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 Les liens du sang et de l'esprit

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Maxine T. Okland

Maxine T. Okland


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MessageSujet: Les liens du sang et de l'esprit   Les liens du sang et de l'esprit EmptyLun 12 Nov - 12:05

Les paysages défilaient rapidement derrière la vitre du train. Les pâturages des vaches étaient désintégrés en lignes de vitesse d’un vert sombre ponctué de tâches brunes, les maisons aperçues disparaissaient aussitôt, et le ciel de nuages gris devenait une masse uniforme uniquement découpée par les fils électriques noirs qui longeaient les rails. Indéfiniment, on voyait ces câbles se creuser, puis croitre comme une vague jusqu’au poteau suivant, avant de s’affaisser à nouveau dans un cycle proprement hypnotisant.

Maxine, assise dans un compartiment où siégeait aussi une famille très aimable (composée d’un grand-père, d’un couple de parents et de leur petite fille), avait déposé sa machine à écrire sur la table centrale et avait commencé à taper un article. Mais, un mot lui échappant, elle l’avait cherché en regardant par la fenêtre, comme si la réponse s’y était trouvée aussi claire que dans un livre. C’est à partir de là qu’elle s’était retrouvée peu à peu absorbée par la vue de l’extérieur, par l’ondulation intermittente des câbles électriques. Elle avait alors tout à fait oublié pourquoi elle avait interrompu son écriture. Son esprit s’était perdu dans une suite d’association d’idées. Et à présent, probablement à cause de la présence de cette petite famille idéale dans le même compartiment qu’elle, elle ne songeait plus qu’à son fils.

*
C’était il y a plus d’un mois.

Comme souvent, j’étais engagée dans l’écriture d’un dossier long et difficile, qui m’avait demandé plusieurs semaines d’enquête. Il s’agissait de mettre en cause les groupes de pression, les ‘lobbys’ internationaux qui influent de manière insidieuse sur les décisions de l’OMCU. Aucun doute que mes articles allaient mettre mal à l’aise quelques World Compagnies ainsi que des États aux pratiques douteuses comme la STR, ou même l’EUCY par certains aspects.

J’étais tranquillement en train d’écrire à mon bureau, dans les locaux de Stern Road du SteamTime, quand soudain mon assistant Matthew est entré.

« Maxine, un télégramme pour toi, a-t-il dit en me tendant un papier.
- Lis-le-moi ? » répondis-je comme d’habitude sans lever les yeux de ma machine à écrire.

Mais il le posa sur le bureau et dit en sortant, sur un ton grave :

« Ça vient de ton ex-mari. »

La porte se referma.

Intriguée, je pris la transcription. Il n’y avait que quelques mots : « Explosion à l’usine – Théotim blessé – pas de danger mais très choqué – il ne parle plus – besoin de toi. Éric Lewis. »

Je pris un moment pour relativiser l’information, le degré de gravité de l’événement. C’était difficile à évaluer à partir des informations éparses que donnait le télégramme. En tout cas je ne parvenais plus à me concentrer sur mon article.

Cela faisait maintenant plusieurs années que j’avais quitté Éric. Je ne voyais Théotim que quand j’en avais le temps, une fois par mois maximum. Soit j’allais le voir à Navelles, là où il vivait avec son père, soit il venait pour un week-end à Stern Road. Je l’avais emmené une ou deux fois visiter les beaux quartiers, voir les magasins et les monuments. Nous nous entendions bien. J’appréciais le petit garçon rêveur, et par avance le jeune homme qu’il pourrait devenir…

Je sus qu’il fallait que je me rende immédiatement à Navelles.

Embarquant ma machine à écrire et mes paperasses, je prévins ma rédactrice en chef Susanne Brun que je m’absentais au moins jusqu’au lendemain soir. Mes articles lui parviendraient par coursier. Elle n’eut pas le temps de protester que déjà je grimpai dans un taxi, direction la Gare de l’Ouest.


*

Plus d’un mois et demi que ce jour, ce jour de l’accident où elle avait pris le train, s’était fondu dans plusieurs autres jours, et plusieurs autres trains. Désormais, Maxine partait chaque vendredi soir de Stern Road pour revenir chaque lundi matin, travaillant dans le train sur les articles les plus urgents. Ses week-ends, elle les passait à Navelles, chez Éric, essayant de comprendre ce qui était arrivé à son fils.

Elle avait pourtant essayé de faire comme si de rien n’était, de reprendre le fil de sa vie, de voir ses amants qui s’attendaient à la trouver toujours aussi fraîche et drôle… Mais elle n’y était pas parvenue. Quelque chose était brisé. Et elle ne pouvait plus regarder qu’avec mélancolie la famille insouciante qui babillait dans son compartiment.

Le train s’arrêta, Maxine en descendit, confia à un coursier de la gare l’article qu’elle avait rédigé pendant le voyage, puis elle grimpa dans une calèche qui l’attendait. La portière était gravée des armoiries de la famille Lewis.
Un moment plus tard, le cocher la déposait devant le manoir.
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Nao Pérégrinn

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MessageSujet: Re: Les liens du sang et de l'esprit   Les liens du sang et de l'esprit EmptyMer 21 Nov - 0:09

Synna- Nord-Ouest de la Nouvelle-Thulé.



Au hasard de mes recherches, je tombai sur une coupure de journal tirée du Steam Time, le journal nationale technologue sur Astray. La journaliste, une certaine Maxine Twain Okland, y rendait compte d'un incident aux circonstances étranges, survenu dans une usine à proximité de Navelles, du côté d'Ellsworth. Au dire des témoins interrogés, un brutal accès de rage aurait pris les ouvriers qui travaillaient là , initiant une bagarre générale qui, tournant au vinaigre aurait provoqué une fuite de gaz suivie d'une explosion d'assez grande envergure.
Mais, bien que ce drame ait déjà attirée mon attention, de part son étrangeté, l'élément de l'article qui me marqua le plus, était la présence inexpliquée sur les lieux d'un enfant, d'environ 8 ans, ayant manqué de peu d'être blessé, et qu'on avait retrouvé intact mais profondément traumatisé au milieu des décombres.

L'affaire sentait le Lorialet à plein nez, il y avait eu la folie, puis l'accident... Quant à l'enfant en question, il était probablement la raison de leur présence.

Mais que pouvaient-ils vouloir à ce garçon en particulier ?
Il apparaissait clairement que je devais me rendre à Navelles pour éclairer la situation.

Aussitôt, j'informai Steward de mes intentions pour qu'il puisse prendre les précautions nécessaires au voyage.
Je lui laissai le soin de trouver un moyen de transport et un logement sur place, quant à moi, je me rendis à l'atelier des Lorn pour trouver Elliot. J’espérai qu'il se joindrait à l'équipée, ne serait ce que pour s'occuper de Lily au besoin, car il m'était impossible de la laisser à Synna, et éventuellement pour m'aider dans mon enquête. Fort heureusement pour moi, Elli est une bonne nature et relativement impulsif, il accepta aussitôt, ayant par ailleurs toujours guetté l'occasion d'aller à Astray.

Les préparatifs prirent 2 jours, Stew nous avait trouvé un bateau, à NewLyna Port, sur la côte Est de la Nouvelle-Thulé, qui pouvait nous mener jusqu'à Astray. Nous prîmes la route au matin du troisième jour, parés de quelques bagages, le strict nécessaire.
Nous arrivâmes au port le jour suivant, le train ayant roulé toute la nuit. Là, le capitaine de L'Abigail nous accueillit à bord. L'Abigail était un navire de commerce qui reliait Astray et la Nouvelle-Thulé, un assez beau bateau qui faisait la fierté de son équipage et de son capitaine qui en fit forces éloges. Le voyage en mer fut particulièrement éprouvant, je n'étais moi même pas très à l'aise sur l'eau, mais il s'agissait visiblement d'un trait de famille, puisque Lily passa un moment bien plus difficile, sollicitant une attention constante. Nous restâmes essentiellement dans notre cabine, elle alitée, et moi alternant entre son chevet et mes recherches et ce durant tout le mois que dura le voyage. Elli lui s'adaptait parfaitement à l'environnement, il n'était pourtant jamais monté sur un tel engin, mais cela le passionnait et il passa le plus clair de la traversée à harceler l’équipage de questions alambiquées auxquelles eux ne comprenaient pas grand chose.

Au bout de ces 30 longs jours d’aléa au gré des vagues, nous arrivâmes finalement à Astray, dans le port des Range Docks et je revis la terre ferme avec un plaisir démesuré tandis qu'Elli semblait quelque peu désappointé de quitter l'Abigail et l'équipage dont il s'était fait l'ami. Nos quelques bagages à la main et ma cadette grimpée sur mon dos, nous nous rendîmes à pied à la gare la plus proche pour prendre le train vers l'intérieur du continent, à destination de Navelles.

Dans le train, Elli et Lily s'endormirent très rapidement, l'un pour pallier à son excitation des jours précédents, l'autre pour récupérer. Je me retrouvais seul, livré à mes pensées. Je relisais inlassablement l'article du Steam Time et je me surprenais à prier en moi-même pour une piste, la plus mince soit elle, qui m'aiderait à retrouver Polichinelle. Derrière la vitre défilaient les longs enchaînements de champs qui témoignaient que nous avions quitté les régions de Range Harbor, même si l'industrialisation de l'arrière pays continuait à venir crever le paysage de temps à autres, fendant le ciel de ses épais nuages noirs. Planant au-dessus de ces paysages si étrangement mélangés, trônait la grande citadelle volante cyberpolitaine dont j'avais tant entendu parler, on pouvait aisément l’apercevoir de loin, de par ses grandes silhouettes longilignes découpées par le ciel. Beaucoup en parlait avec grande estime, pour moi toutefois, et bien que je reconnu les mérites imputables à ceux qui l'avaient façonnée, elle représentait quelque chose pour laquelle je ne pensais pas être prêt, j'appréciai les choses tangibles, concrètes, aussi ses réseaux virtuels animaient chez moi la peur de l'inconnu.


Je laissai mon esprit vagabonder, Lily dormait, insouciante sur mon épaule, et sur moi pesait à la fois sa tête de chérubin et toute la responsabilité de son état.




-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------



Navelles, était une ville industrielle prospère et plaisante, la campagne environnante ravissait les yeux et la population se montrait très chaleureuse. On nous indiqua volontiers l'emplacement de l'hôtel où nous devions séjourner pour la durée de nos affaires en ville. Je portai toujours Lily, elle dormait beaucoup de façon générale, Elli trottait derrière en éternel enthousiaste, saluant chaque personne que nous croisions avec un sourire qui lui fendait le visage. Moi je n'avais pas le temps de me complaire à la découverte de ce lieu inconnu. J'étais déjà chevronné à la tâche, l'affaire m'attendait.

Je laissais rapidement Lily et Elliot dans la chambre d'hôtel, une pièce mansardée mais qui me convenait parfaitement. A l'accueil on m'expliqua comment me rendre sur les lieux de l'incident. L'usine était située à l'extérieur de la ville, en bordure de forêt, il y avait un peu de marche, ce qui rendait encore plus curieux la présence d'un gosse à un endroit aussi reculé des activités de la ville. Il me faudrait me pencher plus précisément sur cette question.

Il ne restait pas grande chose de l'usine, c'était désormais un tas de décombres qui gisait au milieu de la campagne, comme une tâche d'encre sur le papier, elle cassait l'harmonie ambiante. Le feu avait bien fait son ouvrage, il ne restait rien ici qui puisse expliquer quoi que ce soit. Comme d'habitude, les Lorialets ne laissaient pas de traces concrètes de leur passage.

Cependant cette fois, il y avait le petit Théotim Lewis, cet enfant qui avait assisté à la scène, mais s'en était sorti sans la moindre blessure physique. Si il y avait eu contact avec les Lorialets, le seul moyen d'en avoir la preuve, était de rencontrer l'enfant.

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Maxine T. Okland

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MessageSujet: Re: Les liens du sang et de l'esprit   Les liens du sang et de l'esprit EmptyMar 4 Déc - 20:13

Assis sur le sol près de la fenêtre, le jeune Théotim jouait avec un train à vapeur qu’il faisait glisser sur des rails miniatures. Autour de lui le séjour était paisible. Les rideaux lourds étaient immobiles devant les carreaux propres. Le tapis était tiré aux quatre coins. Les coussins étaient soigneusement disposés sur les fauteuils colorés qui entouraient la table basse. Tout était serein, sauf la mère de l’enfant.

Maxine, assise par terre contre le mur, comme une gamine, les jambes repliées, regardait avec un sourire nostalgique son fils jouer au petit train. D’abord elle avait été heureuse de le voir s’amuser, tant il semblait y prendre du plaisir. Puis, elle avait vu qu’il faisait glisser le train vers l’avant, puis vers l’arrière, puis à nouveau en avant, puis à nouveau en arrière, et cela sans jamais se lasser, avec une joie figée, et une expression songeuse qui, comme son silence, ne le quittait pas depuis le jour de l’accident.

C’est quelque chose de déchirant, écrivit-elle dans son carnet de notes en contemplant son fils, que de voir l’enfance rongée par une aliénation de l’esprit. Mon fils, naguère innocent et léger, me semble aujourd’hui le réceptacle d’une langueur extrême, d’une rêverie infinie. C’est comme s’il vivait un long songe éveillé, sans début ni fin, sans conscience aucune du monde qui tourne autour de lui. Sur son visage je crois lire un mélange de gravité et de mélancolie mais, parfois, je ne le reconnais plus.

Maxine avait longuement enquêté sur l’incident de l’usine, la bagarre, l’explosion. Elle avait interrogé les ouvriers qui travaillaient pour son ex-mari, puis les voisins, puis les autres témoins du drame… Mais la conclusion était toujours la même : un accident, une malheureuse coïncidence. Théotim s’était simplement éclipsé pour aller jouer au mauvais endroit, au mauvais moment, à la lisière de cette forêt mystérieuse dans laquelle Maxine aimait tant l’emmener se promener pour lui raconter des histoires. Elle se sentait coupable, à présent, de lui avoir donné le goût de cette forêt. Sans elle, peut-être ne serait-il jamais allé là-bas.

Un coup de sonnette tira la journaliste de ses pensées.

Dans le couloir de l’entrée, on entendit l’employée de maison, Élise, se hâter vers la porte, et le battant s’ouvrir avec un tintement.

« Bonjour monsieur, fit Élise. Que puis-je pour vous ? »

Cependant, Maxine s’était levée, refermant son carnet de notes, réajustant sa jupe d’un geste, et s’était approchée de l’entrée pour discerner, curieuse, l’inconnu dont la silhouette étroite se découpait dans l’encadrement de la porte. C’était un garçon d’une vingtaine d’années, à peu près, les cheveux noirs en bataille, le regard gris et franc, sûr de lui malgré son jeune âge. Il avait aussi, pensa-t-elle alors qu’il annonçait les raisons de sa venue, cet air un peu sauvage et trouble des âmes qui cherchent quelque chose.

« Je souhaite voir monsieur Lewis, dit-il distinctement, mais avec un accent indubitablement néo-thuléen. C’est au sujet de l’incident qui a eu lieu il y a quelque temps dans son usine. »

Maxine sentit son intérêt croître.

« Qui dois-je annoncer ? fit Élise avec la force de l’habitude.
- Nao Pérégrin, s’il vous plaît. Vous le préviendrez que je m’intéresse plus particulièrement à ce qui est arrivé à son fils Théotim, » conclut-il.

La servante s’apprêtait à aller faire la commission à son maître, lorsque Maxine s’avança d’un pas pour apparaître dans le couloir. Le jeune homme leva les yeux vers elle.

« Maxine Twainn Okland, annonca-t-elle. Je suis la mère de Théotim. Peut-être puis-je vous renseigner ? »

Nao la regarda soudain comme s’il la reconnaîssait.

« Okland ? N’êtes-vous pas l’auteur de l’article du SteamTime ? »

*
Un moment plus tard, Maxine et Nao étaient assis autour d’un thé dans le séjour.

Près de la fenêtre, Théotim faisait toujours aller et venir son train, d’avant en arrière.
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Nao Pérégrinn

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MessageSujet: Re: Les liens du sang et de l'esprit   Les liens du sang et de l'esprit EmptyDim 13 Jan - 15:11

La pièce était silencieuse, mon hôte et moi ne soufflions mots et seul le roulement répétitif de la petite locomotive de bois produisait un son étrangement accablant. Le thé nous avait été servi depuis un moment déjà, et les volutes de fumée commençaient de se tarir au dessus des tasses.
Moi, je regardai l'enfant qui jouait à l'autre bout de la pièce, telle une carcasse vide et usée, la mine faussement expressive et remuant machinalement ce petit train qui ne devait aller nulle part. J'esquissai un vague sourire blessé et amer, il me rappelait ma sœur, toujours à mes côtés mais en même temps éternelle absente, faisant fis de toutes choses et arborant cette expression qui m'était si douloureuse et à laquelle sans doute, je ne devais jamais m'accoutumer.

Sa mère, assise en face de moi, semblait attendre quelque chose, elle me fixait d'un regard sombre et curieux, plein d'interrogations qu'elle ne jugeait toutefois pas encore temps de m'exposer. Nous nous regardions simplement, tentant vainement de nous comprendre sans recourir aux mots.
C'était une femme assez intimidante, elle avait un regard bien particulier qui plongeait dans le vôtre sans la moindre gêne. Dans ses yeux, on pouvait lire la soif de savoir qui l'animait ; cependant, sans doute par expérience, elle se contentait pour l'heure de m'observer, guettant mes attitudes, attendant que j'engage le dialogue de moi-même.
Mes yeux retombèrent sur le thé, froid et terni, qui semblait avoir pris de l'atmosphère ambiante. J'en pris une gorgée, peut être voulais-je par là trouver le courage d'aller plus loin, pour Lily, et pour cet enfant et sa mère, qui je n'en doutais plus, devraient désormais vivre avec cet incident comme nous le devions nous-même... Mais le breuvage était passé, et son amertume remplissait tout mon être alors que j'engageai enfin la conversation, d'autant plus las de mon impuissance.


«-Madame, mon intention en venant ici, était de rencontrer votre fils, j’espérai pouvoir lui parler, au sujet de l'incident à l'usine. Je vois maintenant que cela m'est impossible, et je me trouve bien au regret de voir mes craintes se justifiées. Votre famille voit pointer des heures sombres et j'en suis navré, j'aimerai pouvoir alléger votre peine si cela m'est possible....
-Vous n'êtes pas d'ici. Que cherchez vous ? »


Je me souvenais de l'article dans le journal, des questions qu'elle y soulevait, peut être avait elle quelques doutes. Il est vrai que l'accident se démarquait profondément par son étrangeté. Elle rejetait par cette interruption, toute démonstration de compassion qu'elle qu'elle soit. Elle voulait des réponses, et rien d'autre.

"-Je viens de Synna, en Nouvelle-Thulé madame, quand à ce qui m’amène ici, je vous répondrai simplement que comme vous, je cherche des réponses."

Elle me toisait à présent, clairement soupçonneuse.

"-Un voyage aussi long pour un enfant traumatisé dans une bourgade d'Ellsworth ? Vous ne pensez pas me faire croire cela. Que venez vous chercher ici ?"

Je devinai désormais qu'elle ne me laisserait pas aller sans m'avoir arraché quelques informations, et je tentai de lui répondre sans trop en dire. Je craignais que cette mère ne se fit un devoir de poursuivre le Lorialet et je me trouvai peu désireux de mêler d'avantage de personnes aux tristes affaires les concernant... mais bien que je pouvais comprendre son besoin de savoir, pour m'être moi-même aventuré dans ces eaux troubles, mon recul devant la vie que je menais à présent me rendait détestable l'idée d'y détruire une famille de plus.

"-Je recherche une personne, deux à dire vrai qui semble-t-il, se trouvaient sur les lieux de l'accident et y auraient croisé votre fils. Mais pour l'instant rien n'est certain.

-Votre certitude me semble pourtant bien flagrante pour être venu jusque ici, mais dites moi plutôt : pourquoi tant d'ardeur à rechercher ces gens, avaient-ils quelque chose à voir avec l'explosion de l'usine ?

-Je les cherche voilà tout, du reste je ne puis vous en dire plus, et ce dans notre intérêt commun."

J'étais désespéré du tournant que prenait cette conversation, et mon vœux était d'en finir au plus vite, mais mon interlocutrice ne l'entendait pas ainsi.

"-Je n'ai pas besoin que vous jugiez de mes intérêts pour moi, vous pouvez voir les répercussions fâcheuses que cette affaire a sur ma famille. Mon fils est soudain devenu avare de parole, lui qui était si jovial, il passe maintenant ses journées assis là, le regard vide, il ne fait plus rien seul et n'est plus que l'ombre de lui même. Et vous voudriez que j'ignore tout cela quand, visiblement, vous détenez sur le sujet des réponses précieuses qui pourraient peut être aider cet enfant ? Je ne sais pas ce que vous vous attachez tant à cacher, mais j'estime pour ma part avoir le droit à des éclaircissements sur la situation. Par ailleurs, un échange d'information vous serait aussi bénéfique, car il se trouve que j'ai mené mon enquête dès lors que l'information m'est parvenue et je pense avoir ma part de données non négligeables sur le sujet. Si tant est que vous voulez vraiment retrouver les personnes dont vous parlez, il vous faudra bien une piste. Ne faites plus de détours monsieur, quoique vous sachiez, je veux l'entendre."

Il y avait dans ses yeux, à ce moment là, un abîme de détermination où je ne décelai aucune peur, juste de la fureur, et je compris que rien de ce que je pourrais lui dire ne parviendrait à faire ciller cette flamme.
Dehors la lumière baissait, il se faisait tard et, alors que notre conversation s'apprêtait à franchir un tournant difficile, je me surpris l'espace d'un instant à penser à Lily. Que pouvait-elle bien faire à cette heure ? Était-elle éveillée à présent ? Attendait-elle de voir le soleil se coucher près de la fenêtre ? Cherchait-elle ma silhouette dans le lointain ? Les quelques milles normalement dérisoires qui nous séparaient, m'apparurent soudain affreusement grands et l'hôtel infiniment lointain. Oui, je pensais à Lily alors que, prononçant ces mots, j'ouvrais à cette femme la porte de notre univers :

"-Des Lorialets..., c'est ainsi qu'on les appelle en Nouvelle-Thulé, on n'avait encore jamais eu vent de leur présence sur Astray. C'est maintenant chose faite. Ce sont eux que votre fils a rencontré ce jour là, et c'est de leur fait qu'il se trouve dans cet état aujourd'hui.
Les Lorialets sont d'apparence des gens ordinaires comme vous et moi, mais qui pour des raisons que l'on ne s'explique pas encore, auraient développé certaines capacités thaumaturges telles que l'expansion émotionnelle, leur proximité semble exacerber l'empathie des populations à l’extrême et engendre des troubles, de l'angoisse, de la panique. La plupart du temps, le nombre de personnes impliquées est relativement moindre, aussi les accidents passent pour le moins inaperçus, mais dès que l'on parle d'une foule ou d'une ville entière, le problème prend une envergure plus imposante. On a déjà eu affaire à des phénomènes d'une telle ampleur en Nouvelle-Thulé, au Nord du continent, des villes entières ont été touchées. Une communauté s'est assemblée autour du problème et j'en fais partie, c'est pourquoi je suis ici aujourd'hui. Cependant votre fils est un cas à part, tout indique qu'il ne se trouvait pas seulement sur les lieux, il semble qu'il aurait également eu un contact direct avec l'un d'entre eux.

-Et qu'est-ce que cela implique ? "


Elle me regardait maintenant d'un air sombre, inquiet, mais elle semblait intégrer mon discours comme une vérité irréfutable. Sûrement avait-elle dû retourner le problème dans tous les sens sans jamais trouver d'explication rationnelle, aussi faisait-elle maintenant le choix d'admettre que de telles choses n'avaient rien de raisonnable.


"-Et bien... nous n'avons connu à ce jour qu'un seul autre cas similaire à celui de votre fils, et jusqu'ici son état reste inchangé. Comme je vous l'ai dit, nous ignorons s'il existe un moyen...Il ne nous reste que la possibilité de les traquer, et l'espoir qu'ils soit possible de renverser la balance."
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