« C’est pas que tu sois pas… j’veux dire : physiquement, ça va. » Elle s’était appliquée pour refuser avec le moins de mépris possible. « C’est juste que… C’est un peu bizarre : on se connait à peine de vue et donc euh… non. »
Puis elle s’était éloignée vers ses copines, d’un air de dire « J’allais quand même pas accepter de sortir avec lui… ! » comme s’il avait été un mélange raté entre une racaille et un autiste.
« Non. » Seul le dernier mot raisonnait dans son esprit. « Non. »
Elle s’appelait Sarah. Elle était brillante, jolie, sociable. Trop bien pour lui. Il avait pris son courage à deux mains pour lui proposer un ciné. Râteau.
Pour une fois qu’il prenait la peine d’essayer. Et merde. Elle le voyait certainement comme l’un de ces nombreux couillons qui font fac ciné parce que c’est fun et qui vont se bourrer la gueule tous les samedis soirs. …Elle n’avait pas tort. Il était comme eux, comme les types avec qui il traînait. Bande de crétins décérébrés. On est toujours mis dans le même sac que les gens avec qui on traîne. À tort ou à raison.
Il était rentré chez lui. Calypso n’était pas là. Il laissa tomber son sac sur le canapé et se dirigea vers les toilettes…où il s’assit par terre, le dos contre le mur, le coude posé sur le couvercle rabattu de la cuvette, son regard perdu dans les motifs stupides du rouleau de papier toilettes suspendu face à lui. Un sourire à la fois triste et ironique s’égara sur son visage tandis que ses yeux devenaient humides et que sa gorge se nouait : « T’façon j’sers à rien. J’suis une merde, un déchet. Donc ma place, logiquement, c’est dans les chiottes… »
Puis il commença, lentement, à dérouler le papier toilettes. Il était comme hypnotisé par les fleurs roses et blanches qui défilaient sans cesse sous ses yeux.
Déroule déroule déroule. Fleurs blanches et roses. À vomir. Déroule roule roule.
« Le p.q. c’est fascinant. C’est un peu comme la vie. Ça a l’air doux mais en fait ça gratte le cul. Ça a l’air infini, ça se déroule déroule déroule feuille après feuille, jour après jour, comme si ça allait ne jamais s’arrêter et puis… ça s’arrête. »
Il était au bout du rouleau.
La porte s’ouvrit. Il tourna les yeux vers l’intrus qui venait briser son hygiénique méditation.
Gueule de cadavre.
La porte se referma.
Il entendit de loin la voix du cadavre qui disait : « Y’a ton frère qui dévide du p.q. dans les toilettes. » Et Calypso : « Hein, quoi ? »
Les pas de Calypso qui approchent.
La porte s’ouvrit.
« Zack, qu’est-ce que tu fous ? ô_o
- Euh…. » Il contempla le tas de papier toilettes accumulé sur ses genoux sans plus comprendre pourquoi il avait fait ça.
« Tu devais pas aller au ciné ce soir ?
- Grumpf.
- Zack… t’as bu ? demanda-t-elle en chuchotant pour que Seth n’entende pas.
- ... un p’tit peu. »
Il avait avalé l’intégralité de sa fiole de whisky pendant qu’il déroulait le p.q.
« Allez viens, lève-toi. »
Elle le souleva avec peine puis l’entraîna jusqu’à sa chambre, tout en lançant à l’adresse du cadavre : « Seth ! Attends-moi dans le salon, j’arrive ! »
« Seeeeeth… articula Zack d’une voix pâteuse.
- Quoi ‘Seeeeeth’ ?
- J’l’aime pàs !
- Pff… Tais-toi et dors. »
Elle le laissa tomber sur son lit.
« T’as dîné ?
- Nan.
- Tu veux quelque chose ?
- Nan.
- Si. Faut que tu manges quelque chose sinon tu décuveras jamais.
- Humpf. Même pas j’suis bourré.
- C’est cela oui. »
Elle sortit de la chambre.
Zack se laissa aller à contempler le plafond. Il était blanc. Très blanc. Très très blanc. Très très très blanc. Blaaaaaaaaaaanc. Il pouffa de rire.
Calypso réapparut et lui balança un paquet de gâteaux.
« Oooooh ! s’extasia Zack. Des bichocooos ! »
Elle eut un vague sourire qui oscillait entre amusement, exaspération et tendresse.
« Je savais que tu refuserais d’avaler quoique ce soit d’autre que ces cochonneries.
- Cha, ch’est vrai ! » approuva-t-il la bouche pleine.
*
Oh non pas ça. Pitié pas ça.
Tapis dans son lit, essayant vainement de s’endormir, Zack avait soudain entendu un bruit de l’autre côté du mur, en provenance de la chambre de Calypso. Pitié pas ça. D’abord de petits gémissements de plaisir, puis des cris languissants et… Il serra les dents. Ne pas visualiser la scène. Se concentrer sur autre chose. Elle cria. Rester stoïque.
Il se mit à plat ventre sur son matelas, et fourra sa tête sous oreiller pour ne plus entendre. Calypso dans les bras d’un homme. Calypso dans les bras du cadavre… Yerk.
Il attrapa son iPod, enfonça les écouteurs dans ses oreilles et poussa le son à fond.
« Heart of Darkness. » Il écouta la longue intro de guitare électrique, puis se concentra sur les paroles en tikhvine.
“You can't kill me. I am living inside you.
I am a part of your existence
Twisted thoughts in a twisted mind
Provoking you
Black is my heart - dark is my soul
My hatred I can not control
Evil seed growing stronger
Your freewill... Dying!
Inside you - heart of darkness
A part of you - heart of darkness
To deny me, is to deny yourself.
The illusion is dissolved
You are no longer in control
The facade crumbles - the transition is complete
...The transition is complete
Inside you - heart of darkness
A part of you - heart of darkness
I come to you in the night
I am your dark subconscience
I keep you awake, knowing
I am the heart of darkness” Il traduisit mentalement « Tu ne peux pas me tuer. Je vis en toi. … Mon cœur est noir – mon âme est sombre. … Une part de toi. »
Je suis ta part d’ombre Calypso. Seul dans le noir, essayant vainement d’oublier que tu existes sans moi… Pathétique.