Vous connaissez WildOak City ?
Non ?
Vous devriez !
C'est un endroit superbe ! Surtout si vous aimez les grands espaces sauvages ! Le "Wild" qu'ils disent là bas ! La nature à foison, les grands pins et autres conifères qui s'élèvent fièrement, serrés les uns contre les autres et formant une épaisse et vaste forêt qui s'étend à perte de vue !
Les grands lacs dont les bords gèlent quand le plus redoutable des ennemis s'abat sur ses contrées : l'hiver.
Ses magnifiques paysages ... À vous couper le souffle !
Cette sensation aussi d'être tout petit, perdu dans cette immensité où seule la nature est reine, qui vous donne l'impression d'être libre de tout, en osmose avec la mère créatrice...
Et puis les gens là-bas sont vraiment d'une amabilité !
Vous n'en trouvez pas ailleurs des gens comme ceux là...
Ils sont rieurs, joviaux, mais aussi assez rustiques. Ils prennent un air grave et vous racontent les plus belles histoires en vous mettant en garde... Vraiment de braves ge...

" P'TAIN MAIS CASSE TOI CONNARD !!!! "

Un coup de fusil retentit, brisant le silence tranquille et paisible des contrées qui avoisinent WildOak City.

" J'T'AI DEJA DIS QUE J'EN VOULAIS PAS DE TA BIBLE !!!"
" Mais ... Monsieur Marvin ..."
" T'ES BOUCHÉ EN PLUS ?!!! BARRE TOI SINON JE T'EXPLOSE LE BRAS ! "



Le dénommé Mervin rechargea et tira à nouveau près des pieds du pauvre homme d'église qui ne faisait que prêcher la bonne foi... La bible entre les bras.
Il exécuta une sorte de danse ridicule pensant éviter les balles qui se perdaient dans la neige.
"Pensant les éviter" parce qu'en fait M. Marvin ne le visait pas... Il savait que s'il buttait un homme, il irait en prison et il n'en avait pas franchement envie.

« Vous … Vous êtes CINGLÉ ! »

Et puis il se retourna, trébucha et partit en courant en se retournant deux trois fois, histoire de vérifier si l’ermite solitaire de WildOak City n’allait pas lui dégommer l’arrière train.
Mais non.
Lowell Marvin n'en avait rien à foutre.
Il le regarda s’éloigner d’un air froid puis lorsqu’il disparut derrière un bosquet en tournant le petit chemin, il soupira.

« Non mais j’te jure … Qu’est ce qu’on invente pas pour me faire chier !
Et Louve … Elle est où ? C’est l’heure du repas. Louve !! Louve !!! »

Mais rien n’y fit.
La louve noire s’était volatilisée et ce depuis plus de 48 heures.
Bien que Louve fût un animale sauvage, qui ne restait auprès de Lowell que parce qu’elle l’appréciait, et que celui-ci en fût tout à fait conscient, il commençait à s’inquiéter.
Normalement, Louve avait pour habitude de revenir, au plus tard, une journée après une de ses nombreuses escapades en forêt.
Juste le temps de pointer le bout de sa truffe pour bien montrer qu’elle était là, toujours vivante, puis repartait illico presto.
Mais là rien.
Pas de nouvelles.
Lowell, qui observait depuis un bon moment la lisière décida de faire un tour dans les environs.
C’était comme un pressentiment, un instinct tout à fait épatant qui faisait qu’il craignait quelque chose pour sa seule compagne.
Après tout, Louve était un peu comme sa fille. Il l’avait vue naître, il l’avait vue grandir.
Louve était l'enfant qu’il n’avait jamais pu avoir… Et c’est pour cela qu’il s’inquiétait autant pour cet animal destiné à ne pas être attaché.

Il attrapa son manteau, empoigna son fusil qu’il rechargea à nouveau et commença à gravir en silence les collines que les arbres recouvraient entièrement. Il scrutait scrupuleusement l’horizon, à droite, à gauche…
C’était facile de l’apercevoir.
Si noire sur la neige si blanche.
Il marcha bien plus d’une heure, tournant aux alentours de la maison …
Il découvrit enfin le sujet de ses recherches et…

Aaraon avait froid, ses vêtements étaient détrempés, son fusil était vide. Il ne savait pas exactement depuis combien de temps il errait. Son escouade avait été prise d’assaut par des technologues, ils étaient tous morts, sauf lui. Il s’était extrait avec difficulté du bourbier où les soldats adverses avaient abandonné les corps des siens, puis avait marché sans vraiment savoir où il se trouvait. Des rumeurs circulaient sur une possible paix, un armistice qui serait en cours de discussion. Lui n’en avait rien vu. C’était toujours la même guerre. Toujours la même mort.

Un hurlement déchirant.
La plainte d’un animal.

Il approcha avec discrétion, se muant au décor, se fondant dans les ombres des arbres. La neige était épaisse même en sous bois à cette époque de l’année. Il peinait à progresser. L’animal pleura de nouveau. Il n’était pas rare que les ours jouent avec leurs victimes avant de les dévorer, et il était préférable de s’assurer que ces cris ne provenaient pas des amusements de l’un d’eux. Il se posta derrière un sapin et observa avec circonspection.
Une louve noire se traînait au sol, la patte prise dans un piège de trappeur, laissant derrière elle une longue marque ensanglantée sur le sol immaculé.
Tendant les mains en avant il approcha de l’animal.

« Calme toi…ça va aller… »
La bête grogna, se ramassant sur elle-même, observant avec ire le moindre mouvement du jeune Octantin. Il s’accroupit et continua de lui parler, l’apaisant de ses paroles et de ses gestes. Elle se détendit et huma l’air. Une partie de ses vêtements était couverte de sang, le sang de ses camarades, des chevaux, des hybrides. Son sang. Elle gémit doucement et riva ses yeux jaunes emplis de défiance sur Aaraon.
« Ça va aller… »

Il toucha le dos de la louve, se préparant à retirer sa main en vitesse si jamais elle se ravisait, évitant de caresser sa tête, ce qu’elle aurait prit pour une tentative de domination. Elle ne protesta pas, se plaquant au sol, fatiguée par sa lutte contre la mâchoire de fer. Le jeune homme desserra les dents du piège, libérant le membre meurtri de l’animal.

Le bruit sourd d’un fusil que l’on arme.
Une faute d’inattention.
Un adversaire embusqué, ordonnateur de grâce.
Ou fervent adorateur du talion.

Un instant seulement il avait oublié où il se trouvait, il avait négligé une notion essentielle l’espace d’un geste de commisération. C’était la guerre.

Lowell, le fusil armé et dirigé sur la tête de l'inconnu.
Il regarda Louve, aplatie dans la neige, sans défense... Il ne pouvait pas tirer... Si l'homme bougeait, il pourrait tirer sur Louve sans le souhaiter.
Le blond parut avoir entendu le claquement du fusil lorsque Lowell l'avait chargé, car celui-ci s'était figé sur place.
Il se rapprocha avec prudence, l'arme bien soutenue et ne lâchant pas sa cible.

" Dégage de là l'blond ! Et enlève tes sales pattes de Louv.... "



Soudain, l'individu se retourna avec une rapidité remarquable se retrouvant en moins de deux à quelques centimètres du trappeur.
Lowell en fut stupéfait, leva le fusil pour éviter de tirer sur Louve, et comme un réflexe, l'abaissa sur le crâne de l'homme... Il s'effondra aux pieds de Lowell.

Celui-ci se pencha, retourna son agresseur avec son pied...

"Tsss... Un môme... "

Un môme, certes, mais pas n'importe quel môme !
Il reconnut tout de suite le genre : un de ces gars du nord, mage de surcroît. Une de ces énergumènes avec lesquelles ils étaient sensés ne plus être en guerre depuis quelques jours seulement.
La nouvelle loi lui interdisait de le tuer...
Parce que, comme pour le prêtre de tout à l'heure, s'il le buttait maintenant, il irait en prison... Et son avis sur la question n'avait pas changé entre temps.

Il enjamba le garçon et se dirigea vers Louve.
Celle-ci l'accueillit en montrant sa soumission et en balançant sa queue touffue.
Il la caressa, examina rapidement sa jambe ensanglantée : elle pourrait marcher jusqu'à la maison en boitant.
Après cette brève conclusion, il se leva et prit la direction de la cabane. Il savait que Louve allait le suivre de près.

Pourtant, elle ne le suivit pas et Lowell ne tarda pas à s'en rendre compte.

"Louve ! Viens ! On rentre !" grogna t-il en se retournant.

Celle-ci s'était penchée sur le jeune inconnu, et le reniflait d'un air intrigué.



"LOUVE !"

Elle leva la tête, sans bouger, regardant avec intensité son maître de ses yeux jaune flamboyant.
Il avait comprit. Il avait parfaitement compris.
L'animal se sentait reconnaissant envers le gamin et ne concevait pas que le froid l'emporta sur celui qui l'avait libérée.
M. Marvin réfléchit un instant : après tout, si Louve était restée dans le piège, il n'aurait peut être pas pu la retrouver... Ou du moins pas avant un grizzli qui aurait sans doute sauté sur l'aubaine.
Est ce que cela devait signifier que lui aussi devait lui en être reconnaissant ?

Louve mit fin à ses réflexions qui s'éternisaient en jappant d'un air impatient.
Le maître soupira.

" Quel caprice tu me fais là Louve..."

Il se pencha vers le gamin et le porta sur ses épaules pour le ramener chez lui, suivi d'une Louve boiteuse.

Il remua légèrement, se refusant à ouvrir les yeux de peur que la douleur sourde qui martelait impitoyablement son crâne ne prenne de l’ampleur. Il faisait relativement chaud. Il se redressa lentement, et se décida à regarder ce qui l’entourait, une main plaquée sur le visage pour ne pas être agressé par la lumière.

Il était dans une sorte de cabanon de technologue, dans un désordre certain mais qui semblait tout de même relativement propre. On l’avait allongé dans un lit et ses quelques blessures étaient pansées. Une sombre et large silhouette était afférée un peu plus loin, penchée sur la louve allongée sur une table en bois. Le jeune homme se leva silencieusement, se préparant à bondir sur le trappeur qui l’avait assommé dans la forêt.
La bête grogna.
Son maître se retourna.

« Pas bouger l’blond ! »Aaraon se figea instantanément devant la mimique terrible du technologue qui tenait fermement un scalpel dans sa main. Il se demanda un instant si l’homme était en train de s’en servir sur la bête, hésitant à lui sauter à la gorge.
« ASSIS GAMIN ! »

Il se laissa retomber en arrière sur le lit. L’homme fit vole face et découpa d’un geste sûr un morceau de viande posé devant lui sur la table et tendis un lambeau à la louve qui l’avala avec délectation. C’était décidément un drôle de type dont l'apparence patibulaire ne correspondait pas aux actes. La bête avait la patte bandée, dans un tissu similaire à celui avec lequel on avait soigné le jeune Octantin. Aaraon observa l’énergumène s’agiter, rassemblant son nécessaire de soins. Il semblait expérimenté, sans doute un médecin, il était grand et assez large, les yeux sombre, les cheveux sombre…la mine sombre en fait.

« Pourquoi tu m’as soigné ? »
« Ferme là, j’aime pas l’bruit ! Et c’était ça ou j’allais en taule ! »
Il saisit une bouteille de whisky sur une étagère et bue une longue rasade, puis revient, tanguant, vers la pièce de chair qu’il découpait. La louve se leva à son approche, s’ébroua, et descendit de la table.

Le jeune homme était assez perplexe, en théorie il aurait du être mort depuis…longtemps. Il y avait donc des hommes qui respectaient cet armistice…
Il tendit une main hésitante vers l’animal qui s’approchait en boitillant et vint poser ses deux pattes avant sur ses genoux, lui léchant le visage avec application. Il rit brièvement et passa ses bras autour de l’encolure de la louve.


Il ne comprenait vraiment pas qu’un technologue ait pu avoir l’idée d’aider un mage.
Mais la sérénité de la bête l’apaisait.
Les animaux ne se trompent jamais sur les hommes.

Une autre gorgée puis il se retourna.
Il faillit s'étouffer.
Jamais il n'avait vu Louve aussi tendre et douce avec un parfait inconnu.
Elle qui avait prit le sale caractère de son maître et agressait toute sorte de personne en grognant et en hérissant son épaisse fourrure noire.
Et là, elle se trouvait complètement abandonnée dans les bras d'un homme...



Un homme ?... Lowell renonçait de plus en plus à le considérer comme tel.
Il le voyait plutôt comme... une pauvre bête blessée qu'il avait l'habitude de ramener et soigner.

Vous me diriez " Mais pourquoi ne les mangerait-il pas ?" Eh bien Lowell aimait chasser...
S'attaquer à des êtres sans défense n'était pas de son ressort.
Voilà pourquoi.

Lowell assista donc à la scène de papouille avec un air désabusé... Puis eut comme une impression étrange...
Celle que tous les pères ont quand ils voient leurs filles embrasser un garçon devant leurs yeux.

Lowell toussa... Oui il toussa... Même si on aurait pu croire à un grognement sévère.

" Eh oh Gamin, n'lui saute pas d'ssus quand même... "

Puis il se retourna, fit réchauffer sur une vielle poêle le reste du lapin qu'il avait dépecé pour Louve et l'agrémenta de pain. Puis il apporta le tout au jeune mage dans une assiette.

" Tiens, mange. Plus vite t'seras guérit plus vite tu pourras décamper d'ici. "

Je suis revenu souvent voir ce drôle de type et Louve. Je sais maintenant qu’il s’appelle Lowell et que sa femme est morte dans un accident il y a quelques années mais qu’il est persuadé que c’est un meurtre. A vrai dire je ne l’ai pas vraiment appris par lui, l’armistice a conduit mon peuple à reprendre ses anciens marchandages avec les technologues, j’ai profité de ces occasions pour me renseigner même si les populations sont encore réticentes à communiquer avec nous. Je ne peux que le comprendre, moi aussi on m’a appris à les haïr pour m’ordonner ensuite de les tolérer. Je doute que cette paix soit durable.
En ce moment je suis toujours en garnison pas loin de WildOak, je me demande si je finirais par retourner à Octantis un jour, je ne suis pas sûr d’en avoir envie, non pas que l’endroit me déplaise mais ‘son’ fantôme est partout.
J’ai montré une photo de mes parents à Lowell. Il n’en a pas dit grand-chose, il ne dit jamais grand-chose de toute façon. Mais nous avons maintenant ce point en commun. La mort est toujours avec nous, lui dans ses pensées vengeresses, moi dans mon fatalisme constant.

***

Le technologue était penché sur un piège qui retenait le corps d’un lapin étranglé. Aaraon se tenait à une distance respectueuse comme toujours, ne sachant pas vraiment ce qui le poussait à revenir. La louve était assise à coté de lui et gémissait à intervalles réguliers comme pour signifier que le trappeur était trop lent et qu’elle avait faim. Elle grogna, se mit brusquement sur ses pattes et s’éloigna dans les bois.
« Aucune patience…Louve ! J’m’en fiche, ça en fera plus pour moi ! » grommela Lowell en se redressant, l’animal dans une main et le fusil à l’épaule. Il jeta un coup d’œil au jeune homme et commença à avancer dans la direction de son chalet, ses bottes traînant dans la neige boueuse du printemps naissant.
« Viens l’blond ! »

Ce type n’avait jamais fait l’effort de l’appeler par son nom, Aaraon doutait même qu’il s’en soit souvenu lorsqu’ils s’étaient vaguement présentés au bout de plusieurs jours d’observation mutuelle silencieuse. Il se leva et suivit avec discrétion l’homme qui faisait à lui seul plus de bruit qu’un troupeau de chimères, pestant, jurant, marchant avec lourdeur et agacement. La louve réapparut avec ce qui semblait être une perdrix dans la gueule, et se rangea à côté de l’Octantin pour filer son maître. Leur maître ?
Possible… non pas au sens de ce chef indiscutable qui dispense ses ordres sans souffrir de contestation, mais plus comme une sorte de lumière, de point d’ancrage que l’on a envie de suivre et d’écouter.

« Saloperie d’porte ! »Comme toujours Marvin avait ouvert la porte avec trop de vigueur et comme toujours elle lui était revenue de plein fouet dans le visage. Le jeune homme s’esclaffa brièvement mais fit silence aussitôt devant l’air mauvais du technologue qui sortit une fiole de sa poche et s’envoya une grande rasade. Il s’assit sur le pas de la porte, regardant Louve qui mangeait sa prise avec appétit, tout en lui jetant régulièrement des œillades de défit. Le trappeur avait commencé sa préparation culinaire approximative.

« Lowell…Pourquoi tu restes ici si tu es persuadé que ce n’est pas une bête qui a tué Abel ? »

Il savait la question directe, d’autant qu’il n’aurait jamais dû être au courant de ce tragique accident. Il appréhendait quelque peu la réponse…mais n’avait pu s’empêcher de la formuler. Il ne savait lui-même pas pour quelle raison il restait dans ce pays, de la réponse de cet homme étrange pouvait dépendre sa propre décision sur son avenir. Le technologue s’était figé sur place, son scalpel étroitement serré dans la main, il se tourna lentement vers le jeune homme.

Lowell resta figé dans son mutisme habituel. Ou du moins, pas si habituel que ça.
En temps normal, cet homme aurait sûrement haussé la voix, aurait balancé ce qu’il tenait dans les mains (en l’occurrence, le scalpel) en hurlant un truc du genre « C’est pas tes oignons ! » et l’aurait probablement balancé à l’extérieur de chez lui à grands coups de pied au cul.
Mais là, tout était différent. Aaraon était la première personne depuis bien longtemps à s’être introduit dans la vie quotidienne du trappeur. On peut dire qu’il s’était habitué à la présence du jeune mage, c’était devenu naturel. Et comme deux hommes qui se parlent peu ne peuvent pas tout comprendre, les questions étaient nécessaires. Lowell le savait et ne fut pas vraiment gêné par la question mais plutôt par sa propre réponse.
Comment sortir du silence après de si longues années de solitude ? Et puis … Avait-il réellement la réponse à cette question plus que pertinente ?

Pendant un instant donc, Lowell ne sut prendre la parole. Il avait juste plongé ses yeux noirs dans la teinte violette des iris d’Aaraon. Puis il se retourna, continuant sa besogne.

« Vas savoir. » grommela-t-il dans un premier temps en haussant des épaules. Mais cette réponse n’avait pas l’air d’être satisfaisante. Que ce soit pour Aaraon ou pour lui-même.
Il s’arrêta un instant, observa la neige au dehors par la fenêtre de la cuisine à laquelle il faisait face.

« Ici, c’était sensé être notre maison. A Abel, à moi et à l’enfant qu’on aurait dû avoir. Cette maison, je l’ai construite pour ça et uniquement pour ça. C’était le début d’une belle vie tranquille. J’imaginais déjà le môme courir partout, je m’imaginais déjà lui donner des leçons, j’imaginais déjà qu’il sécherait les cours et qu’il y allait avoir de belles engueulades. Mais nous aurions été bien, ici. »

Il se reconcentra sur sa besogne en ajoutant en soupirant.

« Tout ça c’est du passé et rien de tout c'que j’avais imaginé ne s’est réalisé. Il ne me reste plus que cette baraque. »

Il fit griller la viande, l’appliqua sur le riz et tendit une assiette à Aaraon. Lowell s’assit lourdement sur sa chaise à bascule, prit sa flasque et but une longue gorgée avant de commencer son repas en silence.

« Et puis, ajouta-t-il, il y avait pas de trace. Rien. Comme si tout avait était effacé. Si c’était une bête qui l’avait défigurée, on l’aurait vu. Là non, c’était trop propre. Tellement propre qu’on n'a jamais pu remonter à des indices. Du coup, sans indice, pas d’enquête et chercher dans le vide n’arrangera rien. »

Aaraon n’avait pas encore entamé son plat, restant pensif, fixant son assiette. C’était la première fois de sa vie qu’il entendait Lowell parler autant d’un coup.

" Si tu apprenais où est celui qui a fait ça...tu partirais d'ici pour le retrouver?"

Lowell s'était renfermé à nouveau dans son mutisme. Il ne répondit pas. Il continua à manger en regardant ailleurs.Le trappeur avait soif, soif de vengeance.
C'était un sentiment qui faisait vibrer ses sens, il en ressentait des frissons, une colère monstre qui se condensait au fond de sa gorge. Il avait tellement soif, qu'il but une gorgée de plus de sa flasque.


[ hrp : désolé :/ pas d'inspiration d'image >___< il y a des jours avec et des jours sans...]

Il posa son assiette à côté de lui, sans y avoir touché. Lowell semblait converser durement avec ses fantômes, les traits tirés, la bouche crispée. Le jeune homme rassembla ses mains devant lui et parla de nouveau, sachant pertinemment qu’il avait peu de chance d’obtenir une réponse cette fois encore.

« Il s’est passé quoi ce jour là pour toi ? »

Le technologue fit tinter bruyamment ses couverts. Il ouvrit difficilement sa fiole et bu de nouveau, accompagnant sa rasade d’une lourde expiration. Il fixa son regard sur Louve qui était assise au milieu du chemin. Et resta silencieux.
Aaraon se leva et fit un geste à l’animal qui se précipita dans ses jambes. Lowell ne lui répondrait plus, il en était sûr.

« Ma mère s’est pendu. Quand je l’ai retrouvé j’sais pas exactement depuis combien de temps elle était… là… il faisait froid donc elle était pas trop abîmée. Juste son visage, il était vraiment horrible…et cette odeur aussi. »
L’homme grogna mais ne fit aucun commentaire. La bête logea son museau dans la main sombre du jeune octantin qui lui souri tristement.
« Au début je m’étais dit qu’elle était morte à cause de mon père…Mais je sais que c’est parce qu’elle ne pouvait plus nous gérer, parce que j’ai pas été capable de représenter quelque chose d’assez important pour qu’elle ai envie de vivre….mais si je pense comme ça je…donc je préfère continuer à croire que c’est la faute de ce sale type… »



Lowell sorti lentement de la bâtisse et s’assit à côté de l’endroit où se trouvait le jeune homme quelques minutes auparavant. Il l’observa, toujours muet. Aaraon ne savait pas vraiment quoi dire de plus, il avait besoin de raconter ce qu’il ressentait à quelqu’un, besoin de partager sa culpabilité avec quelqu’un d’autre que son reflet dans le miroir.

« Viens t’poser et mange l’blond ! C’est pas bon froid ! »
Obéissant sans rechigner à l’ordre il rejoint le trappeur et commença à manger dans un silence religieux. Son sac bougea légèrement, il l’ouvrit et laissa sortir un petit manchot.
« Qu’est-cé ça ? »
« Un manchot cycle… »
« Hum….j’vais t’dire un truc la culpabilité c’est pour les crétins ! »
« Mais… »
« Mange ! »
Louve grogna légèrement et renifla le petit animal avec un vague intérêt prédateur. Aaraon la chassa d’un mouvement de poignet et reprit ses couverts.

Lowell regarda Louve, puis le petit animal.

" Louve, laisse !" dit-il avec force. Ce fut inattendu que Louve sursauta et recula, les oreilles baissés, et partit en direction de la forêt en se retournant de temps en temps, apparemment vexée et jalouse de l'autre animal qui recevait ce qu'on lui offrait d'habitude. Lowell la regarda s'éloigner. Il savait qu'elle reviendrait plus tard et ne s'inquiétait pas pour elle.
Quand il eut fini de manger, il posa son assiette dans un coin, prit une cigarette et l'alluma, sans rien dire. Muet. Il se leva, se tenant sur la terrasse de bois protégé par un auvent.
Il regardait la lisière de la forêt dans un silence contemplatif. Sa gorge lui brulait, complètement nouée. Il admirait la force du jeune blond : il avait réussi à parler, à dire ce qu'il avait vu.
Ce genre de chose, pour lui, Lowell, c'était pour les enfants. Quand ceux-ci racontent leurs malheurs en pleurs après s'être réveillé d'un cauchemar. Il pensait que c'était de la gnognotte, du candide, de l'enfantin. Il se surprit donc à admirer la facilité qu'ont les enfants de pouvoir exprimer leur désarroi.
Mais c'était différent là non ? C'était un adulte lui. Ce n'était pas un cauchemar qu'il a vécu, mais bien la réalité. Il avait conscience de beaucoup plus de choses qu'un enfant... Est-ce que ça signifiait pour autant que la peine d'un môme serait plus faible que celle d'un adulte ?
Non.
C'était peut-être la même. La raison pour laquelle un enfant parle plus facilement qu'un adulte, c'est qu'ils ont plus de cran. Un adulte a peur de se ridiculiser devant quelqu'un... N'est-ce pas ça le plus stupide en fin de compte ?
Alors, si un enfant pouvait le faire, si Aaraon l'avait fait... Pourquoi il ne le ferait pas, lui ? Juste une fois.
Il parla donc, malgré la douleur que lui laissait sa gorge.



"J'étais parti pour une urgence... Un gars m'avait appelé... Une jument avait des problèmes pour accoucher et j'ai du faire une césarienne. Voilà ce qu'y s'est passé pour moi, ce jour là."

Il souffla un long nuage de fumée qui se dispersa dans l'air frais. Il fit une pause, se remémorant certaines images trop longtemps laissés de côté.

" Il y avait un garçon, un Cyberpolitain, cheveux longs, les yeux verts... Il devait avoir pas moins de 10, 11 ans. Abel avait eut la bonne idée de le ramener à la maison parce qu'il s'était perdu et qu'il neigeait. Il était bizarre... C'est lui que je suspecte mais... Putain !! C'était un môme ! ça pouvait pas être lui quand même... Il a pas pu faire ça !! "
Lowell se frotta le front nerveusement.

"Non merde... ça peut pas être un enfant qui a fait ça... C'était atroce, inhumain... Elle... Elle... "

La voix de Lowell se brisa. Il s'agita nerveusement, ne sachant plus où poser les yeux. Puis il souffla à nouveau, racla sa gorge, se calma. Respiration profonde.
Aaraon le regarda avec calme, attendant tranquillement que son hôte ait l'esprit plus tranquille. Nouveau silence puis...

"Je les avais laissés seuls. Je suis parti pour cette urgence. J'ai fini assez tard et je suis rentré. Quand je suis arrivé, Abel avait disparu. L'autre aussi. J'ai tout de suite trouvé ça assez anormal. Je l'ai cherchée aux alentours en l'appelant... Rien. Je suis allé au village, je l'ai cherchée partout, j'ai averti tout le monde et personne ne l'avait vue. Il y a eut des cherches, toute la nuit, le lendemain aussi... Et puis on l'a retrouvée... "

Lowell se remémora la scène. Personne ne lui avait dit qu'on l'avait retrouvée et personne ne comptait le lui dire apparemment. Mais il a toujours eu l'ouïe fine et il avait entendu les murmures.
A cette nouvelle, il était entré dans le plus grand des désespoirs : si personne ne lui avait rien dit, c'est parce qu'il y avait une raison évidente : ils l'avaient trouvée morte.
Il s'était précipité, il avait couru aussi vite que lui permettaient ses jambes. Il avait insulté tout le monde pour cette trahison.
Quand il arriva sur les lieux, des policiers et quelques amis l'arrêtèrent dans sa course effrénée, l'étreignant de toutes leurs forces... Et il en fallait. On lui disait :" Non Lowell, n'y va pas vieux... Faut pas que tu vois ça... Tu le sais maintenant, elle est morte, c'est tout ce que tu as à savoir..."



Injures, débattements. Il avança malgré les forces qui l'en empêchaient. Il vit. Il hurla. On arriva enfin à le repousser. D'abord il ne se laissa pas faire, voulait retourner là bas, puis, petit à petit, il perdait de ses forces, se laissa entraîner, répétant sans cesse le nom de sa femme : "Nooonnn... Pas Abel... MON Abel... Pas elle... Rendez-la-moi... Merde... Rendez-la-moi... Abel..."



Lowell revint à la réalité, se mordant les lèvres, n'osant pas regarder Aaraon.

"...Elle était méconnaissable... Cet enfoiré l'avait déformée ... Il l'avait torturée... Il l'a faite saigner et elle s'était vidée de son sang. Rouge sur blanc... Plus d'yeux, des blessures béantes... Plus d'enfant... Putain... Il a même arraché le bébé... MON enfant, celui qu'on allait avoir avec Abel !! ENFOIRÉ !!! JE VEUX LUI FAIRE LA PEAU !!!"
Il s'emporta dans le vide. Hurla encore quelques injures avant que sa voix ne se brise à nouveau. Il serra les dents. Haine.
Il n'en pouvait plus, sa colère était sans nom. Sa blessure grande ouverte. Cœur flétri. Homme sans vie...
Il se calma, haletant, reprenant son souffle.
Nouvelles grandes inspirations.
Il laissa son dos se cogner contre le mur de la maison et glissa, tombant à terre, s'accordant un silence apaisant. Soldat vaincu, épuisé, lessivé. Il reposa sa tête contre le mur, la cigarette entre les lèvres, laissant échapper la fumée qui s'élevait tranquillement vers le ciel trop bleu au goût de Lowell...
Ils restèrent sans bouger plusieurs longues minutes avant que l'homme sans vie décide de conclure :
" Si je savais où il était... j'irais le butter..."