Une semaine après =>
La LampyrineCHAPITRE I :
Tatoué depuis peu, Le Paon, en bougeant son dos, sentait l’encre luminescente circuler en flux calme sous sa peau, et il commençait à aimer ça. Il passait des heures à se prélasser sur le toit de sa demeure à Gian attentif à chaque pulsation que la lampyrine émettait contre son épiderme.
Sol se tenait à coté de lui, analysant de ses yeux rubis les fumets s’échappant des nombreuses cheminées à travers les hauteurs de Gian, ses plumes en métal diffusant un spectre lumineux au contact de la lumière du soleil matinal.
« Il faut que je me débarrasse du rat mort coincé à la cave mon beau, ça risque de finir par empester sinon, t’en penses quoi ? »L’animal criailla comme pour donner son accord et sauta amoureusement sur l’épaule de son maître. Celui-ci sauta ensuite félinement des hautes tuiles orangées pour atterrir sur son balcon et entra dans sa chambre. Il ne savait pas encore ce qu’il allait faire de ce cher Lionel.
En fait, il avait dû le laisser macérer dans la cave une bonne semaine, à défaut de pouvoir se lever et marcher sans se mortifier le dos. Et depuis il ne savait plus s’il voulait réellement le jeter ou continuer à s’en servir. Un corps humain était quelque chose qu’un transmuteur n’avait pas quotidiennement entre les mains et qui plus est une riche mine de matériaux primordiaux à transformer. Une aubaine pour quelqu’un d’aussi immoral que ce cher Aurèle Alexander Léonard.
Il descendit donc plutôt jovial dans son labo, sa morgue, appelez sa cave comme vous voulez, décidé de voir ce qu’il pouvait encore tirer de Carcasse_Médicis01.
Il s’arrêta sur la dernière marche de l’escalier en fer rouillé et observa le sous-sol. Les murs fissuraient et on y voyait par endroits les briques rouges et le ciment. Le sol en béton était poussiéreux et taché de sang autour de son invité, toujours attaché à sa chaise. Il avait l’«
air malade » selon Aurèle bien que «
mort » voir «
bien crevé » auraient été des mots plus justes.
Toutes sortes d’étagères très différentes et artisanales (certaines de très bonne facture de style Louis XVI, d’autres très modestes, en ferraille de récupération) formaient une sorte de dédale de flacons, de potions, de pièces mécaniques et électroniques en tout genre, luminescentes, vrombissantes à souhaits, de pièces de récup’ sales et de liquides tous plus instables les uns que les autres aux couleurs bigarrés et peu communes. Une personne normale aurait considéré cet endroit comme glauque, chaotique et sale.
Le blondin huma l’air ambiant. Son nez se retroussa de dégout.
Fétide à la première inspiration, mais plaisant à la deuxième, pensa-t-il.
Pas à cause de l’adaptation olfactive mais parce que sous cette odeur de mort en décomposition, il y avait un parfum composite généré par la ferraille, le bric-à-brac et l’odeur qu’ont seulement les demeures qui ont du vécu : le «
vieux ».
Aurèle sourit, il aimait que cette odeur fût aussi tenace que celle de la pourriture. C’en était presque impressionnant.
En une fraction de seconde, son échine se glaça. Il sentit un flux froid lui attaquer les cervicales et remonter jusqu’à son cerveau puis finir sa course en lui tambourinant brutalement contre les tempes, le laissant coi et tremblant. La douleur repartit aussi vite qu’elle était apparût.
Calme plat.
Après un mouvement lent de la nuque afin de se détendre, Le Paon, déconcerté se força à retourner son attention sur Lionel.
Les ligaments, les tendons et les os tenaient le coup comme il s’y attendait mais les organes vitaux avaient déjà commencé depuis un moment leur processus de putréfaction. Inutilisables.
Le carbone, le calcium, le phosphate des os et les tendons pouvaient servir pour les armes et les potions. Toujours en se massant machinalement la nuque, il attrapa des réceptacles au hasard sur l’étagère la plus proche de lui et passa l’après-midi à extraire ce que ce pauvre Lionel avait encore à lui offrir, son paon mécanique arrachant de son petit bec doré les tendons trop bien attachés à l’os. Après quoi, il jeta le corps au fond du jardin dans le composte, avec la tête de vache et les restes de moutons du mois dernier.
Cette lancée de douleur dans la cave le rendit pensif cependant et, laissant Sol lui grimper sur le bras et lui tirer des mèches de cheveux, il sortit du quartier, une idée dans la tête.
Tout en marchant, il claquait des doigts, faisant se générer et se dégénérer sa queue de paon holographique, laissant tomber quelques plumes bleues et brillantes derrière lui.
Au fur et à mesure qu’il s’en éloignait elles mourraient en se disloquant sur le pavage dans un petit crépitement électronique.
La fin d’après-midi était fraiche et les ombres bleues jetés sur les habitations contrastaient agréablement avec les derniers rayons orangés du soleil.
Il y avait un problème avec la lampyrine.