Baron annonça un appel entrant en provenance d'une cabine téléphonique de Consortium. Une voix enrouée et grave se fit entendre dans le salon tandis que Siècle essayait de ramasser Billie.
« Euh... Siècle ? »
« Djazz ? »
« Ouais, heu... »
Billie se redressa soudain et se rassit sur le canapé, le coude posé sur le genou et le menton dans la main, boudeur.
« … est-ce qu'il... »
« Est chez moi et ne fait pas de bêtises ? Ne t'inquiète pas ma chérie je m'occupe de cette grosse larve ! »
Djazz rit avec candeur. Une idée traversa l'esprit de Siècle qui enchaîna :
« Il fait super chaud et beau, j'avais pensé qu'on se retrouve tous à la plage pour manger et s'amuser un peu... »
« Ah, je veux bien ! Mais je n'ai pas de maillot de bain... »
« Si on était passés chez Fastsilver comme je t'avais dit, t'en aurais un de maillot ! » réagit soudain Billie, puis il se rappela qu'il était censé faire la gueule, et Djazz aussi. « Et puis, d'abord, pourquoi t'appelles toi ! »
Il y eut un silence renfrogné au bout du fil, puis :
« Je te demande pardon, crétin ! »
« Excuses acceptées, grosse andouille ! »
Billie bouda encore un peu, mais il avait envie de rire. Siècle enchaîna :
« Je te prêterai un des miens. On fait la même taille quasiment t'façon ! »
« D'accord. Je vous attend sur la promenade des Neothulians dans une heure ? »
« Ca marche. Mais si t'avais un cellphone aussi... »
« Un quoi ? Ah merde j'ai plus de pièces. Bon, à toute »
Un silence suivit la fin de l'appel, pendant lequel Siècle et Billie se regardaient en souriant. Car décidément, sans Djazz, ça serait pas pareil, quand même.
*
Djazz attendait sous le soleil, assise sur le muret de pierre blanche, balançant ses pieds dans le vide, son overboard posé à côté d'elle. Sous ses bottines de cuir noir sales de poussière, le sable, blanc, tâché de touristes et de locaux en vacances. La jeune femme avait volontairement tourné le dos à la promenade pour plonger à travers ses lunettes de soleil rondes, son regard dans l'immensité de l'océan et du ciel.
Le ciel... les nuages...
« Rhooo... Djazz, ce n'est pas une tenue d'été ça ! » émit une voix amusée derrière elle. Siècle, Billie et Oxford, souriants, la saluèrent lorsqu'elle se retourna.
« T'as pas chaud ? » demanda sa cousine en posant les doigts sur le col de l'épais blouson de cuir de Djazz.
« Non » répondit d'un air neutre la jeune technologue. « C'est au cas où j'me glande, pour pas me brûler sur le macadam »
Elle enleva le blouson, dévoilant ses bras couverts de cicatrices de brûlures et de chutes, de bleus, de coupures. Son éternel pantalon de travail à multiples poches kaki était taché de cambouis aussi, mais son débardeur était neuf et très joli- il laissait voir le bas de son ventre et ses reins tatoués. Siècle regarda avec une pointe de jalousie ses cheveux courts, épais et désordonnés, devenus presque blancs avec les années passées au soleil.
Ils se mirent en marche vers un coin tranquille de la plage, Billie et Siècle causant devant, Djazz et Oxford parlant de glisse et comparant leurs overboard à l'arrière. Une fois les serviettes étalées sur le sable et le parasol de verre anti-uv planté, les garçons s'occupèrent de déballer le pique nique tandis que Siècle sortait d'un sac le maillot rouge vif qu'elle avait amené pour Djazz. Celle-ci se débarrassa de ses vêtements sans pudeur, restant en culotte et soutien-gorge, et Siècle ne put retenir un petit cri de surprise à la vue du corps de Djazz. Elle ne s'étaient vues qu'il y a cinq mois, et la dernière fois que Siècle l'avait vue sans vêtements c'était il y a plus de deux ans, lorsqu'elle avait dormi chez les Dickinson pour l'anniversaire des jumeaux.
A l'époque, elles avaient à peu près la même morphologie, la poitrine de Siècle étant un peu plus opulente que celle de Djazz, toujours plate. Mais elle n'était plus du tout la jeune fille maigrichonne de son souvenir ; si sa taille était toujours fine et ses jambes très longues, ses cuisses et ses fesses étaient désormais beaucoup plus épaisses, les muscles tendus, les mollets d'acier. Ses épaules, ses bras avaient pris du volume aussi, sans être trop larges, Djazz avait sûrement autant de force que l'athlétique Oxford. Et ses biceps, ses épaules, ses omoplates, ses reins et ses hanches étaient couverts de tatouages.
Djazz leva un sourcil, Billie sourit (il avait omis de préciser à Siècle que ses maillots n'iraient plus à Djazz) et Oxford resta neutre. Siècle sourit, tendit les pièces à Djazz.
« Tu vas être un peu serrée du coup ! »
Djazz rit, et les garçons se tournèrent. Le haut lui allait, mais le bas serrait; qu'importe. L'ambiance était légère, bon enfant, l'air chaud et sec, l'eau bleu-verte et ses compagnons insouciants. La fin de l'été approchait ; bientôt ce serait l'automne, ses feuilles mortes, son ciel gris et bas sur la ville, l'air de plus en plus froid, et bien que son appartement soit chaud et confortable, elle ne pouvait s'empêcher de repenser à la maison de son enfance, humide et péniblement chauffée par un seul poêle, quand Billie lui prêtait ses pulls et se gelait. Puis les squatts et le givre sur les matelas sales, et la cellule... avant la piaule chaude et le lit moelleux sous les toits, ou l'appartement cossu de Billie.
La jeune femme sourit pour elle même et sentit une traction sur son bras ; Oxford l'attira à lui, sa planche de surf sous le bras.
« Tu sais surfer ? »
« Baaah... un peu, pas trop. Ça ne doit pas être bien différent de l'overboard ? »
« Exact. Prends la deuxième planche, on va se marrer un peu. »
Billie et Siècle les regardèrent s'éloigner vers le rivage avec circonspection ; peu bavards l'un comme l'autre, Djazz et Oxford n'avaient jamais beaucoup échangé malgré leurs quelques passions communes. Siècle se sentit un peu jalouse que son meilleur ami aille surfer avec sa cousine plutôt qu'elle. Mais Djazz était moins bavarde, moins enjouée, beaucoup moins maladroite et beaucoup plus athlétique. Elle aurait limite pu sortir d'un comics, se dit-elle.
« Siècle ? On va se tremper les genoux ? »
Elle se tourna vers Billie, un air maussade sur le visage. Elle baissa le regard sur ses jambes, jeta à nouveau un œil sur la silhouette de Djazz. Billie sourit.
« Cette meuf est un tank. Ne t'en fais pas, tu es très belle. Allez, viens ! »
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