Oldboy
ou les tribulations d’un trappeur mélancolique en terre étrangère
Personnages : Lowell Marvin, Guurk Haan, Johanne Clark & Aaraon Corberyan.
Chapitre 1 : L’ogreLowell marchait. Mains dans les poches, le regard fixé à terre. Ses pensées étaient perdues loin dans son passé. Il ne regardait pas vraiment ou il allait, il se contentait d'avancer, droit devant, dans cette ville qu’il ne connaissait pas. De toute façon, il n’avait même plus envie de vivre. Il avait écrit son testament juste avant de partir de Wild'Oak City. L’argent irait entre de bonnes mains si jamais il lui arrivait quelque chose. Aaraon avait encore beaucoup à apprendre, mais l'âge lui apporterait la sagesse et il saurait quoi faire de l'héritage Marvin. Lowell avait confiance.
Il faisait jour à présent, et la rue grouillait de monde, mais Lowell ne s'en était même pas rendu compte. Les gens contournaient sa silhouette sombre, lui cédant le passage. Louve le suivait, toujours de très près malgré la foule qui ne cessait de croitre autour d'eux. Elle n'aimait pas ça, d'ailleurs, et hésitait à aller voir ailleurs en laissant son maître seul dans le brouillard de ses pensées pour aller chasser quelque chose.
Elle fut soudain bousculée par un passant. C'en était trop. Elle grogna, révoltée, tourna la tête, cherchant le coupable. Elle était un loup, pas un vulgaire chien apprivoisé et justement... Cette foule l'effrayait. Elle était désorientée, perdue, agressive. Elle finit par détaler, rapide et agile, se frayant un chemin parmi la foule, mordant les imprudents qui osaient la bousculer, et filant avant même que la victime imprudente n'ait vu les crocs sans pitié.
Elle abandonnait son maître. Elle n'y pensait même plus.
Quant au maître, il ne s'était pas aperçu de l'absence de son fidèle compagnon. Toujours plongé dans ses pensées, il ne cessait de marcher.
Il était à ce point distrait par ses réflexions qu'il ne se rendit même pas compte qu'une masse énorme se dirigeait vers lui distribuant gratuitement des baffes à répétition - jusqu’au moment où cette masse essaya de lui mettre une baffe, à lui ! Sortant de sa rêverie, il bloqua le poing gigantesque par réflexe, et décocha par un coup qui aurait dû être une droite, (histoire de casser le nez à ce qui aurait dû être un homme de taille moyenne) mais la chose qui se tenait face à lui faisait peut-être deux mètres cinquante de haut – le coup n’eut aucun effet.
« Ça pas crevette ! Guurk bagarre ! Waaaargh ! » vociféra soudain la créature – un hybride ? – tout en se mettant en position de combat.
La foule s’écarta pour former un cercle autour d’eux.
Les paroles que géant avait grognées étaient d’une absurdité telle qu’elles avaient laissé Lowell perplexe. Cependant, après un moment de flottement, il se rendit compte de la situation, pour ainsi dire délicate, dans laquelle il se trouvait : un mur de spectateur, autour de lui, avait les yeux rivés sur ce qui semblait vouloir se transformer en une sorte de boucherie publique : la victime serait surement le grand maigrichon, et le boucher, le gros tas de muscles. Il était pris au piège. On l'avait jeté dans la fosse d’un lion... Ou plutôt la fosse d'un éléphant très agressif – quoique même le pire des animaux ne méritât pas qu’on le compare à une machine aussi stupide. (Pensant aux animaux, il réalisa soudain que Louve avait disparu).
Il eut la soudaine envie d’avoir cette extraordinaire capacité qu'ont certains mages de se téléporter. Son goût pour le combat n’allait pas jusqu’au masochisme. Mais il n'y avait pas d'échappatoire : à contre cœur, il se mit en position de combat. « Allez, mon vieux... Sois rapide, fluide, agile, précis... et peut être que tu t'en sortiras vivant. »
Le combat s’engagea. Lowell commença par esquiver, esquiver et esquiver encore. Mr Muscle n'avait pas grand chose dans la cervelle et se contentait de brasser de l'air avec ses poings énormes, trop lourd et trop lents. « S’il a un seul point faible » pensa Lowell en observant son adversaire tout en esquivant les coups « c’est la tête, la nuque… » Mais l’ogre (oui, pour Lowell il ne pouvait qu'être un ogre ou un troll) rugit soudain en contractant tous ses muscles, et se mit à frapper les gens autour de lui : le combat n’avait plus rien de réglementaire, ce n’était plus seulement Lowell qui était menacé, mais tous les passants ! Il fallait arrêter ce monstre à tout prix !
Profitant de la distraction du géant qui s’attaquait à d’autres victimes, Lowell en profita pour sauter sur son dos, puis porta un coup, le plus fort qu’il put, sur la nuque du colosse…
Mais encore une fois le coup n'eut aucun effet, si ce n'est de retourner l'attention sur lui. Le trappeur se dégagea rapidement, et couru vers un endroit où il y aurait moins de monde, espérant que l’autre le suive… Bingo.
« Holy shit... un élémentaire de Terre... » souffla Lowell avec horreur. Par dessus son épaule, il voyait surgir au hasard des pieux de terre, apparaissant en résonance aux coups du monstre et empalant certaines personnes qui avaient eu le malheur de se trouver là. « Non ... merde non !! »
La peur le submergea, et avec elle l’idée angoissante que ce déluge de violence n’avait été provoqué par personne d'autre que lui ! « L'arrêter !! L'arrêter à tout prix !! »
Il reçut un violent coup dans le dos qui le projeta à terre, il se releva immédiatement pour reprendre sa course pour éloigner le colosse de la foule, mais un violent coup de poing s'abattit à l’arrière de sa tête, l’envoyant valser deux mètres plus loin.
La bête était ravie, succombant à l'exquis goût de la violence à l'état brut, riant à pleine gorge... Il fallait l'abattre. Lowell sortit son winchester, chargea et visa la tête.
Blam ! La balle transperça l’épaule. Mais soudain Lowell se sentit soulevé puis projeté et enfin... Plus rien.
Chapitre 2 : La pirateUne jeune femme retira sa botte, et la projeta violement sur l’énorme masse de muscles qui lui tournait le dos. Le géant se tourna lentement après avoir tâté sa nuque comme pour écraser un moustique.
« Guurk ! T’en vas cesser de faire l’Jacques !!? » cria la rousse.
Johanne Clark, pirate de son État, s’était planté sous le nez du semi-hybride, les sourcils froncés et la moue colérique, comme à son habitude. Elle se pencha pour remettre sa chaussure et jeta un coup d’œil au type que Guurk venait d’éclater comme une grosse blatte sur le mur. Entre trente et quarante balais, plutôt bien portant, qui schelinguait l’alcool et le tabac. Vêtement sale mais de bonne facture, arme de qualité. Elle se redressa et balança un grand coup de pied dans le tibia du géant qui ne sentit rien, comme toujours.
« Qu’est-ce tu faisons encore, toi ! Ça pas crevette !! Jt’avons déjà dit de point molester ces trouphions qu’après on a les cipaux au cul! Tudieu… »
« Jo pas crier…Guurk grosse colère… »
« Grosse colère !!? Je vais t’en mestre une colère, par le trident de Neptune ! »
«Deux foutrailles d’heures que j’te cherchions ! Dévevré! Arrête de trouiller charogne! Ramasse l’aut’ gueuse on l’ramène au capitaine, on l’estrille et on l’fout par le bord…mais pas là, la flicaille arrive. »
La pirate se faufila dans une ruelle qui descendait vers les docks, suivie par le géant portant l’homme évanouit sur l’une de ses immenses épaules. En route vers l’estafette du capitaine Velazquez.
*
Vide.
Néant.
Juste une sensation de toujours tomber, indéfiniment... Pas de colère, pas de haine, pas de rancune. Vide. Pas de nom, pas d'identité, pas de foyé, personne d'autre... Personne. Juste cette chute et rien d'autre. Sensation d'apesanteur. Puis....
La sensation d'apesanteur cessa, laissa place à tout le poids de son corps, meurtri, impossible à bouger. Il était étrangement allongé sur un matelas, dans une atmosphère agréablement tiède et... Il était torse nu ? Il sentait sa main gauche, se balançant de tous les côtés, en lévitation ? Non, quelqu'un s'amusait à examiner, inspecter, retourner sa main inerte.
Sa main gauche... Quelle absurdité. Pourquoi cette personne s'acharnait-elle sur cette pauvre main ?
.....
Main gauche...
Pouce, index, majeur, annulaire........Annulaire ! Alliance !
Tout lui revint d'un éclair et il sursauta, se redressant d'un coup. Il se trouva alors nez à nez avec une femme rousse, penchée sur lui, qui tenait sa main gauche d'une main, un couteau de l'autre.
Lowell arracha violemment sa main de l'étreinte de la femme, reculant sur le matelas le plus vite possible : se trouver vite hors de porter de la lame. Mais il avait trop reculé : se retrouvant désormais au bout du matelas, il bascula en arrière et tomba lourdement sur un plancher de bois dans un grand bruit. N'ayant pas le temps de plaindre de la douleur cuisante que lui procura cette chute, Lowell roula sur le côté, attrapa le fusil qui se trouvait à sa portée, puis le dirigea rapidement vers la femme.
Celle-ci pestait une série de mots incompréhensibles. Il accentua la menace de ce fusil, qui apparemment n'était pas le sien. Il lança des regards rapides à l'ensemble de la pièce : une sorte de petite cabine en bois, remplie d’objets disparates. Il localisa la porte, sa chemise, son manteau et son chapeau. Sans cesser de la menacer de son fusil, il la contourna, prit ses affaires, puis sortit de la pièce et claqua la porte derrière lui…pour se retrouver sur le pont d’un bateau.
Son cœur fit un bond quand il vit le géant qui l’avait assommé debout à la proue – mais le monstre ne l’avait pas vu, et avant qu’un quelconque membre de l’équipage ne le repère, il sauta par-dessus le bastingage, atterrit sur le quai, et partit en courant.
Chapitre 3 : Le mage blond Aaraon Corberyan marchait d’un bon pas dans les rues de Consortium. Il allait monter (en fraude) dans le tramway, lorsque son regard fut arrêté par une haute silhouette marronnasse, coiffée d’un chapeau typique des colons du Northland, dégageant une sombre aura colérique… Lowell. Il hésita un instant, puis abandonna le tram et fendit la foule dans la direction du trappeur
« Hey! Dude! » appela-t-il.
Mais Lowell ne sembla pas se rendre compte de sa présence, poursuivant son chemin l’air hagard. Aaraon remarqua qu’il boitait légèrement et semblait épuisé, son visage était marqué d’un large hématome. Il le rattrapa, il abattit sa main sur son épaule. Lowell fit un pas sur le côté, l’air paniqué, puis croisa le regard de jeune homme et se détendit, soupirant avec soulagement.
Ils restèrent un instant silencieux face à face, se toisant de haut en bas avec circonspection.
« Qu’est ce qui t'es arrivé gamin ? lâcha Lowell en constatant qu’Aaraon n’était pas en meilleur état physique que lui.
- Euh je…
- Ouais non rien, laisse tomber » glissa Lowell. « T'aurais pas vu Louve ? »
- Louve…non pas vu. Tu l’as paumée ou quoi ? »
Paumée, oui. Il avait paumé Louve et il s’était paumé lui-même, marchant depuis les quais de la Spiazza jusque dans les quartiers technologues où il n’avait pas réussi à retrouver l’appart’ d’Aaraon… Heureusement c’était Aaraon qui l’avait retrouvé.
Ils discutèrent un moment, debout au milieu de la foule, s’expliquant mutuellement d’où venaient leurs blessures. Aaraon avait été tabassé par des types de la mafia qui avaient menacé de brûler son appartement – visiblement ils n’appréciaient pas qu’on s’intéresse au meurtrier du SeaForce.
« Alors on fait quoi ?
- Le mieux serait de passer à l’appart prendre quelques affaires et… rejoindre une planque que j’ai à Consortium. »
*
L’immeuble était petit, d’un style art déco médiocre et d’une propreté extérieure douteuse qui laissait deviner l’état de l’intérieur. C’était donc ça, la planque. Quelques filles traînaient sur les marches du parvis, toutes visiblement de la « profession ». Sans prêter attention à leur cinéma, Aaraon passa dans le hall d’entrée et commença à gravir les marches de l’escalier de secours (comme souvent dans cette partie de la ville, les ascenseurs connaissaient quelques…difficultés), suivi de loin par Lowell.
« Hey le grand brun! Pour toi j’ferais bien un p’tit effort de tarif… »
Une grande rousse décharnée aux jarretières rapiécées se tenait à quelques centimètres de Lowell, qui n’affichait qu’un air grognon. Aaraon soupira :
« Lâche-le Amy, bitch ! On n’est pas là pour ça…
- Keep quite Black Snow…j’essaye juste de faire mon travail…
- Va l’faire ailleurs putaaain… »
La rousse lui jeta un regard haineux qui coula en œillade provocante vers Lowell, puis s’éloigna en maugréant. Les filles s’étaient maintenant regroupées à l’entrée et pestaient méchamment à l’encontre du jeune homme. Mais Aaraon n’était pas d’humeur à engager un combat avec les rombières du Consortium… Il s’enfonça rapidement dans un couloir de l'étage, suivi d’un Lowell silencieux et d’une pâleur inquiétante.
Une jeune femme en nuisette émergea d’une des portes de la coursive, franchement dépeignée, un militaire dépenaillé au bras. Elle sourit largement à la vue du jeune homme et congédia rapidement son client.
« Black Snow !
- Hey! false brunette !
- Qu’est-ce tu fais là ? »
Aaraon désigna d’un mouvement de tête le trappeur qui se tenait en retrait. La jeune femme fixa les deux hommes, puis leur indiqua d’un geste de la main la porte de son appartement. Un trois pièces sordide qui sentait l’amour pour pas cher. La prostituée referma la porte derrière eux et questionna :
« - Alors ?
- J’ai juste besoin de rester ici une nuit, lui c’est un ami, il vient de la NSR…
- Oh…jvois.
- Et des infos aussi...
- Humpf…Ouais enfin ça, depuis que Jeff est parti tsais…
- Je sais que t’as toujours les oreilles où il faut. T’as encore de la cam ? »
Elle jeta un coup d’œil suspicieux à Lowell que l’Octantin balaya d’un geste de la main, concluant laconiquement :
« - T’inquiète.
- Mouaais…Ça dépends t’veux quoi ? Pourquoi tu demandes pas à Russel ?
- Parce qu’il vend que de la merde.
- Combien… ?
- Tout cque t’as.
- Ben mon salop… »
Ils firent leur petit trafic, puis la brunette désigna une pièce dans le fond de l’appartement :
« Vous pouvez dormir dans sa chambre hein, il est sage c’t’un bon mioche qui chouine pas, ça. Pour tes infos, on voit ça demain c’est mieux quand c’est que y’a de la lumière pour réfléchir et z’avez pas l’air en forme… »
Aaraon traversa la petite chambre, ouvrit délicatement la porte de la pièce du fond. Un petit garçon était endormi sur un lit en désordre. Il sourit légèrement, puis fit signe à Lowell de le suivre et de l’aider à étaler par terre un lourd matelas plaqué contre le mur. Après quoi il posa silencieusement ses affaires dans un coin, retira sa veste, se cala sur le matelas et aligna un rail de poudre sur le dos de sa main.
Enfin.
Tandis que son compagnon s’égarait dans des images et des émotions artificielles, Lowell s’était sobrement allongé dans un coin. Il avait tout juste prit la peine d'enlever son manteau et ses bottes, et en un instant il s’endormit.
Il eut droit à quelques heures de sommeil profond et réparateur... Mais il se réveilla trop tôt. Il chercha en vain à se rendormir, puis resta à observer le plafond d'un air vague et inerte.
Puis, comme ce plafond n'avait rien de spécial, il se leva. Il avait terriblement envie d'aller fumer une clope... Et de boire. « Chacun son vice » se dit-il en traversant la pièce d'un pas silencieux, sa flasque à la main.
Il sortit sans le moindre bruit. Il lui suffisait juste de rester sur le pallier, pas la peine d'aller plus loin.
« Bah tiens qui v'là ! »
C’était la voix d'une des prostitués restée dans la cage d'escalier.
« T'as lâché Black Snow pour te payer du bon temps ? L'offre tient toujours l'grand brun ».
Lowell tourna vaguement les yeux vers la fille qui l'avait accosté à leur arrivée, et s'adossa tranquillement contre l'encadrement de la porte.
Après quelques gorgées silencieuses, il rangea sa flasque, s’alluma une cigarette, puis il fouilla dans sa poche. Il en sortit son portefeuille, vide, qu’il fit se balancer mollement.
« No money for you girl ». C’était le moyen le plus efficace de se débarrasser de la fille. « Perds pas ton temps avec moi, un gars fauché ça n'a jamais rien apporté de bon ».
La femme sourit.
« T'es un drôle de gars toi » dit-elle enfin en s'éloignant. Lowell esquissa un léger sourire en appuyant la tête contre l'encadrement de la porte. Puis il attendit patiemment que le jour se lève, et que sa vie continue vers sa fin.
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