Cinquante-six heures s’étaient écoulées depuis la déclaration de pandémie. Il avait fallu à peine une heure pour déclencher tous les dispositifs d’urgence, tous les codes rouges, toutes les alertes ‘niveau maximum’ – et autres signaux aux noms inquiétants.

Quand l’alarme avait été donnée, Ash était tranquillement dans son bureau au parlement, travaillant sur quelques dossiers. Il était en route pour aller se chercher un café quand les haut-parleurs s’étaient soudain affolés.

« Code d’alerte maximum. Une épidémie violente et extrêmement contagieuse a été détectée. Tous les bâtiments vont être sécurisés. Je répète : tous les bâtiments vont être sécurisés. »

Toutes les portes du parlement communicant avec l’extérieur s’étaient alors abaissées et s’étaient automatiquement verrouillées. Inquiets, tous les députés et fonctionnaires administratifs avaient déboulé dans l’hémicycle. Sur l’écran géant qui trônait au milieu, une figure apparut.
C’était celle d’une femme, la cinquantaine, aux courts cheveux blonds et au charisme certain. Au vu de son uniforme bardé de décorations, chacun reconnut en elle la Générale des forces armées de la Citadelle.

« Mesdames, Messieurs, dit-elle solennellement, je suis désolée de vous séquestrer ainsi sans sommation. Mais la situation est grave. Il y a quelques heures, des cas de maladie violente ont commencé à être rapportés. On parlait de patients fiévreux devenant soudain violents, voire cannibales, et semblant ne plus rien ressentir. Tout a été fait pour tenter de boucler la Citadelle, mais le virus est passé et envahit désormais nos rues. Je sais que ce que je m’apprête à vous dire vous semblera fou, mais je crois que nous avons affaire à quelque chose ressemblant à…des zombies. »

Sur ce, un subordonné arriva dans le champ de la caméra, visiblement porteur de nouvelles désastreuses. Après une brève promesse de plus amples informations, la communication fut coupée.

Il y eut un grand silence…
Puis les grandes discussions commencèrent.

Passés le premier l’étonnement et l’incrédulité, on se lança dans toutes sortes d’hypothèses : les mages contrôlaient les corps par télépathie, les alchimistes avaient enfin percé les secrets de la nécromancie à grande échelle… Mais quelques contacts avec l’extérieur leur apprirent vite que les autres castes aussi étaient touchées ; ils étaient donc tous dans le même bateau : une épidémie à grande échelle, meurtrière et créant des meurtriers.
Peut-être les prémices d'une deuxième apocalypse pour ce monde.

Ash observait les parlementaires d’un œil amusé. Finalement, la situation avait beau être inédite et ahurissante, ils se retrouvaient toujours à faire la même chose : discuter sans fin d’un problème grave, dont les conséquences étaient inimaginables, sans jamais réellement chercher à se mettre d’accord sur une solution. Au pays du débat, même quand les zombies menacent, on se défend à grands coups de verbiage ! Marc (le geek du club des 7, NDLR) aurait dit qu’une balle dans la tête vaut mieux qu’un long discours.


On avait allumé plusieurs télévisions, on pianotait sur les ordinateurs.
Les médias diffusaient en boucle des appels au calme, expliquant et ré-expliquant la situation. Le réseau internet était encore actif, avec des tchats saturés de témoignages horrifiants, et des vidéos postées dans les minutes précédentes dont on doutait que le caméraman soit encore vivant… Mais pour combien de temps tout cela fonctionnerait-il ? Comme le parlement, les studios TV étaient barricadés, mais personne n’était capable de dire combien de temps cela tiendrait. Combien de temps mettrait le virus à transpercer la carapace. Car on n’avait encore aucune idée de son mode de transmission…

Ash ferma une énième page de forum où il avait lu le témoignage d’un père de famille de Consortium. L’homme avait dû abattre ses propres enfants après les avoir vus être contaminés par le virus, mourir et revenir. C’était d’une telle violence, d’une telle absurdité, que Ash avait la sensation d’être en face d’un mauvais scénario de film d’horreur.
Mais c’était pourtant vrai. Et plus que tout, il était important de savoir comment le commun des mortels vivait tout cela. C’était le seul moyen de ne pas être complètement à côté de la plaque. Eux ils étaient là, enfermés dans leur tour d’ivoire, impuissants, contactés de temps à autre par des journalistes qui leur demandaient de faire une déclaration… Mais qu’auraient-ils pu décemment déclarer ? En réalité, la seule chose à faire était de laisser les forces armées et médicales faire leur travail. La politique n’avait plus rien à faire là-dedans…
… à moins de profiter de la situation pour se faire un nom.

« Tu vois, fils » dit Trevor, interrompant ses pensées, « c’est dans un moment comme celui-ci que l’on va voir qui sont les braves, et qui sont les lâches. »

Ash sourit. Pour une fois, il était entièrement d’accord.

4h auparavant, Institute District, "CEO" de SWIRL, Bureau de Seth


Tout allait très vite, trop vite. En l’espace de 20 minutes le réseau de RH avait été saturé d’images, de vidéos et de témoignages délirants et alarmistes. Rien à la TV, rien à la radio…Et rien sur les sites officiels. Le silence complet.
Seth ferma une série de fenêtres de code et lança la vidéo que Zaphar68 d’Emporion venait de balancer sur le moodle. Le même genre de vidéo, encore, montrant le bordel monstre dans un hôpital de la Citadelle-sud : des gens à l’agonie dans tous les coins, des militaires tirant dans le tas, et ces choses carrément speed qui ressemblaient à des zombies sous amphétamines.

Il jeta un coup d’œil à l’heure d’expédition, 4h45. Un peu plus de dix minutes s’étaient écoulées. Il passa sur le site officiel du ministère de la santé (dont le serveur ramait considérablement, pitoyable)…Aucune maj depuis le message annonçant que la contamination était déclarée sous contrôle à Emporion. Message daté du même jour, 3 heures auparavant.

« L’Eucy inonde le réseau de messages apocalyptiques, la Nouvelle Thulée est juste morte depuis hier…Heureusement que la contamination est « sous contrôle », on est vraiment infiniment plus malin que les autres. »

Il s’adossa à sa chaise de bureau, le regard rivé sur la vidéo de Zaphar68, et murmura :
« Quel con…Mais quel con ! »

Il se leva d’un bon, attrapant son Cellphone, et appela Calypso. Pas de réponse, quatre appels successifs, néant. Ash, pas de réponse. Vassili …Hors réseau ? Bordel, c’était juste pas le jour.
Vite. Sac, matériel informatique de base…argent liquide, le plus possible. Des vêtements, des médocs… ouais bon, c’était toujours rassurant. Vider ce qu’il restait de consommable dans les placards. Et surtout… retrouver le Beretta et ses recharges, choper le taser et…
Il passa dans le couloir, ouvrit d’un coup de pied la porte du bureau de Marc qui faisait face au sien.

« Bouge ton cul, on se tire d’ici !
- Euh quoi ?
- On se tire. Il est où Daniel ?
- Parti pisser. Mais mec t’as pris quoi ? Tu veux faire quoi là !?
- Tu l’as reçu aussi, le mail.
- Ouais mais…
- Ok, reste planté là comme un con. T’as raison. Je vais chercher Calypso. »

Calypso crut entendre son cellphone sonner à plusieurs reprises : mais c'était impossible. Même les téléphones fixes n'existent pas en Thermidor, le pays des elfes verts à poids rouges. Ici, évidemment, on communiquait par signaux de fumée car ils étaient invisibles pour les nains rayés, terrés dans leurs grottes !

Comme souvent, Calypso rêvait de MMO imaginaires et de battlefields colorés. Il lui arrivait aussi de rêver qu'elle dégommait des zombies, mais pas cette nuit-là...qui eut pourtant été appropriée. Car dehors, pendant qu'elle rêvait tranquillement, le monde entier s'écroulait sous une épidémie sans précédent. On pensait l'avoir endiguée, mais au petit jour, vers 3 ou 4h du matin, elle avait terrassé Empôrion et se préparait désormais à atteindre Range Harbor...

Pendant ce temps Calypso, incarnant un avatar qui ressemblait curieusement à l'elfe noire qu'elle avait rencontrée quelques jours auparavant, continuait de se battre dans son sommeil. Son adversaire était à présent un personnage aux cheveux jaunes dressés sur la tête dont le « ka-méa-méaaaa » tranchait curieusement avec l'ambiance médiévale du jeu – créant cet effet de décalage léger, et cependant accepté, que l'on ressent dans les rêves.
Elle ne se doutait pas que la réalité était en train – une fois de plus à Blend Awake – de dépasser la fiction.

BLAM ! BLAM ! BLAM !

Calypso se réveilla en sursaut. Cette fois, le bruit était bien réel, ce n'était pas une vague sonnerie de cellphone oublié trois pièces plus loin. C'était bel et bien quelqu'un qui frappait énergiquement à la porte.

BLAM ! BLAM ! BLAM !

Elle sauta du lit, s'enroulant dans sa couverture pour ne pas avoir froid, et traversa l'appartement. Par l’œil de bœuf, elle vit Seth. Au passage elle avait vu l'heure sur le four, 05:37. Sans trop essayer de comprendre ce qu'il pouvait foutre là à une heure pareille (son cerveau était bien trop embrumé), elle ouvrit la porte.

Il avait l'air sobre...
...quoiqu'un peu parano.

Il entra, fermant la porte derrière lui.

«  Tu dormais ?
- Euh... à cette heure-ci, vraisemblablement, oui.
- Donc t'as rien vu sur le net ? »

Ce disant il la poussait vers sa chambre : « Habille-toi. »

«Qu'est-ce que j'aurais dû voir …?
- Ok ça va te paraître dingue mais y'a une sorte de... d'attaque de zombies. »

Elle avait commencé à enfiler des vêtements, et bloqua net.

« T'avais pas dit que t'arrêtais la drogue?
- Merde déconne pas ! On te montrera les vidéos dans la voiture, mais jte jure, y'a une putain d'épidémie alors grouilles. Daniel et Marc nous attendent en bas. »

C'était complètement dingue. Marc, Daniel et Seth avaient dû avaler un champignon hallucinogène, il n'y avait pas d'autre explication. Et pourtant, Seth avait son air des situations véritablement graves. Cet air anxieux et terriblement concentré, comme quand un problème de maths lui résistait. Et il était en train de vider la pharmacie dans son sac à dos.

« Zack est pas là ? demanda-t-il. J'ai pas réussi à le joindre.
- Il doit être chez Aaraon...
- Sur les Docks ? Merde ils vont être les premiers touchés... »

Calypso sentit son estomac se nouer. Si tout ça était vrai – et non, Seth ne pouvait pas être en train de lui faire une si mauvaise blague – alors il fallait se bouger. Elle finit de passer un pull, glissa ses pieds dans ses chaussures, et fourra dans un sac toutes les affaires qui passèrent à sa portée (dont son netbook, élément évidemment primordial d'un survival geek). Puis il filèrent.

Dans la voiture attendaient Daniel, Marc... et une vieille. « C'est la grand-mère de Marc, » expliqua Seth. Évidemment...la grand-mère... La voiture démarra au quart de tour sous la conduite de Seth.

« On va où ? demanda Calypso.
- A Consortium, chercher des armes. Essaye d'appeler Zack pour qu'il nous y rejoigne. »

Pendant ce temps, Marc sortait sa tablette numérique pour montrer à Calypso les vidéos de Zaphar68 et d'autres...

L'aube éclaircissait à peine le ciel, mais on sentait déjà commencer une nouvelle ère.

Zack dormait profondément. Il avait passé la soirée avec Aaraon, à filmer des stupidités à base de BN parlants et de fourchettes tueuses, et à monter ces inepties en petits films dignes des pires memes de youtube. Il se réveilla aux environs de 6h, avec l’étrange impression qu’il venait d’entendre un cochon se faire égorger.

Aaraon aussi avait été réveillé par le bruit, et ouvrait déjà les volets pour voir ce qui se tramait dehors.

« C’est quoi ? demanda Zack alors que deux coups de feu retentissaient.
- Dunno… Des mecs qui se mettent sur la gueule je suppose ? »

Zack se pencha à son tour par la fenêtre du 5e étage. On voyait en effet six ou sept gars, dont certains se jetaient sur leurs adversaires tandis que les autres ripostaient à coup de fusil. Un genre de règlement de compte… ? Mais bizarrement, ceux qui n’étaient pas armés semblaient prendre le dessus et…-

« Merde, JL ! » s’écria Aaraon.

En effet, l’une des silhouettes ressemblait étrangement au jeune ouvrier, qui n’était plus dans l’appartement. Il avait jailli d’un coin où il s’était caché, et était poursuivi par l’un de ces types agressifs qui semblaient vouloir bouffer tout le monde. Sans demander son reste, il se jeta dans la cage d’escalier de l’immeuble. Zack se précipita vers la porte pour lui ouvrir quand il atteindrait le palier.

Un instant plus tard (après avoir vraisemblablement battu le record de vitesse de montée des escaliers) JL déboulait dans l’appartement, et Zack referma prestement la porte derrière lui – à double tour avec chaînette, verrou et tout le tintouin, au cas où son agresseur l’aurait suivi.

« Holy shit Lawrence ! What the hell’s happening ?

- C’est des… commença JL en reprenant son souffle. Des sortes de… de monstres. Je sais pas. J’étais parti au boulot plus tôt pour finir un truc et… J’me suis retrouvé coincé entre ces mecs. On leur tire dessus ça leur fait rien – à part si on vise la tête qu’on m’a dit. Ch’ais pas quel genre de bestiole c’est, mais putain quand ça attaque c’est…

- Okay come down…

- Ça ressemblerait pas à des zombies, ton truc… ? fit Zack sans croire lui-même à ce qu’il était en train de dire.

- Euh... euh ouais… ouais un peu comme dans ce film que tu nous avais montré une fois… c'est… »

JL était encore sous le choc.
Ils se penchèrent tous les trois par la fenêtre.

« Y’a des gars du quartier qui essayent de les tuer, continua JL. On peut pas leur parler, ils sont pas humains pour sûr. Et c’est pas que des hommes. Un des gars m’a dit qu’il venait de tuer sa femme parce qu’elle était devenue un de ces monstres… »

Zack avait vraiment la fâcheuse impression de regarder un film. Un très mauvais film qui serait cadré uniquement en plongée, depuis ce point de vue surplombant que leur offrait l’appartement. Ni son cerveau ni son cœur ne réussissaient à s’inquiéter, à prendre la menace au sérieux. Pourtant, si on avait vraiment affaire à une épidémie zombie – tout était possible avec la magie et l’alchimie – alors ce n’était qu’une question de temps avant que les rues ne deviennent encore plus infestées qu’elles ne l’étaient déjà. Il fallait donc agir vite.

Ça tombait bien, Aaraon était déjà en train de réunir armes et munitions pour dégommer du mort-vivant. Zack, lui, dégaina son cellphone… batterie vide. Et merde ! Fichues vidéos qui bouffent toute la puissance. Heureusement il avait son chargeur, mais il faudrait attendre que l'appareil se recharge un peu avant de déguerpir.

Branchant son portable, il l’alluma immédiatement.
Code PIN, initialisation... tout cela lui sembla immensément long. Enfin, l'appareil afficha les derniers événements.

Seth : 2 appels manqués. Calypso : 4 appels manqués.
Plus un SMS parlant de zombies et de Consortium... Au moins, ils étaient au courant.

Il rappela Calypso.
Une sonnerie…
Deux sonneries…