité fut totale.
« Puis F’talik se retrouva, debout, à l’entrée de la grotte. Une émeraude était par terre, à ses pieds. Il la ramassa, puis redescendit jusqu’au village où une grande fête fut organisée en son honneur. Pendant cette fête, il put choisir une épouse parmi les femmes de la tribu voisine, comme le voulait la tradition. Celle qu’il choisit se prénommait Aqnaïa. Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants.
»


« Waaa… Elle était géniale cette histoire ! F’talik il est trop fort, j’aimerais bien le rencontrer !
- Chut ! L’histoire n’est pas finie !... Comme je l’ai dit, F’talik était un invocateur, et c’est le lendemain de la fête qu’il découvrit son djinn : une tête réduite !
- Comme vous ?!
- Oui, comme moi…, soupira Yhuk. Puis F'talik dut choisir son nouveau nom, le nom qu’il porterait maintenant qu’il était un homme. Le nom qu’il choisit signifiait ‘séisme’. Dans sa langue, cela se disait "Shwarin". Shwarin devint son nom.
- Comme vous ?!!?
- …
Yhuk jeta un regard affligé à l’enfant.
- Aaaah ! Je comprends ! finit par dire Argana. En fait…F’talik…c’est vous ! »

« Eh ben c’est pas trop tôt ! » pensa Yhuk.
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Argana Shester

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MessageSujet: Re: Milles et une histoires [ Yhuk'ta / Argana ]   Milles et une histoires [ Yhuk'ta / Argana ] EmptyVen 13 Nov - 15:22

Le bateau filait à vitesse raisonnable, suivant son cours tranquille et paisible sans autre encombre... C'était comme si la mer bénissait leur traversée, ouvrant largement le chemin. Il n'eurent donc pas besoin de changer de cap, continuant tout simplement, droit devant.
Sur le bateau, l'équipage n'était pas sollicité plus que ça et l'ambiance paisible, accompagnée du doux ballotement de la mer qui berçait ses marins, donnait une envie soporifique de piquer du nez dans les filets.
Même le jeune Argana s'endormait tranquillement au milieu d'une pile de cordes en écoutant les histoires merveilleuses de son vieil ami mage.Il essayait pourtant de résister au sommeil, voulant à tout pris entendre la fin des contes, mais Orphée le prenait toujours au dépourvu et il sombrait dans des rêves fantastiques sans même qu'il s'en rende compte.
Quand il se réveillait, il avait toujours un petit air boudeur et coupable... Il se redressait doucement en murmurant un " Zut ... Je me suis encore endormi ...".
En général, Yhuk profitait du sommeil d'Argana pour méditer en silence (quand il n'était pas endormi, il posait trop de questions et ne pouvait pas se concentrer). Il s'était attaché au môme, même si parfois celui-ci était un peu trop collant et bavard mais Yhuk appréciait son enthousiasme de jeune enfant, surtout pour ce qui est des histoires. Certes, les enfants adorent écouter des contes et aiment tout autant s'en inventer, mais pour Argana, cette passion semblait bien plus forte que chez n'importe quel autre enfant.
Pris par la curiosité, Yhuk demanda à son jeune auditeur pourquoi il aimait tant toutes ses histoires. Que ne fut pas sa surprise quand celui-ci répondit :
"Parce que les adultes oublient toujours que c'est beau de rêver."
Et au combien il avait raison. Certes, il ne captait pas toute la portée de ses paroles, il était bien trop jeune pour ça, mais il détenait une vérité importante : les histoires sont importantes parce qu'elles font rêver. Elles nous permettent de s'évader, de voyager, d'admirer, de s'étonner... Se remettre en question... Vivre autrement.
Les histoires permettent le rêve, le rêve permet l'espoir, l'espoir permet la vie.
Plus tard, Argana saisirait surement le sens de tout cela. Pour l'heure, son esprit qui n'avait pas encore fini de mûrir (et il ne finit jamais d'ailleurs) n'était pas assez philosophe pour capter l'intégralité du sens de ses propres paroles.
" Moi, quand je serai grand, je voudrais encore rêver ! Et je deviendrais un graaaand conteur ! Comme vous !" avait il ajouté avec ses yeux pétillants de joie et de ferveur.
Ainsi, petit à petit, Yhuk apprit à connaitre Argana le jeune rêveur. Il le vit accomplir les tâches qu'on lui demandait avec le courage que lui donnait son âge. Il s'avérait qu'Argana avait un don pour la maîtrise de l'air, même si elle était loin d'être parfaite.
Son talent fut mis à exécution un jour où le vent tomba. Pour faire avancer le bateau, il fallait qu'il ait de l'élan et comme un exercice répété plus d'une centaine de fois, les frères de Argana et lui même combinèrent leurs efforts :
Tout d'abord, les deux frères, postés sur les deux côté du bateau faisaient jouer l'eau pour que le bateau se mettent tout doucement à prendre de la vitesse et à filer sur l'eau. Pendant ce temps, Argana se concentrait très sérieusement... C'était une des rares occasion de voir ce gamin aussi sérieux qu'à cet instant. Puis, il se mettait à l'arrière du bateau, prenait de l'élan, courait vers l'avant puis... D'un mouvement de bras, il gonflait la voile... Et le navire reprenait un peu d' élan, facilitant la tâche des mages qui s'occupaient à garder cette vitesse au maximum.
De son côté, Argana tombait comme une mouche, profondément endormi, son pouvoir étant sollicité d'un coup et à pleine puissance, il devait récupérer son énergie... En pionçant.

Si Yhuk avait été témoin des démonstrations de pouvoir de son jeune admirateur, de son côté, Argana désirait plus que tout, lui aussi, assister à un des tours de l'invocateur.
Soit que ses prières eurent été entendues, soit que le voyage fut bien trop tranquille pour pouvoir continuer, l'occasion idéale se présenta à Yhuk pour donner un aperçu de sa toute puissance.
Ce fut en plein milieu d'une après-midi que tout se déroula. Les marins somnolant par la trop paisible avancée du bateau n'avaient pas aperçu l'approche rapide et dangereuse d'un... Requin-chauve-souris blanc géant [s'en prendre à Dynna pour la chimère, je décline toute responsabilité... Moi, j'avais pas d'idée :/ ].
Ils ne purent rien faire. Pas le temps de repousser la bête, pas le temps de faire avancer le bateau plus vite... Tout s'enchaina très vite, dans une panique et un chaos général : les hommes se précipitèrent se mettre "à l'abri", priant pour que la chimère ne dévore pas l'intégralité du bateau. Dans ces cas-là, on ne pouvait que prier.
Argana, qui s'était retrouvé embarqué in extremis par un des hommes du bateau, cherchait Yhuk des yeux : il était absent.
"Père !! Père !! Monsieur Shwarin n'est pas là !!"
Son père ne l'écoutait pas, bien trop occupé à calmer et retenir les marins désespérés qui se bousculaient pour se cloîtrer au fin fond des cales.
Argana glissa donc dans la masse compacte de ses compères, atteignit la sortie et se précipita à la recherche de son ami. Il le retrouva seul, sur le pont, devant une mer déchainée par la chimère. Argana allait l'appeler quand il s'aperçut que Yhuk psalmodiait [je parie que j'arrive pas à prononcer ce mot...] des formules toutes plus incompréhensibles les unes que les autres, faisant des gestes amples et précis avec un bâton orné de plumes et autres talismans que le jeune spectateur n'avait encore jamais vus auparavant.

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Soudain Yhuk frappa de toutes ses forces le plancher de bois et une bourrasque surgit de nulle part accompagnée d'un bruit sourd et puissant qui fit vibrer le bateau, comme une explosion retenue part une épaisse bâche insonorisée.
Le capitaine et ses hommes ne tardèrent pas à réapparaître à l'appel de ce son inconnu. Quelle ne fut pas leur surprise en voyant se dresser de toute sa hauteur une énorme bête ailée, surgissant des flots et s'interposant entre le bateau et la chimère affamée.

Milles et une histoires [ Yhuk'ta / Argana ] Leviathancopie

Argana, assis par terre à cause de la bourrasque qu'avait provoquée l'invocation, était absolument captivé, ébahi, subjugué par la scène.
Un combat sans merci débuta entre le fier et terrifiant Léviathan et le Requin blanc géant (qui faisait pâle figure devant le maître des mers). Le dragon Roi domina bien assez vite, s'enveloppant autour du cétacé chiroptères comme le ferait un serpent, puis enfonça ses longs crocs effilés dans la chair des "dents de la mer".
L'affrontement entre les deux titans avait maltraité le navire commerçant qui se balançait dangereusement sur les énormes vagues provoquées par les monstres.
Léviathan l'emporta, laissant la dépouille gisante de la chimère couler dans les profondeurs de la mer, puis le seigneur protecteur (à l'occasion) s'évapora dans les airs à la suite d'un claquement sec du bâton de Yhuk.
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MessageSujet: Re: Milles et une histoires [ Yhuk'ta / Argana ]   Milles et une histoires [ Yhuk'ta / Argana ] EmptyDim 15 Nov - 22:49

« Hourra ! Vive le vieux Yhuk ! » Les marins l’acclamaient, couraient vers lui pour le remercier de les avoir sauvés, certains rejouaient la scène qui venaient de se dérouler sous leurs yeux : « J’en ai pas cru mes yeux quand j’ai vu la créature jaillir, et là – slash ! » Ils rejouaient le match avec enthousiasme, mimant avec de grands gestes les mouvements brutaux des deux animaux, leurs mains crochues figurant les mâchoires, leurs onomatopées approximatives tentant d’imiter les grondements des bêtes, leurs bras étendus imitant les ailes du requin ou les serpentements du Léviathan. « Et alors, quand le requin a donné ce coup de queue, ça a fait une vague énoorme ! Le bateau a tellement tangué, j’ai bien cru qu’on allait encabaner ! – Pour sûr ! Même, à un moment, j’ai été projeté contre le bastingage, du côté où les bêtes s’affrontaient ! – Non, c’est pas vrai ?! – Si ! J’étais tellement proche que je sentais le souffle du battement des ailes du requin, et quand j’ai perdu l’équilibre, j’ai failli passer par-dessus bord et les écailles du dragon m’ont presque frôlé le visage ! » Et l’autre de s’extasier sur les périls qu’avaient encourus son ami – qui en réalité était resté, pendant toute la durée de la péripétie, planqué derrière un tonneau en position fœtale…Mais tout marin est un peu fabuliste, et celui-ci narrait fort bien ses aventures imaginaires, s’attirant bientôt un cercle d’auditeurs plus important que le celui qui s’était formé autour de Yhuk – tout simplement parce que Yhuk ne disait rien.
Yhuk était intervenu de manière spectaculaire, certes, mais ce n’était pas pour s’attirer la gloire. C’était simplement pour survivre : défendre le navire, l’empêcher de couler. Et le sourire qui s’affichait maintenant sur son visage ne signifiait pas la fierté, mais une satisfaction jubilatoire. Pourquoi de la satisfaction ? Parce qu’il avait vu le requin. Il l’avait observé pendant la bataille. Il avait précisément mémorisé chaque aspect de son corps gigantesque. Et désormais, il serait capable, à tout moment, d’invoquer ce requin géant aux ailes de chauve-souris – créature étrange mais non moins puissante, qui pourrait un jour s’avérer utile.

*
Cinq jours plus tard.

Depuis le début de la journée, une brume épaisse flottait dans l’air, obligeant les marins à manœuvrer prudemment, et les plongeant dans un état presque fébrile : ces hommes étaient superstitieux. Le plus vieux d’entre eux, un thaumaturge borgne à la barbe rongée par le temps, avait décidé de s’amuser un peu, et diffusait par télépathie toutes les légendes effrayantes que son esprit sénile avait engrangées au fil des ans. Il parlait de kraken, de fantômes, d’esprits psychopompes qui voguaient sur les flots à la recherche des âmes que l’océan égarait… Argana, épouvanté par les images lugubres que ces rumeurs faisaient naître dans son imagination, était venu se réfugier dans les basques de Yhuk qui, bon gré mal gré, se décida à lui raconter une histoire pour le distraire.
« C’est l’histoire d’une vieille sorcière nommée Djourka. Et –
- C’est encore une histoire qui vient de tes souvenirs ?!
- *soupir*...oui. Donc, je disais, c’est l’histoire de Djourka. Cette femme était une sorcière, et habitait seule dans une minuscule cabane au beau milieu d’un îlot lui-même minuscule, qui se trouvait un peu au large de l’île où était établi notre village. Personne ne sait vraiment pourquoi Djourka avait décidé de s’exclure de notre monde. Mais ce que l’on savait, c’est qu’elle possédait...des pouvoirs magiques.
- Mais !…tout le monde a des pouvoirs magiques !
- …oui, oui, certes. Mais ton père a dû t’expliquer, petit homme, qu’il existe seulement trois types de pouvoirs, rattachés aux trois types de mages : les élémentalistes (comme toi), les invocateurs (comme moi), et les thaumaturges. Mais Djourka, elle, n’était rattachée à aucune de ces trois catégories. Ses pouvoirs n’appartenaient qu’à elle seule : elle pouvait parler aux esprits, et prédire l’avenir. Djourka était l’oracle de notre peuple, consultée depuis plusieurs générations. Mais, à vrai dire, personne, même les anciens, ne savait vraiment qui était cette femme…on se demandait même si c’était un être mortel…ou autre chose. Moi, je ne l’ai vue qu’une seule fois, et elle m’avait semblé plus vieille que le Temps lui-même. Était-elle seulement humaine ? Qui sait… Certains disaient qu’un esprit de la Nature s’était emparé de son corps. D’autres prétendaient qu’elle était fille de la Magie, et que son enveloppe charnelle n’était qu’une illusion, un déguisement pour ne pas effrayer les hommes… Et un tas d’autres histoires couraient à son sujet. Pour tous les enfants du village, elle était un mythe dont il fallait découvrir la vraie nature… Mais le secret de son identité restait invariablement caché.
- Mais…comment tu peux me raconter une histoire sur une sorcière si tu sais même pas si c’est une vraie sorcière, ou si c’est un esprit, ou si c’est autre chose, ou encore autre chose ?!
- Crois-tu que je me joue de toi, petit homme ?
- …je crois surtout que tu me racontes une histoire alors que tu connais même pas le secret de la sorcière, et donc c’est nul parce que moi je veux savoir son secret !
- Eh bien figure-toi, jeune impatient, que je le connais, ce secret.
- C’est vrai ?!
Les yeux d’Argana se mirent à briller de mille petites étoiles attendrissantes.
- Oui, c’est vrai, je connais le secret de Djourka la Sorcière. Et je suis le seul, à ce que je sache, à le connaître. Mais…je crois qu’il faut t’apprendre la patience.
- La…la…patience ? Tu veux dire que… tu vas pas me révéler le secret de la sorcière tout de suite ? Et que tu vas me faire…ATTENDRE ?! »

« Terre en vue !!! » hurla la vigie.
Tous les marins se précipitèrent vers la proue pour voir la mince bande verdâtre qui se dessinait à l’horizon, sur un ciel dont le bleu pâle apparaissait enfin maintenant que la brume se dissipait.
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