« Bon alors ?! »
« Deux secondes je galère avec... la... gnnnmph... fermeture ! »
« T'as besoin d'aide ? »
« Ouais ouais, viens donc m'aider à fermer ma braguette ! »
« Oh désolé, je disais ça comme ça... »
Billie leva les yeux au plafond en soupirant tandis que Djazz sortait (enfin) de la cabine d'essayage. Le jeune homme la fit tourner sans ménagement sur elle-même et s'appuya sur une jambe en posant l'index sous sa barbe. Une vendeuse passa près de lui en souriant.
« Ma chérie tu est parfaite dans ce pantalon. Mais cette chemise... franchement ça fait moche. »
Djazz soupira et secoua la tête. Elle en avait marre, ça faisait presque une heure que Billie l'habillait. Les deux vendeurs – un homme et une femme, qui visiblement connaissaient bien son frère, allaient et venaient avec des cintres, ils se postaient autour d'elle en discutant avec lui de son apparence comme si elle n'était pas là ; et elle avait beau réfléchir, elle ne comprenait pas en quoi tel haut s'accordait mieux avec tel bas et par quelle mystérieuse logique le rouge lui allait mieux que le bleu.
« Billie, franchement je... on s'en fiche que le haut n'aille pas avec le bas, je les mettrai pas tous les jours ensemble ! Je veux dire... d'ailleurs... »
Il ne semblait pas l'écouter et tenait deux cintres à bouts de bras devant lui, l'air très préoccupé.
« … d'ailleurs je ne les mettrai jamais, on perd du temps... c'est pas fait pour travailler... »
Djazz le contempla un moment s'activer sur la pile de vêtements. Il souriait. Ses yeux brillaient. Elle avait pris un air embêté. Son cœur se gonfla et elle s'en voulut de ne pas être en accord avec lui qui prenait tout ça tant à cœur. Elle se rendit compte qu'elle n'avait jamais réalisé à quel point cet univers était sa passion. Elle s'était tant moquée de lui sur le soin qu'il mettait à modeler son apparence, mais son attitude semblant si travaillée était en fait naturelle... et elle ne l'avait jamais pris au sérieux. Pourtant lui jamais ne s'était moqué de ses moteurs, de ses taches de cambouis sur le visage, de ses records de vitesse idiots et dangereux et n'avait jamais hésité à la suivre dans ses idées à la con. Il prenait toujours son temps pour elle, et il...
… il pense sincèrement que l'apparence est importante, et il n'a peut être pas tort...Elle sentit que Billie lui relevait le menton, comme il faisait quand elle ne l'écoutait pas et sortit de ses pensées. Djazz le regarda encore un peu vaguement, puis se détourna vers la tringle où ce qu'elle avait essayé était pendu. Elle fouilla un peu, en tira un veston noir et se tourna vers lui en souriant le plus naturellement possible.
« J'aime bien ça... » tenta-t-elle. Le visage de son frère s'illumina.
**
La serveuse apporta leurs parts de gâteaux et leurs boissons chaudes. Djazz poussa du pied les poches en papier des boutiques qu'ils venaient d'écumer et se laissa tomber sur son fauteuil. Enfin assise ! L'atmosphère des magasins semblait agir négativement sur son endurance... mais ce coin de terrasse ombragé, sous un chêne, un peu isolé des autres clients, était parfait. Elle passa sa main derrière sa tête et savoura la sensation de légèreté que ses cheveux fraîchement coupés courts lui procurèrent. Comme au temps des Docks, en mieux ! Le seul point positif de l'après-midi, pensa-t-elle en fronçant les sourcils et en serrant les mâchoires.
Billie, déjà affalé sur son siège, passait ses nouveaux bracelets à ses poignets avec un sourire ravi. Il leva les yeux vers elle. Djazz, qui refaisait un lacet, sentit son regard sur elle et leva timidement les yeux. Il n'avait plus du tout l'air content.
« Quoi ? »
« Fais pas semblant, je vois bien que ça te fait chier. Y a eu une tentative, tout à l'heure, pourtant, mais bon. »
« Mais... »
« Si tu sortais plus souvent avec tes amis, aussi... »
« Mais je... »
« Mais je
quoi ? »
« Ils sont tous restés sur les Docks, tu sais bien... »
« Et ton champion de boxe ? Tu sors pas avec lui des fois ? »
A ces mots, Billie laissa tomber un journal plié sur la table basse, entre eux, face à Djazz. Sur la première page s'étalait la photo de Vince McLaren. Djazz n'était même pas au courant qu'il avait gagné un championnat récemment. Elle baissa les yeux.
« Je sais pas...»
«Tu me désespère, tu sais Djazzy. Tu passes tes journées et tes nuits sur tes moteurs. »
« Mais... c'est ce que j'aime f... »
« Ouais, tes objectifs, tout ça... je connais la chanson. Putain, profite un peu de ta jeunesse ! »
« Mais j'en profite ! Je suis parfaitement bien comme je suis ! »
« Tu souris jamais, Djazz. Pour moi au moins, tu pourrais faire un effort. »
« Alors, faudrait savoir, tu viens de me dire de pas faire semblant ! »
« Je me plie en quatre pour essayer de faire en sorte que tu sois heureuse, ce serait trop demander d'avoir quelque chose en retour ?! »
Le ton montait. Djazz, une fois de plus, omit de réfléchir avant de parler.
« Et quoi, par exemple ? Que je suive tes conseils en sifflotant et aller faire la fête tous les soirs ? J'ai pas besoin de ça ! Je t'ai dit que j'étais très bien comme ça ! J'ai un travail, une passion et un logis ! J'ai pas besoin que tu t'en mêles ! »
« Putain j'ai jamais vu une gamine aussi ingrate ! C'est dingue ! Tu te rends compte de comment t'es ? Tu comptes renier tous le monde comme ça ? D'abord les jumeaux et junior, puis papa et maman, et puis moi ensuite ?! Tout ce que je voulais à la base c'était un après-midi tranquille, pour passer du temps entre frère et sœur, je sais pas moi j'aurais bien aimé entendre ton rire, ou te voir déconner comme on fait d'habitude ! Mais il faut toujours que tu gâches tout par mauvaise foi ! »
« Mais tu sais bien que ça me gonfle les sorties en centre-ville ! »
« Évidemment quand il s'agit de faire quelque chose que moi j'aime y a plus personne ! Tu pourrais faire un effort quelques heures pour moi ! »
« Tu fais chier ! T'as des tas d'amis avec qui faire ça ! T'as des journées entières de temps libre ! C'est bien gentil de dire « han mais je fais ça pour toi » ! J'en ai rien à foutre moi d'être bien habillée ! Je fais du travail manuel ! Je suis pas payée pour arriver sapée au boulot ! Ni pour me dorer la pilule devant une caméra et mettre deux pieds devant l'autre sur une estrade ! »
« Comm... »
« Vous me faites tous chier ! Voilà ! Même toi tu fais chier ! Toi, tes fringues ET TA MODE A LA CON !!! »
« NE ME PARLE PAS SUR CE TON ! »
Le poing de Billie s'abattit sur la table, faisant trembler les cuillères. Il s'était avancé, foudroyait Djazz du regard, le visage barré par des boucles en désordre. Elle se terra au fond de son siège. La colère le faisait tellement ressembler à papa qu'elle sentit un frisson le long de son dos... Elle ferma les yeux en mettant par réflexe sa main devant son visage, s'attendant à recevoir une gifle. Elle attendit quelques secondes, rien ne vint, et rouvrit les yeux.
Billie s'était laissé retomber sur son fauteuil, courbé, le visage enfoui dans la main droite. Il frotta un instant ses yeux, la respiration saccadée, puis il se recroquevilla sur lui-même, un bras sur les genoux, le visage caché derrière. Ses boucles blondes tombèrent en cascade sur son poing encore fermé. Djazz ne bougea pas, et ne le quitta pas des yeux, figée. Son cœur battait plus fort à mesure qu'elle réalisait ce qu'elle lui avait dit, des choses qu'elle ne pensait pas... elle regretta amèrement, mais c'était dit, trop tard. Elle se maudit violemment de l'intérieur.
Les épaules de Billie commencèrent à trembler et des reniflements se firent entendre derrière ses genoux. Djazz aurait voulu soudain le serrer dans ses bras et lui demander pardon, mais elle savait que ça ne suffirait pas. Elle n'osa pas bouger de peur qu'il la repousse. Il releva la tête, et elle put apercevoir ses yeux rougis derrière ses boucles. Son menton trembla et il ouvrit la bouche.
«Ce que je suis à tes yeux, c'est la moitié du temps bouffon de carnaval et l'autre moitié, réplique d'un père trop coléreux... super. Super. »
croquis superviteuf désolée ^^'