La mer, le froid, la nausée, la tempête, la chaleur. Aaraon avait ce milieu en horreur. Il était un fils de la neige, des grandes étendus gelées. Pas un marin.
Il était allongé dans l’un des lits du grand dortoir du bateau cyberpolitain qui le ramenait à RangeHarbor. Ecoutant le ronronnement régulier du moteur qui noyait les bruits de la mer. Le médecin du bord lui avait donné un calmant en jetant un coup d’œil sceptique à sa blessure. Il avait, bien sûr, refusé qu’on la touche. On lui avait dit qu’Astray n’était plus qu’à deux heures de navigation. Encore deux longues heures. Il ferma les yeux et sombra dans un sommeil fiévreux.

***
Il n’avait plus mal mais se sentait terriblement fébrile. Il saisit son sac d’une main hésitante et descendit la passerelle. Le médecin cyberpolitain lui cria de se rendre immédiatement au centre de soins avant toute autre chose. Il ne répondit pas, se retourna, et avança d’un pas qu’il voulait stable vers l’administration technologue des RangeDocks.

***
Horace Hingelton se dandinait sur sa chaise, humant avec délectation les vapeurs de café chaud qui s’échappaient de la tasse que l’on venait sagement de lui apporter. Noir et serré, comme il l’aimait. Il soupira, saisissant délicatement la petite hanse, portant le bord du récipient à sa bouche pour souffler délicatement sur la surface sombre.

BLAAAAM

Sa main trembla, déversant une partie de son café sur ses papiers. Les yeux papillonnants désespérément il leva la tête vers l’origine du désastre, reconnaissant la grande silhouette fine de Corberyan-Wright. La secrétaire s’agitait autour de l’intrus, hurlant qu’il ne pouvait pas entrer de cette façon.

« Lâââche moi ! Get out fuckin’ tramp ! »
« Il suffit Nadège ! Laissez nous… »

Elle quitta le bureau en proférant quelques remarques abstraites sur le respect du travailleur. Aaraon s’approcha, chancelant, et se laissa tomber sur la chaise qui faisait face au sergent. Celui-ci le dévisagea un instant. Son teint était curieusement gris, ses yeux cernés et fatigués, son bras gauche était serré dans un bandage approximatif qui sentait un mélange d’onguents de soins et d’infection notoire. L’homme simiesque leva un sourcil blanchâtre et interrogateur, essuyant d’une main distraite les taches qui souillaient son registre.
« Payez moi ! » balança le jeune homme en jetant sa fiche de mission au milieu des affaires impeccablement classées du vieux marin. Horace saisit la fiche et examina le détail. Tout était en ordre. Il observa de nouveau son client, regrettant que celui-ci soit encore en vie. Il grinça des dents, décrocha son téléphone et fit tourner le cadrant.
« Maître Smart, pourriez-vous venir un instant… »

Un homme sombre, entre deux âges, au teint pâle, aux vêtements râpés et aux airs de vautour avaricieux sortit d’une pièce annexe, un carnet collé contre son torse.
« Plait-il ? » questionna-t-il d’une voix nasillarde et déjà horripilée.
Ils échangèrent quelques mots à voix basse, sous le regard suspicieux d’Aaraon qui se sentait de plus en plus mal. Enfin le charognard releva la tête et esquissa un ignoble sourire mielleux, s’emparant de la fiche qu’avait remplie Calaahan.
« Bien bien…Une fiche remplie en dehors de Astray…En vertu de l’article 73 du code des échanges portuaires du 26 juin 198, nous refusons de vous payer immédiatement. Votre salaire ne pourra vous être versé que dans les huit jours ouvrables suivant le jour de votre arrivée. »
« Ta gueule ! Te fous pas de moi ! D’où ton règlement à la con là !!? on m’a toujours payé le jour même pauvre con… »
« C’est que vous étiez en infraction », conclut Horace avec un contentement notable en précisant toutefois « Revenez donc demain mon garçon, si vous êtes encore en mesure de marcher bien sûr… »

Le jeune homme se leva d’un bon, arrachant sa fiche des mains crochues du second de ses interlocuteurs, hésitant à frapper le premier. Il connaissait ces hommes. Rien ne les ferrait revenir sur leur jugement. Il secoua la tête, et sortit en proférant une multitude de jurons en Thikvine. Le jour déclinait rapidement, il s’appuya contre un mur, la tête lui tournait.

Il fallait qu’il rentre…qu’il arrive à rentrer…Lawrence l’aiderait.

***

« Vous pensez qu’il arrivera jusqu'à chez lui ? »
« Quand bien même, étant donné ses moyens il n’arrivera pas à se soigner… »
« Si tout se passe bien nous récupérerons donc son appartement dans la semaine à venir…comme s’il n’avait jamais effectué cette mission. »
Horace Hingelton hocha la tête avec satisfaction, indiquant d’un geste la sortie au notaire.
« Oh et…Smart, dites à Nadège de me préparer un autre café ! »