Suite de Evening Wear


Une certaine agitation régnait autour du QG de la police : des flics entraient, sortaient, des camions démarraient pour acheminer des équipes. Tout autour du bâtiment, des droïdes armés étaient disposés à intervalles réguliers. Ash ordonna à son chauffeur d’aller se garer un peu plus loin, puis il montra son accréditation aux types de la sécurité et pénétra par une grande porte pivotante au sein du Département d’Enquête du 3e district.

Le hall lui aussi était en effervescence. À l’accueil, Ash demanda à voir l’inspecteur Fylson et on lui indiqua le bureau A408 au cinquième étage. Par l’escalier, évidemment. Ash grimpa les marches sans broncher, et trouva sans difficulté le bureau.

Fylson était débout, entouré de paperasses diverses et d’écrans holographiques. Il avalait un sandwich tout en faisant défiler des informations rétro éclairées. Voyant Ash entrer, il appuya immédiatement sur le bouton de son émetteur holographique qui ‘avala’ toutes les images et les textes, laissant l’air vide.

« Monsieur le Maire… salua-t-il avec une pointe de méfiance.
- Inspecteur Fylson, répondit posément Ash avec un sourire de convenance.
- Je m’excuse, mon assistante m’a prévenu que vous aviez essayé de me joindre…mais j’étais débordé.
- Oui, je m’en doutais. C’est bien pour ça que je suis venu en personne ! »

Fylson grimaça.

« Vous voulez un débriefing je suppose ?
- Quoi d’autre ?
- Certes, vous y avez droit, après tout… Mais vous devez savoir que je ne peux pas tout vous dire, n’est-ce pas ? » ajouta-t-il avec une pointe de satisfaction.

Ash eut un sourire et sortit son cellphone.
Sous l’œil suspicieux de Fylson, il appuya son pouce sur l’icône représentant l’autorisation d’accès niveau 6, qui s’afficha alors en grand sur l’écran, puis tendit l’appareil à son interlocuteur. Fronçant les sourcils, l’inspecteur se saisit du cellphone et, voyant ce qui s’y affichait, secoua la tête en une moue désapprobatrice. Puis il zooma en écartant les doigts sur l’écran, et descendit jusqu’en bas du document en le faisant glisser. Là figurait un code barre circulaire. Fylson dégaina de sa ceinture un petit appareil qui émettait une lumière rouge, le braqua sur le code barre et scanna. La lumière rouge clignota en vert et émit un petit bip joyeux.
Fylson releva la tête vers Ash tout en lui rendant son cellphone.

« Accès autorisé… déclara-t-il à contrecœur. Puis il posa les deux mains sur la table et fixa Ash dans les yeux : Vous savez quoi, O’Graham ? Déjà le jour où vous avez débarqué, je vous sentais pas. Le genre jeune premier sourire colgate c’est pas mon style. Mais là, qu’on se le dise franchement, je peux plus vous blairer. Vous êtes juste pire qu’un fouille-merde de journaliste. »

Ash avait soutenu son regard, qu’il détourna pour dire : « Je comprends votre point de vue… » Avant de le regarder à nouveau : « J’en suis désolé. »

Fylson lui lança un regard dégoûté, puis tendit la main vers son émetteur à hologrammes et le réenclencha. Les écrans translucides réapparurent immédiatement, projetant photos et vidéos, rapports et témoignages. Le flic soupira en se laissant tomber dans son fauteuil et annonça :

« Bon, voilà ce qu’on a. »

Fylson avait commencé par aligner sans se presser des informations basiques et inintéressantes mais Ash, soucieux de ne pas attiser son hostilité, l’avait écouté patiemment.
Au fond, rien de surprenant dans le discours du flic : la vidéo trouvable sur le net, ainsi que Ash l’avait soupçonné, émanait d’un androïde qui était actuellement en cours de rapatriement par une équipe chargée de le confier au laboratoire technologique ; les blessés avaient été rapidement acheminés à l’hôpital des Échos, qui par chance était tout proche, tandis qu’on évacuait les corps vers diverses morgues où ils attendraient d’être identifiés ; pour finir, toutes les personnes trouvées en bon état dans le périmètre avaient été interpellées.

« Les contrôles d’identité sont en cours, conclut Fylson. Mais le suspect de la vidéo n’est pas parmi eux. On le recherche.
- Donc vous vous intéressez à lui en particulier. Pourquoi les médias n’en parlent-ils pas ? »

On commençait à approcher du cœur du problème. Fylson eut une moue désabusée.

« Lisez ça, » lâcha-t-il en faisant surgir un document sur l’écran.

Puis il fit pivoter l’émetteur d’hologrammes pour que Ash puisse lire sans avoir besoin de venir de son côté du bureau – il ne pouvait vraiment pas le blairer. Ash se pencha sur le document. Les données s’affichaient en bleu sur un fond translucide :

Citation :

SITUATION D'UGENCE
- GPS (49 ° 32 ′ 78 ″ - 189° 56 ′ 00 ″) Holsten Street
- 20 à 30 morts
- 45 à 60 blessés
- prévoir cellule psychologique

Suspect :
- Mage thaumaturge (télépathie et télékinésie puissante)
- Extrêmement dangereux
- 1,78m
- 50 à 60kg
- blond
- (voir photos et vidéo)

« C’est ce que le droïde a balancé à tous les serveurs de Police avant de crasher. Évidemment on s’est dépêchés de réduire l’accès à la 2e partie du message…
- Parce que ça risquerait de créer des mouvements anti-mages ? » proposa Ash en songeant aux condamnations péremptoires de son père.

Fylson ricana.

« Tout ça est bien plus complexe, gamin. On pense que le gars d’Holsten Street est aussi le gars du SeaForce. Vous voyez le topo ? C’est pour ça qu’on laisse la presse baratiner : un attentat ça frappe une fois, c’est symbolique, ça fait toujours moins peur qu’un tueur fou psychopathe récidiviste capable d’assassiner en masse. »

L’inspecteur tourna à nouveau l’émetteur d’hologrammes vers lui, l’air songeur.

« Vous imaginez la panique, si le public apprend qu’un type comme ça est lâché dans la Citadelle ! À Consortium les gens ont l’habitude de mourir. Ici ils se croient éternels, ils ont peur pour leur peau. S’ils pouvaient, ils feraient un procès à la Faucheuse en personne pour menace de mort et intimidation ! Putain de ville…, lâcha-t-il en secouant la tête. Enfin ! Peu importe. Tout ça pour dire que votre niveau 6 n’est valable que pour vous, ok ? Cette affaire est tout sauf une blague… ou un joujou pour apprenti politicien, railla-t-il.
- J’en ai bien conscience, ne vous inquiétez pas, assura Ash en ignorant la provocation. Par ailleurs je me demandais… quid de la femme en fauteuil roulant ?
- Impossible à identifier au vu du degré de combustion… et si elle avait des papiers sur elle ils ont brûlé aussi. On attend de voir ce que va nous dire le droïde à son sujet.
- Je vois… Autre chose que je devrais savoir ? »

Fylson leva les yeux vers le maire, le jaugea avec dédain, les baissa à nouveau pour fixer ses écrans.

« Rien. »

Ash laissa passer un silence.

« Soyons honnêtes, Fylson. Nous savons tous les deux que vous me cachez quelque chose. Et j’ai le niveau d’accréditation maximum… »

Le flic se tourna vers lui avec un sourire satisfait :

« …qui vous donne accès à tous les documents écrits, certes. Mais les informations qui se trouvent dans ma tête, les bruits que j’ai entendus ou les choses que je soupçonne, tout ça, vous n’y avez pas accès. À présent dégagez de mon bureau, j’ai du travail. » termina-t-il en se levant, manière de signifier qu’il chassait l’intrus.

Ash ravala son orgueil, pourtant blessé, puis sortit en remerciant cordialement son hôte et en promettant de revenir aux nouvelles le lendemain. Le flic grogna son mécontentement et le chassa de plus belle.

En quittant le bureau de Fylson, Ash en savait beaucoup plus qu’en entrant. Cependant il était frustré. En guise de vengeance, il décida d’utiliser son accréditation pour jeter un coup d’œil à tous les recoins du Département d’Enquête… à commencer par la zone de détention provisoire, ça pouvait être amusant.

Le courant était-il revenu ? Le couloir que Ash traversait était étonnamment éclairé par des plafonniers garnis de néons à la lumière crue. À son interrogation, un gardien répondit que la zone de détention était pourvue d’un groupe électrogène indépendant. « Vous imaginez, les verrous des cellules sont électroniques alors si jamais ça pète ! » Le jeune Maire avait hoché la tête d’un air compréhensif, puis avait poursuivi son chemin non sans que le garde ait scanné son accréditation avec une application toute professionnelle avant d’ajouter : « Ils sont au fond à gauche, » à propos des détenus d’Holsten Street.

Ash était donc engagé dans ce profond couloir, le long duquel s’égrenaient des cellules. De petites fenêtres étaient ménagées dans les portes. En voulant y jeter un coup d’œil, Ash croisa le regard patibulaire d’un prisonnier d’aspect menaçant. Il détourna la tête. Des flics allaient et venaient, ne lui prêtant aucune attention, occupés à leurs enquêtes, rapports, dossiers. Il se sentit presque mal à l’aise, à marcher ainsi pour aller voir des détenus par pure curiosité, soif de savoir. Il n’était pas à sa place – Fylson n’avait pas tort. Depuis quelques mois son quotidien se déroulait entre la Mairie où pullulait le personnel administratif, son appartement où Mélissa s’avérait une compagne supportable, et les soirées mondaines où frayaient tous les politicards du milieu. En bref, songea-t-il, cela faisait des mois qu’il se trouvait toujours exactement là où on l’attendait, là où il se devait d’être. Des mois qu’il ne s’était pas retrouvé, comme ici, en décalage.

Soudain, comme dans un flash, il fut envahi d’une sensation de chaleur et d’excitation mêlée de lumières sombres, puis l’image trouble d’Alexia, son cou, ses hanches, remplit son esprit comme une vague et se retira. C’était le souvenir de la première fois qu’il l’avait vue, ce fameux soir où il avait basculé vers une phase sombre… après des mois passés à jouer le rôle de l’élève modèle – comme aujourd’hui il jouait celui du gentil Maire. Sa position décalée au milieu de ces flics et de ces criminels lui rappela alors l’étrange discordance qui avait régné entre lui et la bande de Seth au début. Le sentiment de ne pas appartenir, d’être autre, d’être trop clean. Et en même temps l’envie d’accéder à un monde différent, moins verbeux, plus réel. Il comprit alors que son désir de plonger les mains aux tréfonds de cette enquête sordide était du même ordre que celui qui, jadis, l’avait poussé à s’absorber sans pudeur dans le monde de la nuit. Il eut un sourire et tourna à gauche.

L’espace de détention provisoire était une sorte de grand box fermé par une vitre sans teint. Une vingtaine de personnes attendaient dedans, assises sur un banc qui faisait le tour des quatre murs. Un gardien debout dans la salle s’assurait qu’aucun mot n’était échangé entre les détenus. « Les contrôles d’identité sont en cours, » avait dit Fylson.

Ash observa les prisonniers temporaires. Ils avaient tous l’air à peu près quelconque – à part peut-être un grand type brun en costume avec une attèle au genou. Mais la plupart étaient certainement des cybercitoyens lambda qui s’étaient simplement trouvés au mauvais endroit au mauvais moment. Dans quelques heures ils seraient rentrés chez eux…

Comme pour confirmer les suppositions de Ash, une policière (au physique soit dit en passant agréable) sortit d’un bureau voisin en compagnie d’une femme qui s’était probablement trouvée dans la cellule collective quelques minutes plus tôt.

« Tout est en ordre, confirma la jolie flic à la femme en lui donnant des papiers avec un sourire rassurant. Remettez le formulaire de sortie à mes collègues en sortant. »

La femme s’éloigna et la flic alla toquer à la porte du box : « Au suivant ! » cria-t-elle, tout en jetant à Ash un regard mauvais. Il détourna les yeux et sourit pour lui-même : il était bien conscient qu’il l’avait regardée d’un peu trop près et qu’il était, en plus, l’un de ces politiciens en col blanc que méprisent les gens de terrain.

Le prochain détenu à se faire contrôler était justement l’homme que Ash avait remarqué : le brun avec une attèle, un gars de grande stature, mal rasé, les cheveux en bataille, qui s’avança hors du box en claudiquant et en maugréant. La flic voulu l’attraper par le bras mais il la repoussa sans ménagement en pestant :

« Holy shit mais lâchez-moi ! Bordel ! »

La geôlière, très calme, lui indiqua son bureau :

« Monsieur, si vous voulez bien. Nous allons procéder au contrôle de votre identification. »

Le grand néothulian maugréa encore une fois pour la forme en regardant la blonde, puis la précéda sans plus protester. Ash regarda la porte se refermer : il était curieux de voir ce qui allait ressortir de l’entretien.

En attendant que la fliquette en ait terminé avec le grand brun, il se mit à scruter les autres ‘prisonniers’, cherchant chez eux un signe, un indice.
Mais personne ne lui paraissait plus douteux que le néothulian qu’il venait de voir passer. Il ressemblait à tout sauf à un cybercitoyen : son accent à couper au couteau, son attitude de vieux loup de mer farouche, et puis, surtout, son malaise visible à se mouvoir dans un costard Séraphique trop serré. Ce dernier détail avait tout de suite frappé Ash, pour qui l’art de porter un costume avec classe n’avait plus de secrets. Pour lui c’était évident : le grand brun n’était pas un habitué du trois-pièces ou des cravates. Ce qui voulait dire qu’en plus d’être étranger et mal élevé, il portait un déguisement. Le suspect idéal.

La porte du bureau se rouvrit brusquement, laissant apparaître le néothulian et la flic. Lui était énervé :

« Calmez-vous monsieur Marvin ! Je vois bien que ce Pass est en règles mais c’est un Pass temporaire, vous comprenez ? Vous n’êtes PAS citoyen ! Alors vous restez en garde à vue. »

Mais le dit Marvin n’en démordait pas. Ash s’écarta de la scène tandis que le néothulian donnait un grand coup de pied dans la porte :

« Bloody fucking shit! Don’t you understand that the BASTARD you’re looking for, the mother fucker bloody KILLER is OUTSIDE your fucking walls!!?! »

Et il ponctua son affirmation d’un grand coup de poing dans le mur. En moins d’une seconde les gardes de la sécurité furent sur lui, le maitrisèrent, et lui expliquèrent tranquillement qu’ils allaient l’emmener en cellule d’isolement.

Ash resta seul avec la flic, dont le calme toujours olympien le surprit. Il avait bien cru pendant une seconde que c’était elle, et non le mur, que Marvin allait frapper.

« Il sait quelque chose ? demanda Ash.
- Putain mais vous êtes qui vous au juste ? s'agaça-t-elle en se tournant soudain vers lui.
- Le Maire du district, fit calmement Ash en lui sortant son accréditation niveau 6.

Elle soupira, comme pour signifier qu’elle était blasée du système qui accordait des autorisations à n’importe qui, puis haussa les épaules :

- Il a vu le suspect de la vidéo, il prétend que c’est lui qui lui a pété le genou. Citoyen de la NSR, en séjour ‘touristique’… Retrouvé en compagnie de la Capitaine de Frégate Ève Sinner, qu’on interroge là-bas, » conclut la jeune femme en pointant un couloir. « Sur ce excusez-moi ‘Monsieur le Maire’, mais j’ai du travail. »

Et elle alla de nouveau toquer à la porte du box en criant : « Au suivant ! »


(ce qui débouche, le lendemain,sur Lowell et Seth : >Zone de détention provisoire< )

suite de >Evening Wear (part2)<


Quand je voulus entrer dans le bureau de Fylson, il en sortait furieux et me bouscula au passage.

« Putain mais vous êtes encore là vous ?! »

Je lui offris mon plus beau sourire en guise de réponse et se tourna en soupirant vers sa secrétaire.

« C’est quoi encore ce bordel au labo ! Il est où l’abruti de scientifique que je voulais qu’on m’envoie dans mon bureau ?
- Greg se remet doucement du coup de taser qu’il a reçu, monsieur.
- Faut dire, vu sa masse de graisse ça conduit l’électricité ! Et les vidéos de surveillance, elles sont où ces putains de vidéos ?! »

À cet instant la jolie flic de la veille débarqua dans la pièce et remit une clé numérique à Fylson.

« Tout est là monsieur. Les systèmes ont été hackés en grande partie mais on a la vidéo dans le labo.
- C’est pas trop tôt. »

Fylson prit lui prit clé des mains et repartit dans son bureau. Je le suivis, non sans avoir échangé un regard avec la flic qui semblait n’avoir toujours pas appris à apprécier ma compagnie. Tant pis, c’était drôle ainsi. Je fermai la porte derrière moi et Fylson se laissa tomber dans son fauteuil en me jetant un regard consterné.

« Vous n’allez vraiment pas me lâcher ?
- Qu’est-ce qu’il s’est passé au labo ? »

Aussitôt la question posée, je le sentis se replonger dans son affaire et, tout en insérant la clé dans son ordinateur, il se mit à expliquer :

« Il y a 10 minutes on a retrouvé le scientifique chargé de s’occuper de l’androïde : il était inconscient sous une table, et le droïde avait disparu. Personne n’a rien vu. Ça s’est passé vers midi tout au plus. Cette affaire sent de plus en plus mauvais. »

Il leva soudain les yeux vers moi.

« Pourquoi vous vous intéressez à tout ça ? À part pour m’emmerder je veux dire.
- Disons que… je suis préoccupé du bien-être de mes concitoyens ? proposai-je.
- Mouais ? marmonna Fylson d’un air peu convaincu.

Je soupirai.

- En réalité, j’aime à croire que je suis un homme d’action, mais je m’ennuie comme un rat mort dans mon bureau rempli de paperasses, » lâchai-je très sincèrement.

Le commissaire éclata de rire.

« Là, voyez-vous, je vous trouve plus plausible ! Allez, voyons cette vidéo. »

Souriant d’avoir enfin (peut-être) gagné un peu de la confiance de Fylson, je passai derrière son bureau pour regarder avec lui la vidéo qui se lançait sur son écran holographique. Nous allions voir qui était responsable de la disparition du robot.

La suite me laissa pour le moins déconcerté.

Le début de la vidéo n’avait rien d’étonnant. On y voyait un laboratoire rempli de matériel technologique, un robot (le fameux robot) disposé en pièces détachées sur une sorte de table d’opération, et un scientifique barbu affligé d’embonpoint qui, après quelques bidouillages de machines, sortit de la pièce par la porte du fond.

Il y eut ensuite un temps de latence. Le silence, l’immobilité. Puis, subtilement, une silhouette se glissa dans la salle, se coulant d’abord dans l’ombre des murs, s’avançant ensuite précautionneusement dans la lumière qui éclairait le robot, et commença à en rassembler les principaux morceaux. C’était un homme encapuchonné, et Ash tiqua à la vue du sweet informe enfilé sur cette haute stature. Cela lui rappelait quelque chose… Puis l’homme tourna brièvement la tête du côté de la caméra, juste assez pour qu’on voie son visage avant qu’il ne transpose l’androïde sur une table roulante.

Oh le con… Seth. C’était Seth. Putain de bordel de merde Seth, qu’est-ce que tu foutais là ?!

Ash ne regarda pas la suite de la vidéo du même œil. Abasourdi, il songeait déjà à la foule de conséquence invraisemblables qui allaient découler de la connerie de son pote-de-fac-presque-beau-frère, aux questions qu’il allait devoir affronter, lui le Maire, mais aussi Calypso, et surtout Seth lui-même, mis face à ses actes par l’État et la tutelle, qui ne lui avaient toujours pas lâché les basques depuis l’université. À l’écran, le scientifique du début faisait son retour dans la pièce, et Seth lui envoya rapidement un coup de taser. Un coup de taser, sérieusement ?! Ash retint un facepalm. Un instant plus tard, Seth sortait de la pièce en poussant l’androïde devant lui comme si de rien n’était. La vidéo coupa.



« Eh ben… » conclut Fylson.

Ce disant, il relança la vidéo d’une légère pression sur l’écran holographique, plaça le curseur sur l’endroit où ‘le suspect’ tournait la tête, et fit un arrêt sur image.

« Halloway ! beugla-t-il à l’adresse de la fliquette. Va falloir identifier ce gars !
- Si je puis me permettre, m’avançai-je, je sais qui c’est. »

D’un geste, il interrompit Halloway qui venait vers nous et lui fit signe qu’il n’avait finalement pas besoin d’elle. Esquissant une moue désabusée, la jolie flic fit demi-tour. Fylson se tourna vers moi.

« Son nom ?
- Seth Liekaterinev.
- Liekaterinev ? Comme…
- Oui, c’est son fils.
- Le fils de qui ?
- Vassili Liekaterinev. »

Il marqua un temps.

« Depuis quand on vous apprend des choses utiles en sciences politiques ? »

J’eus un éclat de rire.

« À vrai dire je ne tiens pas ça de mes profs. Au risque de me compromettre… je dois vous avouer ce que vous finirez nécessairement par découvrir : Seth et moi avons été camarades à l’université, bons amis, même… Et il sort avec ma sœur. Enfin, ils vivent même ensemble maintenant.
- Là, mon garçon… je crois que vous avez utilisé le terme ‘compromettre’ à bon escient. Dites-moi tout ce que vous savez. »

Après trois quarts d’heures d’un interrogatoire en tête-à-tête épuisant, Fylson m’offrit finalement un verre d’eau.

« Bon. Vous n’avez pas l’air d’être de mèche… Vous pouvez rentrer chez vous.
- Attendez, je…j’aimerais d’abord essayer de comprendre. Pourquoi il a aurait fait ça ? Il a forcément une raison logique, même si sa logique à lui est…particulière.
- L’affaire est simple, boyscout : il a piqué ça pour le compte de son père, tout comme il a libéré ce Lowell Marvin pour le compte de son père. »

Je secouai la tête.

« C’est pas son genre…
- Peut-être pas, mais j’ai pas que ça à faire, » lâcha Fylson avec un soupir en me toisant.

Je levai soudain la tête vers lui.

« Il y avait quoi dans ce droïde ?
- Des informations sur Holsten Street.
- Quoi d’autre ?
- Quoi d’autre ? J’en sais foutrement rien ! L’équipe technique était en train de décoder tout ça.
- Est-ce que je pourrais parler à cette ‘équipe technique’ ?
- Parlez à qui vous voudrez, O’Graham. Mais plus à moi. Si vous découvrez quelque chose, adressez-vous à Halloway, c’est à elle que je vais confier cette histoire de robot. Moi, j’ai des choses plus importantes à gérer. »

Ash hocha brièvement la tête, serra la main de Fylson en ramassant sa veste sur le dossier de sa chaise, puis quitta le bureau.



D’un rapide sms dicté à son cellphone, il demanda à Emma d’indiquer à son adjoint qu’il allait devoir continuer de s’occuper des affaires courantes pendant le reste de l’après-midi.
Pour une fois qu’il servait à quelque chose, cet adjoint.

Ash eut à peine le temps de sortir du bureau de Fylson que Halloway lui tomba dessus.

« Vous comptez aller où comme ça ?
- Je… Je m’apprêtais à aller voir les gars de l’équipe technique, ceux qui s’occupaient de l’androïde volé.
- À partir de maintenant vous êtes sous ma surveillance. Donnez-moi votre cellphone.
- Pardon ?
- Nous allons tenter d’appeler votre ami Seth Liekaterinev pour le localiser. S’il répond, vous lui parlerez le temps que nous déterminions sa position. »

Pris au dépourvu, Ash donna malgré tout son cellphone à la jeune flic.

« Vous croyez vraiment qu’il a toujours son cellphone sur lui ? fit-il en lui emboîtant le pas dans un couloir et en tâchant de ne pas regarder ses fesses.
- Il est très probable qu’il l’ait abandonné ou détruit, en effet, commenta Halloway en jetant un méchant regard par-dessus son épaule. Mais on ne sait jamais. »


Le cellphone de Ash en main, elle pénétra dans une salle : l’endroit était rempli de matériel informatique et d’ingénieurs en costume.

Ces mecs me firent davantage penser à des geeks qu’à des enquêteurs. Entourés d’écrans, de moniteurs, casques sur les oreilles, mains courant sur les claviers, ils semblaient avoir été greffés à leurs machines, qui devenaient elles-mêmes des extensions de leurs esprits. L’ambiance me rappela les soirées chez Marc à l’époque où lui et Seth, branchés à leurs PC, concevaient les bases de ce qui allait devenir SWIRL…

On m’intima de m’asseoir et j’obéis. J’observai les informaticiens brancher plusieurs câbles à mon cellphone, le relier à un terminal. Finalement, Halloway me le tendit :

« Allez-y. »

Je me levai et pris l’appareil. Chercher le numéro dans le répertoire, effleurer du doigt le nom de ‘Seth’, confirmer l’appel… Je portai le cellphone à mon oreille et, au même moment, tous les occupants de la pièce dont Halloway ajustèrent leurs casques audio sur leurs têtes.

Première sonnerie. Deuxième sonnerie…