Cela fait 9 semaines que nous avons recueilli la petite Vanéa. La communication est encore parfois difficile à établir et elle semble être toujours plus ou moins sur ses gardes. Toutefois, petit à petit, ses émotions se dévoilent. Elle rit des âneries de Tristan quand celui-ci aurait plutôt tendance à consterner et attirer les foudres de Mordikah. Un mal pour un bien, allons nous dire. Elle reste timide vis à vis de Gordung. Il faut dire que l'homme est déjà impressionnant pour un adulte, alors pour une enfant... Elle semble aussi intriguée par la figure morne de ce cher Arthur. Qui ne manque pas de reconduire la petite auprès des jeunes Brookwell.
La troupe et moi-même avons décidé d'écourter notre tournée en Kwanai. Si la petite a fui, et même si nous nous trouvons à des lieux de l'endroit où nous l'avons recueillie, il serait fâcheux de tomber sur des gens la réclamant. Dans l'avenir, nous éviterons cette région du continent. Mais pour l'immédiat, changer d'endroit semble être la meilleure chose à faire. Nous partirons de la ville portuaire de Jaïya. Nous en voyons déjà le haut des édifices; l'atteindre n'est plus qu'une question d'heures.L'homme posa sa plume et referma son journal après l'avoir survolé une dernière fois. Il était enroulé dans plusieurs étoffes aux tons ocres se mariant avec ses cheveux blonds et sa peau légèrement basanée. A ces couleurs chaudes se contrastaient des yeux gris aux allures de jours de pluie.
Une secousse. La roulotte dans laquelle il se trouvait se mit à trembler frénétiquement, ne manquant pas de faire tomber les objets qui avaient été négligemment posé ci et là. Il sortit la tête de la caravane et interrogea le chauffeur:
- Hé bien! Que se passe t-il, Gordung?
- Ah, désolé, Zaihn, mais on dirait bien que la route est défoncée et ça risque d'encore durer un bon moment de ce que je peux en voir.
Zaihn regarda un instant la route négligée, puis laissa échapper un soupir en rentrant la tête dans le véhicule. Il alluma de l'encens dans un encensoir qui se balançait au plafond, se cala sur des coussins et ferma les yeux.
- Et bien soit.
*
Elle avait été réveillée par les secousses. Un réveil peu appréciable. Arthur était en train de conduire quand Vanéa passa la tête pour savoir où ils se trouvaient et ce qui provoquait tout ce raffut. Alice la ramena à l'intérieur et lui offrit un verre de jus légèrement amer. Elle dit quelques chose à propos de Jaïya, d'abord en Astarnaïa puis, voyant vraisemblablement les sourcils froncés et la mou d'incompréhension qu'affichait Vanéa, tenta le Tikhvine. Là, elle comprit une histoire de bateau. Tout ça restait vague pour elle. Mais les Brookwell étaient gentils avec elle. Ils s'occupaient bien d'elle et lui apprenaient l'Astarnaïa, et le Tikhive puisqu'elle avait déjà de très vagues bases acquises à la maison close.
Son regard se perdit dans les mouvements du liquide malmené dans le verre qu'elle tenait à deux mains. Puis soudain elle redressa la tête et demanda à Alice si elle pouvait monter sur le toit de la roulotte pour regarder le paysage. Voyant le léger mouvement de sourcil de sa bienfaitrice, elle lui mit le verre en main et utilisa les signes pour tenter de se faire comprendre. L'adulte sembla perplexe un moment mais finit par donner son accord. Un sourire s'afficha sur le visage de l'enfant qui ne tarda pas à se trouver près d'Arthur qui la regardait entreprendre l'escalade en direction des sommets. Sa femme arriva vite pour aider la petite et s'assurer qu'elle ne tombe pas. De là-haut, elle pouvait voir tous les horizons. L'air marin venait jouer dans ses cheveux et le soleil de fin de matinée la réchauffait comme un lézard au soleil. Elle entendit la puissante voix de Gordung s'amuser de sa témérité. Un homme impressionnant mais sympathique.
Elle passa plusieurs heures là-haut, à attraper mal aux fesses à cause des secousses incessantes, admirant le paysage maritime et arriva malgré tout à un certain point de somnolence. Arthur la fit descendre lorsqu'ils arrivèrent à proximité de la ville, Alice ayant pris les rênes. On lui donna de la viande fumée et quelques fruits à manger et on lui demanda de rester dans la roulotte. Elle mangea donc à l'intérieur puis, sentant les pavés de la ville sous les roues du véhicule, elle tira un rideau et regarda le monde à travers la fenêtre. Elle ne se lassait jamais de faire ça, observer les gens, repérer leurs différences, trouver de petits indices disant long sur eux...
La caravane s'arrêta sur une place en retrait, à quelques mètres du port. Les membres de la troupe sortaient des roulottes, s'étiraient, donnaient à manger et à boire aux animaux certes robustes mais fatigués. D'ici, plusieurs groupes se formèrent: Zaihn et Gordung allèrent au port pour trouver un navire qui serait prêt à les transporter (il était toujours difficile de trouver quelqu'un prêt à faire passer toute une caravane...), la vieille Mordikah tira le jeune Tristan avec elle pour aller acheter des vivres, Alice les accompagnant, et restèrent à garder les biens et les bêtes Arthur Brookwell, Arthur à la figure morne et la petite Vanéa qui fit vite le tour de la place et se plaignait du fait qu'elle ne puisse aller plus loin.
Les heures passèrent et les chargés de(s) vivres arrivèrent les premiers, Tristan croulant sous les paquets. Ils discutèrent sur la ville en général, des rumeurs qui couraient et autres tout en rangeant. Mais ça, Vanéa ne pouvait le comprendre alors elle se contentait de les regarder parler, d'aller près des bêtes et faire pour la énième fois le tour de la place jusqu'à ce que cela agace la vieille Mordikah et que Alice vienne l’assoir près d'elle pour faire quelques jeux. On ne peut pas vraiment dire que ça occupait vraiment efficacement l'enfant mais elle avait déjà vu la femme âgée en colère et n'avait pas envie de subir son courroux.
On attendait encore et le groupe des éclaireurs se faisait désirer.
Plusieurs longues minutes et heures s'écoulèrent et Vanéa n'était plus la seule à trépigner. Tristan en était déjà à sa cinquième bêtise et Mordikah se retenait de le battre au bâton que parce que les autres la retenaient et tournaient les évènements à la dérision. Puis, enfin, Zaihn et Gordung débouchèrent sur la place. Ce dernier avait un immense sourire orgueilleux aux lèvres et leur dit, d'un air vainqueur:
- On a trouvé notre moyen de transport!